Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson

Par Lecturissime

"L'existence humaine se résume à une course contre la noirceur du monde, les traîtrises, la cruauté, la lâcheté, une course qui paraît si souvent tellement désespérée, mais que nous livrons tout de même tant que l'espoir subsiste."

Le village se prépare pour une sortie en mer des pêcheurs. Parmi eux, Bárður, pêcheur à la morue, fasciné par les mots et captivé par sa lecture du Paradis perdu, du grand poète anglais Milton. Il est accompagné du "gamin", un jeune homme de vingt ans, son meilleur ami. Mais malheureusement, trop occupé à retenir les vers de Milton, le pêcheur néglige les préparatifs et oublie sa vareuse seule capable de le protéger des intempéries meurtrières en mer. Après ce voyage, le jeune garçon restera suspendu entre ciel et terre, incertain, en route pour rendre le Paradis perdu à son propriétaire, avançant pas à pas, perclus de douleur.

"L'enfer, c'est d'être mort et de prendre conscience que vous n'avez pas accordé assez d'attention à la vie à l'époque où vous en aviez la possibilité. "

Dans un texte profondément humain et porteur d'espoir, l'auteur prouve sa capacité à capturer l'essence de la condition humaine. Il propose une réflexion poignante sur la vie dans un environnement rude et impitoyable, tout en mettant en lumière la force et la résilience de l'esprit humain. De ce monde âpre, les deux pêcheurs islandais pouvaient s'échapper par le pouvoir des mots, enrichissant ainsi leur univers :

"Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. "

Leur errance s'apparente finalement à une métaphore de cette quête infinie et éternelle qui consiste à donner un sens à son existence "tout ce que nous pouvons faire, c'est espérer au plus profond de nous-mêmes, à l'endroit où bat le cœur et où s'ancrent les rêves, qu'aucune vie ne soit en vain, ne soit sans but."

Pour eux, le sens serait peut être dans la solidarité, cette fraternité qui relie les humains et nous sauve de la solitude : "Nous devons prendre soin de ceux qui nous sont chers et à qui nous le sommes. Ce doit être là l'une des lois de l'existence et le diable botte le cul de ceux qui ne s'y plient pas."

Le roman est porté par une prose poétique magnifique, qui nous emporte aux confins de l'Islande auprès de ces hommes perdus dans ces matins sans aube.

"L'homme est une créature étonnante. Il lutte contre les puissances naturelles, triomphe de difficultés apparemment insurmontables, il est le seigneur de la terre et pourtant, il maîtrise aussi peu sa pensée que les gouffres qu'elle recouvre, qu'abritent ces abîmes, comment se forment-ils, et d'où nous viennent-ils, ces profondeurs obéissent-elles à des lois ou bien l'homme traverse-t-il la vie avec, au fond de l'âme, un périlleux chaos ? "

Il s'agit du premier volet d'une quête initiatique : suivront La Tristesse Des Anges et Le Cœur de l'homme.