Sylvie Selig, contes horrifiques et récitatifs picturaux !

Publié le 02 février 2024 par Thierry Grizard @Artefields
Article de fond

Sylvie Selig, peintre octogénaire à la renommée toute récente, emprunte aux contes leurs vocabulaires pour mieux évoquer les sombres turbulences de la vie

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Sylvie Selig, éclipses et révélation au MacLYON

Sylvie Selig est une artiste peintre au parcours atypique. Alors qu'il n'est pas si rare de voir de jeunes artistes poussés en avant par les galeries, des effets passagers de mode et accéder ainsi à une renommée éphémère, il est très inhabituel de voir un artiste parvenir tardivement à la reconnaissance publique, d'autant plus de son vivant et à un âge vénérable. Sylvie Selig est une de ces exceptions ! C'est d'autant plus marquant qu'elle connut dans sa prime jeunesse une certaine reconnaissance. La vie en décida autrement !


Née en 1941 à Nice Sylvie Selig émigre en 1953 avec sa mère à Melbourne (Australie). Plus encline à griffonner qu'à suivre avec assiduité les cours de l'école elle remporte des prix de dessins notamment le premier prix du Sun Youth Art Show, ainsi que celui de la Victorian Art Society. Elle a alors 15 ans.

Quelques années plus tard, en 1958, elle travaille aux décors d'une pièce de Barry Humphries, participe à un certain nombre d'expositions collectives. Dans le même temps elle collabore avec Helmut Newton en tant qu'assistante.


En 1960 elle revient à Paris après une année à Londres et se consacre à des travaux d'illustrations pour le magazine Elle. Une carrière d'illustratrice se dessine, elle se prolongera avec succès jusqu'en 1980 entre New-York de 1966 à 1970 et Paris.

Après cette longue éclipse la passion de toujours pour la peinture retrouve l'occasion de s'accomplir.

Sylvie Selig, à 39 ans, abandonne sa carrière d'illustratrice de livres pour enfants et divers magazines américains et français pour ne plus se consacrer qu'à la peinture.

Il y aura bien quelques expositions personnelles et un travail acharné, presque compulsif. Elle semble pourtant ne pas se soucier de promouvoir son travail qui reste relativement méconnu, soutenu néanmoins par quelques collectionneurs américains.

Son atelier de Pigalle où Sylvie Selig s'installe avec son mari en 1996 devient l'antre (astucieusement agencé) d'un processus créatif prolifique


Sylvie Selig, en 2016, à l'instigation de son entourage, ouvre un compte Instagram pour y diffuser son travail. Son œuvre, comme dans les success-story les plus improbables d'internet, est rapidement remarquée.

Elle expose, en 2019, à la galerie Rizomi Arte, à la Bologna Art, puis au Salon Dessin, à l'Atelier Richelieu à Paris. En 2021, elle expose également à la Blu Gallery (Bologne) la série Senseless. Suivra une autre exposition à la galerie Métamorphoses (Paris).

En 2022 Sam Bardaouil et Till Fellrath, commissaires de la Biennale d'art contemporain de Lyon, Manifesto of fragility, repèrent Sylvie Selig à travers Instagram. Ils proposent à l'artiste octogénaire d'exposer au MAC de Lyon et aux Usines Fagor, où, enfin, le grand public découvre l'immense production artistique de Sylvie Selig.

En cette nouvelle année 2024, elle exposera du 8 mars 2024 au 7 juillet au MacLYON (commissaire : Isabelle Bertolotti, directrice du macLYON). On pourra y voir la gigantesque toile de 140 mètres de long River of no Return (acquise par le musée grâce à une campagne de crowdfunding lancée en 2023).

Sylvie Selig, River of no return

C'est à partir de 2009 que Sylvie Selig donne à ses contes cruels et rhizomatiques une nouvelle dimension. La peintre ne se contente plus de produire des tableaux de grand format qui prolongent une trame narrative par associations et accidents subjectifs ; elle les déroule sur un seul plan.

Elle attache les toiles, en général d'une hauteur supérieure à 1m50, les unes aux autres pour pouvoir accéder à un récit unique où commentaires, narrations picturales ou écrites, peuvent s'entremêler dans l'espace sans césure de la toile tout aussi bien que dans le temps d'une histoire qui se déplie linéairement, quoique qu'aucun arrêt ou aller-retour ne soit interdit.

Afin de donner corps à cette idée, probablement également dictée par des raisons pragmatiques d'exécution, Sylvie Selig invente une machine qui permet d'enrouler ou dérouler la bande de la toile, d'avant en arrière ou en s'arrêtant à sa guise.

Dès lors toutes les folies narratives et de réalisation pratiques deviennent possibles. Les développements narratifs connaissent une véritable inflation en dimension.

Le besoin de dévider des histoires sans fin atteint au paroxysme compulsif. Le temps à rattraper et à gagner est comme une dynamique où le récit, à partir d'un bestiaire limité, telle une syntaxe et son vocabulaire, s'écoule comme un fleuve impétueux aux affluents innombrables.

