Dans son nouveau film, magnifique, en sortie le 10 avril 2024 dans les salles françaises, le Tunisien Mohamed Ben Attia convoque le fantastique et le cosmos pour ouvrir notre regard par-delà les montagnes de l’ordre social et de la rationalité. Lire notre entretien avec Majd Mastoura sur le film et son jeu d’acteur.
Au début, des flashs, rapides, sans explication. Un homme « pète les plombs », a la rage, casse tout, se jette par la fenêtre… A sa sortie de prison quatre ans plus tard, Rafik s’empare de son fils Lotfi. Commence alors la dimension fantastique du film, sans que les points d’interrogation se résolvent. Rafik croit qu’il peut voler et veut le montrer à son fils de. Il chute encore… Nous sommes interloqués. Un fou ? Un visionnaire ? Un prophète même, comme semble le croire le berger silencieux ?
Dans ses précédents longs métrages, Hedi, sur un homme au destin trop tracé qui plonge dans l’aventure sans savoir la gérer, et Weldi – Mon cher enfant, sur un père sexagénaire qui tente de retrouver son fils disparu, Mohamed Ben Attia remettait en cause les codes sociaux. Hedi est tenté par la fuite vers l’ailleurs et dans Weldi, le fils Sami fuit lui aussi.
La contradiction de cette démesure est au cœur du film : la transgression de Rafik appelle la violence de ceux qui la subissent. Pourtant, Rafik ne remet pas en cause les fondements, pas plus qu’il ne triomphe de quoi que ce soit. Le titre initial du film était d’ailleurs « Les Ordinaires ». Rafik ne s’oppose pas aux codes sociaux (il respecte ainsi les habitudes prudes de Lotfi) mais cherche un écart où s’engouffrer, cette distance où pourraient se loger d’autres possibles, une sorte de ligne de flottaison comme lorsqu’il flotte dans le ciel, un entre-deux. Lotfi omet de répondre au policier lorsqu’il lui demande ce qu’il voudrait faire quand il sera grand, en accord avec le destin tout tracé par le système scolaire. Car ce policier ne comprendrait pas sa réponse : elle est dans la direction des montagnes qui confirment que la poésie de son père n’était pas vaine, qu’elle esquissait une radicale critique que Mohamed Ben Attia propose sans slogan au spectateur, avec une étonnante et infinie finesse.
Le jeune Oussama montre à Lotfi le système solaire que lui a construit son père dans l’espace de sa chambre, sorte de référence décalée à la mise en scène de János Valushka dans la taverne au début des Harmonies Werkmeister de Béla Tarr, où chaque client devait tourner comme une planète autour du soleil. C’est cet ordre du monde que János aurait voulu restaurer, mais que la violence d’une sombre éclipse vient corrompre. En voulant lui aussi trouver un ordre où il puisse prendre sa place, Rafik déclenche un fatal engrenage. Ainsi va le monde, mais son geste nous reste comme un éloge de la transgression.
Par-delà les montagnes
Par-delà les montagnes Bande-annonce VO
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