Crayon noir – Samuel Paty, histoire d’un prof

Publié le 28 janvier 2024 par Adtraviata

Quatrième de couverture :

Dans l’après-midi du 16 octobre 2020, Samuel Paty est assassiné par un islamiste tchétchène. Il venait d’avoir 47 ans. Il était père d’un petit garçon.

Samuel Paty aimait la musique, le rock des années 80, surtout Sigur Rós, U2, Goran Bregovic, Pink Floyd et Apocalyptica.

Il était passionné d’histoire, appréciait la poésie, lisait Baudelaire, Balzac, Maupassant, Zola, Flaubert et Julien Green. Il jouait souvent aux échecs. Au tennis et au ping-pong aussi. Dans la salle des professeurs, il déambulait avec sa tasse « Star Wars » à la main.

Ses élèves l’appréciaient pour son enseignement… et pour ses blagues consignées dans un carnet jamais loin de son cahier de classe.

Un jour, il avait dit à une ancienne élève : « Je voudrais que ma vie et ma mort servent à quelque chose. »

Ce roman graphique est paru trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, presque au moment où tous les complices, jeunes et adultes, de cet acte traumatisant allaient être jugés et presque au moment où un autre assassinat terroriste était commis à Arras sur la personne de Dominique Bernard, un autre prof.

L’écriture de cet album est due à Valérie Igounet, historienne, journaliste et directrice adjointe de Conspiracy Watch (L’observatoire du conspirationnisme). Cela commence par l’hommage à Samuel Paty dans la cour de la Sorbonne, des pages griffées en rouge de paroles de chansons et cela se termine par la remise du premier Prix Samuel Paty qui récompense des travaux de collégiens sur la liberté d’expression. Entre les deux, c’est le compte-rendu précis des faits de la rentrée de septembre 2020 au 16 octobre 2020, jour de départ en vacances d’octobre où le professeur est décapité en pleine rue, non loin du collège du Bois d’Aulme à Conflans-Sainte-Honorine. Avant de dérouler avec une précision clinique l’engrenage qui a mené à l’assassinat, le roman graphique nous fait vivre de l’intérieur une vie de prof, un prof qui aimait la vie, qui avait un humour bien à lui, qui s’investissait à fond dans son métier, qui voulait faire réfléchir ses élèves, leur enseigner l’esprit critique. Cela rend les circonstances de sa mort encore plus abjectes. La cabale orchestrée contre lui à partir du mensonge d’une élève qui n’était même pas en classe, relayée par le père de cette élève, un homme bien vu dans son milieu parce qu’il oeuvrait pour les personnes handicapées, et par un prétendu imam extrémiste fiché S va rencontrer la quête de djihad d’un jeune Français d’origine tchétchène, Abdoullakh Anzarov. On voit évidemment les ravages du mensonge amplifié par les réseaux sociaux, magnifiquement traités dans une double page inspirée de La grande Vague de Hokusai. Je me souviens des attentats de Charlie Hebdo, il y a huit ans : ça se passait la semaine de la rentrée de janvier et on avait organisé un temps de convivialité avec les élèves dans ma section ; on a parlé des attentats et le prof qui faisait le « discours » a signalé qu’un de nos anciens élèves récents avait fait l’apologie des frères Kouachi sur les réseaux sociaux. Je suis sans surprise assez pessimiste sur l’évolution des choses en ce domaine…

Le traitement graphique de Guy Le Besnerais sert vraiment bien le propos : des cases classiques pour le récit, des doubles pages fouillées qui traduisent bien le bouillonnement de l’affaire, les ramifications obscures et l’emballement des réseaux. Les couleurs dominates de ces doubles pages sont le gris, le noir et le rouge. Une interview des auteurs à lire ici permet de comprendre les choix graphiques et narratifs de cette BD et montre quelques pages, cela sera bien plus instructif que mon modeste billet.

Une BD glaçante mais indispensable.

Valérie IGOUNET et Guy LE BESNERAIS, Crayon noir – Samuel Paty, histoire d’un prof, StudioFact éditions, 2023