Le Sommet de Bruxelles : L'Europe n'est ni faible ni impuissante

Publié le 31 août 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Dimanche, 31 Août 2008 22:00

Editorial RELATIO-EUROPE de Daniel RIOT

« Impuissance ». Le mot est déjà lâché par nombre d'observateurs plus ou moins patentés alors que le Sommet exceptionnel des 27 ne s'ouvre que ce lundi ! Comme si, dans nombre d'esprits, « Europe » ‘et « impuissance' étaient devenus synonymes...Comme si «Europe impuissante » n'était qu'un pléonasme... Eh ! bien, Non ! En l'occurrence, il n'y a aucune impuissance européenne. Et si l'Union, malgré son inachèvement, son inexistence politique, ses contradictions internes n'existait pas, il faudrait l'inventer !

« Impuissante »... Pourquoi et en quoi,  l'Europe ?

>>>Parce qu'elle n'a pas réussi à empêcher Mikheïl Saakachvili de se lancer dans une « aventure suicidaire » ? Ce sont ses amis américains et sa propre mégalomanie qui lui ont fait croire, selon ses propres aveux, que la Russie dans le Caucase « bluffait »... Les Israéliens ont vu venir la gaffe : ils ont geler à temps leur coopération militaire. Les Américains ont vu la même chose, mais n'ont rien fait pour arrêter sa main.

>>>Parce qu'elle n'a pas réussi à empêcher le Kremlin de réagir d'une façon « disproportionnée » ? Sans l'Union et la prompte réaction de Sarkozy, peu critiquable dans cette affaire, les chars russes auraient été (et seraient encore) à Tbillissi. Saakachvili le dit lui-même... Sans les pressions de l'Union européenne, ce n'est pas seulement de risque de « guerre froide » dont il faudrait parler, mais de « guerre ». D'une guerre qui ne se serait pas cantonnée à la Géorgie..

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>>> Parce qu'elle ne sait pas garantir l'intégrité territoriale de la Géorgie ? Soyons réalistes : Voilà longtemps que Tbilissi n'a plus aucune souveraineté en Ossétie du Sud et en Abkhazie...

>>> Parce qu'elle n'empêche pas la Russie de recouvrer une dimension « impériale », sinon impérialiste en retrouvant une vigueur économique dont le communisme totalitaire l'avait privé ? « Changer le monde » ce n'est pas gommer les réalités de ce monde.

>>> Parce qu'elle trop tributaire des Etats-Unis sur un plan militaire et de la Russie sur un plan énergétique ? C'est vrai. Trop. Or, précisément, cette double dépendance (qui est une double tutelle) ne l'empêche pas d'agir, de peser sur les affaires du monde, de contribuer à la construction d'un « ordre mondial » plus satisfaisant pour ceux qui aspirent à un respect plus grand du « principe d'humanité ». En termes géopolitiques, c'est inespéré.Tant pis pour les déclinologues qui cultivent un masochisme européen pathologique

>>> Parce qu'elle ne peut pas ou ne veut pas que l'utilisation de la force demeure le  seul « droit au dernier mot » dans les relations internationales. Et tente de faire en sorte que « l'épée » ne soit plus le seul « axe du monde » ? Mais l'Union est née de cette volonté là. Et c'est parce que son existence même est un modèle à imiter pour régler d'autres conflits (au Proche-Orient, notamment, où Sadate et Rabin l'avaient dit avec force) que parler d'impuissance relève d'une irresponsabilité pathologique

Ce serait quoi, d'ailleurs, une Europe « puissante » dans le contexte actuel ? Une Europe qui rompe toutes ses relations avec la Russie, qui soit prête à envoyer ses fils « mourir pour Tbilissi » ? Ou à refaire une « campagne de Russie » ?

Celles et ceux qui prônent une ligne « dure » à l'égard du Kremlin se gardent bien de faire des propositions concrètes et précises en dehors de quelques « sanctions » qui n'en seraient guère comme l'exclusion de Moscou d'un G8 devenu obsolète sans cela....Ou de mesures complètement irresponsables comme le gel des avoirs russes... La pauvre Angleterre qui hausse le ton aujourd'hui par la voix d'un Brown bien silencieux jusqu'ici ne pourrait même plus organiser les JO de Londres..

