Le discours des entreprises encore trop lourd, peu différenciant et perçu comme non sincère

Publié le 09 juillet 2008 par Jérémy Dumont

Lourdeur lexicale, discours lénifiants, phrases passe-partout. Le baromètre de la qualité de l'expression juge sévèrement la communication des entreprises.

Les entreprises sont bien souvent des adeptes du copier-coller. Un rapide tour sur les sites Internet des principaux groupes du CAC 40 permet de s'en rendre compte. Les mots " professionnel ", " innovation ", " mobiliser " se répètent à longueur de pages. Et quoi de plus uniforme que les discours de PDG qui ornent les premières pages des rapports annuels ? Ces écrits sont non seulement sans originalité mais parfois totalement abscons. Extrait : " Le groupe estime que sa clientèle diversifiée constitue une base d'activités récurrentes de croissance organique supérieure à celui du produit intérieur brut dans un contexte marqué par la montée des exigences de développement durable [...]. " Bel exemple de jargon dont les entreprises sont devenues coutumières. Un " langage chewing-gum ", comme le dit le sociologue Jean-Pierre Le Goff, pour qui " le discours managérial désarçonne d'emblée toute volonté de comprendre ".

Pour tenter d'aider les entreprises à sortir de cette lourdeur lexicale, Jeanne Bordeau, fondatrice de l'Institut de la qualité de l'expression, s'est penchée sur les écrits de sept entreprises, choisies au hasard dans le CAC 40 : Air Liquide, BNP Paribas, Danone, EADS, Renault, Suez et Total. Pour bâtir son baromètre, cette ancienne critique littéraire, devenue consultante en communication, s'est servie pour chaque entreprise de plusieurs supports : le discours du président, le site Internet, le rapport annuel et une sélection de trois communiqués de presse. Ses conclusions méritent d'être méditées par les dirigeants. On peut certes porter au crédit des entreprises un effort de cohérence entre les différents supports écrits et une volonté d'éviter une trop grande technicité dans le discours. Mais elles ont aussi une fâcheuse tendance à décrire une situation toujours idéale, faite de réussite, de croissance et de conquête de parts de marché. Bien loin du " parler vrai " qu'attendent salariés, mais aussi actionnaires.

Autre écueil : l'histoire de l'entreprise est rarement présente, ou alors sous forme de simple chronologie. BNP Paribas présente ainsi 40 pages d'énumération dans la rubrique " Histoire " de son site Internet. " L'histoire de l'entreprise est pourtant un formidable moyen de se différencier, de donner des racines et de mettre en perspective une stratégie, juge Jeanne Bordeau. A l'heure du "storytelling", des anecdotes et des histoires pourraient être introduites, mais on voit rarement ce genre d'audace. " A cet égard, la communication politique, notamment outre-Atlantique, a une bonne longueur d'avance sur l'univers des entreprises.

Mais la différenciation passe aussi par des registres de discours différents : " Les brèves, les citations, les interviews et les points de vue permettraient de casser la linéarité et la monotonie textuelle de cette littérature d'entreprise ", indique le baromètre.

" Les mots utilisés sont usés, le style est souvent plat, mais l'argumentation est, elle aussi, très faible. La communication écrite des entreprises se résume bien souvent à une écriture de la juxtaposition, trop descriptive et qui n'apporte pas une pensée construite ", poursuit Jeanne Bordeau, qui plaide pour l'instauration d'une " charte sémantique " dans les entreprises, au même titre que la charte graphique.

M.B

Lu dans Les Échos