Twitter, au coeur de la politique

Publié le 05 août 2008 par Jérémy Dumont

Blogs, forums, ou encore tchats, SMS, télévision sur Internet et maintenant le Twitter : les dirigeants politiques usent (et abusent ?) des nouveaux moyens de communication. Leur objectif (voire leur obsession) est clair, comme l’explique le chercheur Dominique Wolton : «Les hommes politiques qui sont déjà sous pression s’imaginent qu’avec ces nouveaux moyens de communication ils vont échapper à la tyrannie journalistique et instaurer un lien direct avec le public.» S’affranchir des médias pour communiquer, quasiment les yeux dans les yeux avec l’électeur potentiel. Le rêve. Mais l’exercice connaît ses frontières : la multiplication des tuyaux ne signifie pas une meilleure communication politique. Et gare à l’effet de saturation.

«Gros malin».Alain Juppé et Dominique Strauss-Kahn ont été des pionniers, dès 2004, en ouvrant leur blog. Le site de l’association Désirs d’avenir de Ségolène Royal a joué un rôle de premier plan durant la bataille interne au PS en vue de la désignation du candidat à la présidentielle. Et Nicolas Sarkozy avait inventé durant la campagne le site NSTV qui retransmettait les faits et gestes du candidat. La communication de masse, mais ciblée, dispose aujourd’hui d’un nouvel outil (un gadget ?), le Twitter.

Après avoir ouvert des blogs, découvert le tchat, et diffusé de la vidéo en ligne, les hommes politiques se lancent dans l’aventure des réseaux sociaux. Twitter est le dernier outil en vogue expérimenté par leurs communicants. «Je pars à Strasbourg en session. Au menu jeudi, le gros malin [Nicolas Sarkozy, ndlr] qui se vante d’avoir rendu inoffensives les grèves dans son pays.» Ou encore : «Ne saisis pas pourquoi le Parlement européen est ceinturé par les CRS avant la venue de Sarkozy. Croyais les grèves dorénavant inoffensives…» Ce genre de messages, l’eurodéputé (PS) Benoît Hamon en envoie plusieurs fois par jour à toute sa communauté.

Pas par téléphone, ni par mail, mais grâce à Twitter («gazouillis» en français), un service auquel il accède depuis son ordinateur. Merveille de la technologie moderne, cet outil lui permet de diffuser en temps réel son agenda, ses réflexions ou ses humeurs. Il lui suffit de se connecter au site Twitter.com pour poster un court message qui sera lu dans la minute par l’ensemble de son réseau. On apprend par exemple que, le 26 mai, Benoît Hamon était à Ljubljana, et que, le 17 juin, il manifestait pour la défense des 35 heures.

«La base de Twitter, c’est de diffuser à tous ses amis ce qu’on est en train de faire à l’instant. C’est du micro-blogging», explique Frédéric Cozic, consultant en Web innovant. Concrètement, son utilisateur dispose de 140 caractères (soit la taille d’un SMS) pour dire ce qu’il souhaite. Autant dire que, avec un format aussi court, il y a de quoi être sceptique. Mais pour les spécialistes des nouveaux médias, comme Joël Ronez, les avantages de Twitter sont indéniables : «D’abord, c’est très simple à utiliser. Ensuite, cela peut s’exporter : on peut par exemple twitter depuis son téléphone portable.» Et, surtout, c’est gratuit : «Vous pouvez donner rendez-vous à mille personnes en même temps sans dépenser un seul centime.»

Dès lors, pas étonnant que ce système intéresse les partis politiques, qui peuvent informer leurs militants à moindre coût. Aux Etats-Unis, les candidats à l’élection présidentielle ont su tirer depuis longtemps les bénéfices des réseaux sociaux. Barack Obama compte 50 000 abonnés sur Twitter. Les fans seront déçus : de l’avis des experts, il n’écrit pas ses commentaires personnellement, contrairement à Benoît Hamon… Mais le système permet au moins de diffuser rapidement les chiffres des sondages ou les références des dernières enquêtes le concernant. Et, surtout, il a facilité la levée de fonds pour le sénateur démocrate (lire page 4). Outre-Atlantique, le succès est tel que Twitter a tout récemment hébergé un débat sur les nouvelles technologies entre les représentants des deux prétendants à la Maison Blanche, Barack Obama et John McCain. Une confrontation réduite à des slogans en raison des 140 caractères…

En France, on est encore loin d’une telle réussite. Créé en mars 2006 à San Francisco, Twitter ne recense qu’environ 6 000 utilisateurs dans l’Hexagone, une goutte d’eau parmi les deux millions de Français sur Facebook. Alors, quel est son intérêt ? Au premier rang, la vitesse de propagation de l’information. «Trois millions de messages sont publiés quotidiennement sur Twitter, indique Nicolas Vanbremeersch, alias Versac, un des blogueurs politiques les plus populaires sur Internet. C’est une centrifugeuse qui tourne très vite, avec très peu de monde.» Conscient des limites du Net, Versac (Versac.net) vient d’ailleurs de geler son blog, contestant le phénomène du «blogueurinfluent».

Rapidité.La majorité des membres de Twitter sont de vrais relais d’opinion, car la plupart possèdent eux-mêmes un réseau d’envergure. Dagrouik est l’auteur du blog Intox2007.info, et proche du courant politique de Benoît Hamon. «Un jour, raconte-t-il, j’ai vu un député UMP qui disait des inepties à la télévision. Dans la seconde, j’ai averti mes amis sur Twitter, et on a lancé un mouvement collectif contre lui sur nos blogs.» Une rapidité qui peut suffire à créer du «buzz» sur la Toile. Mais ce n’est pas tout. Comme les autres réseaux sociaux, Twitter permet aux politiques de se rapprocher de leurs électeurs.

Philippe Juvin, maire de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) et secrétaire national de l’UMP chargé des fédérations professionnelles, est un des premiers hommes politiques à s’être inscrit sur Twitter. Pour lui, «c’est un des outils devenus indispensables à la proximité politique». Hortense Harang partage son avis. Cette candidate du Modem dans le Loiret pour les législatives de 2007 a utilisé Twitter durant toute sa campagne pour parler de son action. «J’étais dans une des circonscriptions les plus larges de France. Je ne pouvais pas être sur tous les marchés. Les réseaux sociaux m’ont permis d’avoir un contact direct avec mes concitoyens.» Pour autant, Hortense Harang n’a pas gagné l’élection.

La tendance va-t-elle se développer ? «Ça risque de se populariser, juge Joël Ronez. Mais, en politique, ça reste de la communication. Dans ce cas, montrer ce qu’on fait est plus important que de le faire vraiment…»

ARTICLE : MARIE MAURISSE

Lu sur le site Libération