Never Mind the bottox

Publié le 09 juillet 2008 par Castor

Les Sex Pistols à Bobital
Combien de punks sont issus de la première vague ? Imaginons qu’ils aient 18 ou 19 ans en 1977, l’année de l’explosion du mouvement. Ils frôlent aujourd’hui la cinquantaine. C’est quoi être punk à 50 ans ?
Je cherche du regard quelques spécimens. Près de moi, un père de famille protège sa progéniture collée à la barrière de sécurité sous la scène des ruades énervées. Il repousse les pogoteurs qui viennent s’écrouler sur ses enfants. En général, ceux qui reviennent à la charge, n’insiste pas une fois qu’ils ont échangé un regard avec lui. Un seul insiste : il repart pieds devant au dessus des barrières, accueilli par un service d’ordre zélé.
Plus loin, un autre tatoué aux cheveux blancs tente d’expliquer à sa fille, bien sage, ce que pouvait représenter ce groupe à la grande époque.
Philippe Manœuvre se souvient d’une anecdote dans son livre « l’enfant du rock » :
« Les infâmes Sex Pistols allaient braver le Jubilé et l'interdiction de jouer dans Londres en donnant un concert sauvage. J'avais une seule envie: quitter cette ville de fous, oublier les «Jubilee Souvenirs », les jubilee-touristes et tout le tremblement. Fût-ce pour les Pistols. «Tu n'es pas obligé de rester», me confirme Paringaux.
Laissant les autres reprendre l'avion, j'allais néanmoins traîner mes boots du côté du bureau des Sex Pistols qui était une pièce minuscule, dans une impasse sordide. C'était donc de là qu'était partie l'explosion qui stupéfiait le monde ! Un grand Anglais frisé et imbu de sa personne consent à poser les deux téléphones dans lesquels il marmonne alternativement. Il me tend une invitation photocopiée, la tamponne et m'enjoint de me trouver au quai de Charing Cross, le lendemain, à deux heures précises.
Je loge où, moi? Dans Londres envahi de touristes monarchistes fervents, on ne trouve plus une chambre ! Malcolm McLaren me griffonne une adresse sur un bout de papier et se remet à marmonner dans ses combinés de bakélite. Je sors, décidé à rentrer à Paris par le dernier avion du soir. Errant dans Soho, je passe devant le marché aux puces. J'achète quelques disques... le premier Buzzcocks, un Clash... Le vendeur hoche la tête d'un air approbateur. Je lui tends deux billets verts quand il me demande, sur le ton de la confidence la plus totale si j'ai entendu parler du concert de demain. Quel concert? Le vendeur lève les bras au ciel : «Mais le concert des Sex Pistols, bien sûr! Inespéré! Fabuleux! Les Pistols, interdits de concert par le grand conseil municipal, vont jouer sur un bateau-mouche ! Et nous les fans, tonne le petit marchand, nous les suivrons de la rive.
»
Je suis allé à l'adresse de logement donnée par Malcolm. C'était un appartement immense où vivaient les premiers fans des Sex Pistols. Ceux que la presse appelait le «Bromley Contingent». Là, dans le cadre victorien le plus classique, dégustant l'inévitable thé de bienvenue, je fis la connaissance de Simon, Jordan, l'égérie de Johnny Rotten qui dansa nue sur scène lors du premier concert des Pistols et dont les seins énormes firent les beaux jours de tous les photographes.

On me présente aussi un garçon timide derrière ses lunettes, Adam Ant, une harpie aux cheveux hérissés qui fait la tronche parce que les Pistols venaient de lui voler son bassiste, Siouxsie Sioux. Le téléphone sonne. Simon décroche, écoute. « Oh ! non ! C'est Malcolm ! Il nous envoie un autre journaliste français!» Une demi-heure plus tard, Dordor faisait sa grande entrée dans l'enclave du Contingent. Ce soir-là, nous sommes allés voir un film de Russ Meyer. Jordan a-do-rait le spectacle des poitrines surgonflées. En rentrant, la discussion roula sur les Pistols: «Ils joueront. Oui. Non. Ils n'oseront pas... Si, non!»
Ça promettait.
Au début, la croisière sur la Tamise fut une vraie garden-party. Les journalistes éclusaient la vodka et les Pistols descendaient des bières. Un truc avec les Pistols : ils ne faisaient pas semblant. Quand on leur suggérait de poser pour tel ou tel magazine, ils expédiaient l'importun avec un «fuck you» retentissant. Hautains et dangereux, les Pistols affichèrent trois heures durant un ennui exaspéré. Et à 21 heures tapant ils refusèrent de jouer. Enfin, Sid et Johnny refusèrent, car Steve et Paul, respectivement guitariste et batteur, en mouraient apparemment d'envie.
Après une heure de tractations avec le manager, ils commencent le concert.
Miracle ! Ce groupe-là n'avait plus grand-chose à voir avec celui du Chalet du Lac. Le rock est une alchimie volatile. La plupart des groupes débutants ont l'énergie mais leur technique chancelante les cloue au sol. Et quand ils savent jouer, ils ont perdu l'énergie ! On les compte sur les doigts d'une main, ceux qui possèdent les deux. Elvis l'avait d'emblée, et les Rolling Stones aussi. Ce soir-là, à moins de deux mètres des Sex Pistols, je fus empoigné par une jubilation totale. Cette musique-là aurait fait jouir une petite fille et transformé un poltron en surhomme. C'était le rock des années 70 craché à tous vents sur un bateau ivre, pour quatre-vingts privilégiés rayonnants.
Le rock est-il condamné à ce sursaut quinquennal? Les années 80 auront-elles droit à la chose ?
Les flics ont pris le bateau-mouche d'assaut en moins de vingt minutes. Encadrée par une flottille de la brigade fluviale, notre vedette est revenue à son quai où les bobbies attendaient les trublions de pied ferme. Assaut, charges, bagarres. Malcolm, deux journalistes et le président de Virgin furent traînés au fourgon. Mais le lendemain matin, «God Save The Queen» était numéro un des ventes de 45 tours !
»