Ces « bellicistes » de salon font au plus des suggestions qui feraient monter des tensions ridicules mais dangereuses, relanceraient une terrible course aux armements (qui ne donneraient que des satisfaction aux secteurs militaro-industriels), entraîneraient des régressions en séries (pas seulement économiques) et déclencheraient des tragédies dont les populations les moins bien loties seraient les premières victimes. Mais ces « fers de lance » se gardent bien de pousser leur logique au bout d'elle-même. Heureusement d'ailleurs.

Soyons sérieux. La sécurité des Polonais, des Baltes, des Ukrainiens... des Géorgiens (et celle de tous les Européens) est plus assurée par un climat international dominé par le dialogue des mots et les coopérations croisées que par des échanges de munitions...Les missiles peuvent vous protéger:ils vous transforment en cibles, aussi...

La confiance que trop d'Européens placent en l'OTAN, donc dans le « parapluie américain » devrait d'ailleurs, sans aucun doute, être réexaminée, révisée, à la lumière des « non-réactions » effectives et sérieuses de Washington à la crise russo-géorgienne. Verbiage et moulinets... C'est tout. Et poursuite d'une « politique d'encerclement de la Russie »...qui est sans doute la raison principale de la réaction russe.

Mais Saakhalivili  doit être bien déçu s'il espérait un soutien américain sur le terrain. La période électorale américaine n'explique pas tout. Les plus « durs » des néo-conservateurs prennent conscience des impasses dans lesquelles le « bushisme » a conduit la bannière étoilée...L'excès de manichéisme conduit à des catastrophes. Et, comme dit de Villepin,  la diplomatie américaine reste trop « fille de l'illusion napoléonienne ». Cela lui passera. Le « Soleil noir de la puissance » se termine pas La Chute ».

Dans cette optique, l'Europe n'est pas en retard de quelques prises de conscience, mais elle est en avance.

La vraie impuissance c'est de mener des guerres « ingagnables militairement », c'est de faire des paris impériaux qui devraient être jetés impérieusement dans les « poubelles de l'Histoire »

Une « Europe puissance » telle qu'elle n'est pas encore n'a pas à être une Europe tentée par un aventurisme militariste. Ou par des illusions napoléoniennes... La construction européenne, souligne avec pertinence Dominique Moïsi, a pris le contre-pied de Machiavel. La guerre n'est plus la continuation de la politique par d'autres moyens. Elle est un fléau. A prévenir et à combattre. En évitant les pièges de la « géoplitique de l'émotion »

C'est d'ailleurs pour cela que l'aventurisme de Saakhalivili provoque autant d'embarras chez les Européens soucieux d'une Union européenne authentiquement « politique » que la tentation impériale russe. La défense du plus faible face au plus fort est une chose, mais il ne faut jamais oublier ce que l'un des « pères de l'Europe » appelait « la dangereuse mégalomanie des petits »

Cette Union « authentiquement politique » présuppose que le concept « Europe européenne » cher à de Gaulle recouvre un vrai sens. Face aux USA, (« alliance n'est pas allégeance »), face à la Russie (« tout partenariat implique des relations de « gagnant gagnant » et le respect de règles communes de conduite ») et face à touts les composantes de ce monde de plus en plus multipolaire. Ce concept gaullien n'est en rien incompatible avec les héritages de Monnet, Schuman, De Gasperi et autres... Les relations transatlantiques reposent aussi sur des rapports de force... Tirons parti de cette crise géorgienne pour nous montrer plus exigeants dans la définition des stratégies de l'OTAN qui ne doivent pas se décider qu'au Pentagone.

Dans ce contexte, nous rejoignons les conclusions de l'étude de la Fondation Schuman : réalisme, fermeté, intelligence. Mais ce triptyque là vaut pour toutes les relations extérieures de l'Union, et pas seulement face (ou avec) la Russie....

Daniel RIOT

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