Quelle Europe pour quels citoyens ?

Publié le 24 août 2008 par Kak94
Quelle Europe pour quels citoyens ?
Par Pierre Micheletti, Président de Médecins du Monde


Alors que les Européens s’interrogent sur leur identité et que leurs dirigeants peinent à savoir comment réagir après le « non » de l’Irlande au Traité de Lisbonne, la réunion du Conseil européen à Cannes début juillet a été l’occasion pour la France, présidente pour les six prochains mois, d’y présenter son « Pacte européen sur l’immigration et l’asile ».

On peut alors s’étonner des priorités définies et impulsées, alors même que les textes fondamentaux touchant à la définition du fonctionnement des instances européennes ne font toujours pas l’unanimité. Ces textes mériteraient sans doute d’être discutés et partagés par tous les citoyens et que les dirigeants s’entendent sur leur devenir. L’acceptation passe inévitablement par des débats qui pourraient être constructifs si on s’en donnait les moyens.

Loin de la préoccupation du bien-fondé politique de la construction européenne, la Présidence française marque clairement ses objectifs en matière d’immigration : ces derniers ne sont que l’écho de sa politique nationale. Cette politique du renforcement du contrôle de l’immigration est en effet dans la droite ligne de l’adoption en France, l’année dernière, de l’amendement Mariani sur l’ADN. Cet amendement avait déjà suscité de vives inquiétudes et réactions dans les milieux associatifs de voir s’installer une logique consistant à utiliser les sciences médicales comme supplétifs à la maitrise de l’immigration. Cela a été notamment l’occasion pour Médecins du Monde de promouvoir l’idée d’un « droit de désobéissance déontologique » de la part de tous les professionnels de santé qui pourraient être amenés à prescrire ou à réaliser des actes utilisant les sciences médicales, non pas dans l’intérêt médical de la personne, mais dans le cadre des lois de l’immigration.

A l’échelle européenne, la politique du renforcement des frontières extérieures et du contrôle des migrations se caractérise par une discrimination des étrangers malades devenue réellement inquiétante. En effet, il convient de rappeler quelques évènements récents qui indiquent très clairement les orientations résolument sécuritaires en matière d’immigration : la directive dite « retour » et l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme de mai dernier.

En septembre 2007, la Commission LIBE1 avait voté un amendement à la directive « retour », protégeant les étrangers malades d’une expulsion pouvant entraîner des conséquences médicales graves, parfois mortelles. Cet amendement proposé par de nombreuses associations n’a finalement pas été voté le 18 juin dernier par le Parlement européen : c’était là le signal d’un renforcement de cette politique répressive de l’immigration.

Par ailleurs, comment ne pas s’inquiéter de voir cette même politique renforcée par une décision récente de la Cour européenne des droits de l’Homme, institution pourtant garante de leur respect par les Etats ? Par un arrêt rendu le 27 mai dernier, la Cour a ainsi reconnu le droit à un Etat membre de l’Union – en l’occurrence la Grande-Bretagne – d’expulser une femme atteinte du sida. Cette décision marque la confirmation au niveau judiciaire de la volonté des dirigeants européens de mener une politique d’immigration excluant toute compassion. Elle ne peut qu’interpeller les ardents défenseurs des droits de l’Homme en Europe.

Les Etats européens ne manquent pas habituellement de s’insurger contre les Etats extra-communautaires qui bafouent les droits de l’Homme sur leurs territoires. N’oublions pas non plus que le respect de ces derniers est aussi une condition sine qua non de l’entrée d’un pays au sein de l’Union européenne… Alors comment accepter si peu d’humanisme dans le refus de soins aux personnes aussi vulnérables que sont les migrants ?

Le droit à la santé est pourtant reconnu par la Convention européenne des droits de l’Homme qui prône l’égalité de traitement entre nationaux et étrangers. Mais la réalité dont témoignent les associations de terrain partout en Europe nous confirme les énormes difficultés rencontrées par ces migrants qui tentent de se faire soigner. Ce constat ne devrait pas faire rêver…

Et pourtant. La « forteresse Europe » continue d’attirer de nombreux candidats à l’exil. Mais l’accès y est de plus en plus difficile, et le nombre de victimes aux portes de l’Europe de plus en plus grand, même si la difficulté d’en faire la comptabilité macabre – en particulier pour les disparus en mer – nous laisse penser que les chiffres sont en-dessous de la réalité. Or, la stratégie basée sur la fermeture des frontières ne favorise-t-elle pas les passages vers des routes toujours plus dangereuses pour entrer sur le territoire européen ? Les politiques strictes en matière d’immigration ont-elles permis de contrôler les flux migratoires ? Plutôt que de s’acharner sur des personnes qui souvent n’ont pas choisi l’exil, et d’augmenter les budgets alloués au contrôle des frontières, ne pouvons- nous pas, Européens, choisir de commencer par accueillir et traiter dignement ces candidats à une nouvelle chance ?

L’un des défis que devront relever les ONG européennes à l’occasion de la présidence française sera de faire entendre cette voix.
pour en savoir plus : http://www.medecinsdumonde.org/