Le même Manœuvre, interrogé par Ouest-France peu avant le concert, a prévenu : « Il y a toute l'équipe d'origine, dont le bassiste qui avait précédé Sid Vicious, Glen Matlock ! Je les ai vus à Londres, ils sont formidables. À Bobital, les gens vont voir un monument. C'est même un événement. Ils auront un pincement au coeur en entendant God Save the Queen. Ça leur rappellera toute une époque, ils se diront : « Tiens, cette année là je sortais avec Brenda.»
Une vieille chanson retentit, une voix de fillette sur un air de jazz. Les paroles évoquent l’Angleterre et sa glorification loin de l’Anarchy. Les écrans géants de part et d’autre de la scène continuent à promouvoir la chaîne de TV MTV. Le contraste entre le mercantilisme et l’anarchie prônée par le groupe interpelle. Un beau résumé de l’époque où les utopies sont passées au crible du marketing pour accoucher de concepts tarifables.
Derrière la scène, une immense bannière jaune est ornée de moissonneuses batteuses. La chansonette introductive cesse. Les projecteurs illuminent la scène. La foule hurle. La tension monte. Et enfin, ils arrivent. D’un pas décidé, ils investissent les lieux. 3à ans plus tard, ils foulent de nouveau le sol français.
Les frustrés dont je fais partie qui ont raté le chalet du lac, la tournée américaine, le concert sur la Tamise cité plus haut, ont enfin l’occasion de rattraper le retard. Être là, au cœur de l’évènement.
Glen Mattlock est habillé tout de blanc. Le premier bassiste des Sex Pistols a fier allure, un peu trop peut être. « Never mind the bottox » a-t-on envie de lui crier. Il fut viré du groupe en pleine explosion punk (février 1977) car il ne s’entendait pas avec Johnny Rotten, le chanteur. Il fut remplacé par le célèbre enfant terrible, Sid Vicious. Sid, soupçonné du meurtre de sa petite amie Nancy est mort d'une overdose en 1979 et devint une icône rock malgré qu’il fût incapable de jouer correctement de la basse.
C’est pour cela que la légende raconte que c’est Glen Matlock qui assure les parties de basse sur l’album « never mind the bollocks » en tant que musicien de studio payé au cachet. C’est ce qu’il fit également pour Iggy Pop sur l’album « Soldier ». Il participa aux tristes et inutiles reformations des Sex Pistols.
Les Sex Pistols sont avec les Damned et les Clash, le groupe le plus représentatif du grand mouvement punk qui balaya tout sur son passage. Le message était « on ne sait pas jouer, on ne sait pas chanter » mais on le fait nous-mêmes (selon la philosophie du Do it yourself ) avec de l’énergie à revendre. Ce mouvement marqua durablement toute la jeunesse de l’époque en Angleterre bien sûr mais dans le monde entier où l’on délaissa les cheveux longs et les guitares en bois pour les crêtes iroquoises et l’électricité. Des accords basiques, des paroles provocantes ou qui incitent à la révolte.
Selon Manœuvre : « Ils sont arrivés, en 1975, à l'époque des dinosaures du rock'n roll : les Pink Floyd et ses trois semi-remorques de matériel ; Queen et son show à l'américaine... Les gamins d'une vingtaine d'années se disaient qu'ils n'avaient aucune chance ! Les Sex Pistols ont fait irruption avec leur je-m'enfoutisme. Johnny Rotten (leur chanteur) disait : « Je suis là pour faire du fric, je veux devenir riche et célèbre et je vous emmerde ! » À l'inverse des gens de la pop, qui, comme Bono de U2, promettaient de faire du fric pour le donner aux Africains. Ça a été un séisme dans le monde rock. Un concert des Sex Pistols, c'était digne de la bataille d'Hernani entre les anciens et les modernes ! Il y avait de la sauvagerie, de la violence, de l'humour. Ils étaient les voyous désignés par une génération pour les représenter ! Eux, au moins, ne deviendraient pas routier ou caissière ! »
Et, après leur concert, je confirme que malgré leur âge, les Sex Pistols sont restés de vrais branleurs. Sauf que depuis 1977, ils ont appris à jouer car, contre toute attente, ils étaient plutôt bons et le concert fut à la hauteur de l’espoir suscité. Un évènement !