River of no Return est, à ce jour, la "fresque" à l'huile sur toile la plus imposante de Sylvie Selig. Elle mesure 140 mètres de long sur 2 mètres 20 de hauteur.

C'est à l'image de la tapisserie de Bayeux - qui elle ne fait que 70 mètres de long - un récit imbriqué qui suit à la fois des événements extérieurs et son propre fil de déroulement, assorti de textes qui commentent comme ils augmentent la trame narrative, parfois accompagnée de "prédelles" à la Pierre Alechinsky.

Les espaces et temporalités sont démultipliées. Ils se juxtaposent !

Dans River of no Return Sylvie Selig trace le parcours de trois personnages qui suivent le lit d'une rivière, celle de l'art contemporain. C'est un entrelacs de thèmes aux références multiples, évidemment l'histoire de l'art moderne, mais aussi des appels au cinéma, et très probablement, tant l'univers semble proche, La Nuit Du Chasseur de Charles Laughton.

Fantasmes, humour et violence diffuse, érotisme masqué, à l'image des contes de fées, constituent le matériau premier du récitatif pictural.

Les apatrides (Stateless)

Autre série, exposée à la 16° biennale de Lyon : Stateless. Une huile sur toile mesurant 50 mètres de long qui déploie le récit d'un lièvre venant au secours d'une jeune réfugiée, que les forces d'un ordre abstrait et kafkaïen veulent renvoyer dans son pays en guerre.

Une œuvre accompagnée dans sa présentation aux usines Fagor des sculptures - à la manière "arte povera" - de Sylvie Selig, la Weird Family.

Des entités qui sont comme autant de mises en volume des êtres hybrides qui peuplent les toiles de l'artiste. Êtres métissés aussi bien dans leurs identités que pour ce qui les composent, rebuts de la société de consommation assemblés de manière brute et hétérogène. Vieux draps, torchons, bouts d'étoffes, vêtements dépenaillés, poupées démembrées, couvre-chef dignes d'une pièce de Beckett, etc... Telle est la texture de ces "monstres" aux rôles multiples dans le défilement des contes "Seliguiens".

C'est une des constantes du corpus de Sylvie Selig, la porosité des frontières, les lisières chevauchées, les identités confuses et troubles, une violence implicite permanente, un érotisme à la frontière de la déréliction, la mort. Sous les signes inoffensifs du conte pour enfant règne le chaos, des mutations indicibles, la perte, l'espoir violenté, brisé et renaissant, l'interdit et la transgression.

Le bestiaire de Sylvie Selig

Sylvie Selig, de même qu'elle se refuse toute limitation en matière de narration picturale, d'espace, de temps juxtaposé (celui de la surface picturale), sort également systématiquement du cadre.

Le support se déroule, s'enroule, se punaise ou se fixe sur des fils, comme des draps, des oripeaux, des hardes aux deux sens du terme, de pauvres guenilles laminées et des bagages légers de ceux qui fuient toujours, n'ont pas de repos, ni de toit. Ainsi des sculptures de Sylvie Selig, elles sont comme échappés du récit, prélevés, apatrides. Elles paraissent éreintées, étiolées.

Le bestiaire de l'artiste est à l'image des frontières indécises du récit pictural. Il est assez frappant de remarquer que les éléments de ce bestiaire sont peu nombreux mais qu'ils connaissent, inversement, une multitude infinie de tissages, confusion des genres, identités, lisières.

Il y a des éléments empruntés à l'histoire de l'art, en premier lieu la référence récurrente à Picasso à travers ses fameux profils à la grec et les physiques cylindriques de la période néo-classique. Parfois on croit reconnaitre les silhouettes de Piero de la Francesca et par voie de conséquence celles de Balthus.

Il y a des Minotaures aux oreilles de lapin à la Lewis Carroll, des loups et des chaperons rouges, des corbeaux, des grenouilles grêlées, des rats amènes, des chênes dignes d'un décor de petit théâtre pour enfant, des écheveaux de fils rouges ou noirs, qui rappellent le travail de Chiharu Shiota dont l'univers onirique présente quelques similitudes. Ces fils, comme chez la plasticienne japonaise, prolongent l'espace de la toile, excèdent le cadre, réunissent ou tentent de le faire d'autres éléments narratifs. Les cheveux sont fréquemment comme des lianes qui s'éraillent ou voudraient vainement retenir ce qui s'éloigne.

Il y a également des poupées tenant dans leurs entrailles des enfants, des cœurs arrachés. Les figures sont la plupart des nus. Elles sont dénudées. Elles sont désirantes, prédatrices, proies ou consentantes, éplorées.

Le bestiaire est bien celui des contes de fées ou du mythe, ou des légendes. Il est le substrat de ce qui fait le cœur même des contes, l'angoisse, l'approche de l'inconnu, la part sauvage, la peur et l'apprentissage de la violence.

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