Depuis longtemps, l’histoire musicale des Beatles s’apparente à un chantier archéologique sans fin. Chaque trouvaille, chaque démo, chaque rareté exhumée des coffres apporte son lot d’émotions et d’admiration. La récente restauration de « Now and Then » a montré à quel point le public restait sensible à la moindre découverte liée aux Fab Four. Cependant, lorsque l’on s’aventure au-delà du groupe, dans les carrières solos de John, Paul, Ringo et, surtout, de George Harrison, on pénètre dans un territoire encore plus complexe. Ces dernières années, l’attention s’est tournée vers les archives de Harrison, qui a su livrer un testament musical soigné avec Brainwashed avant sa disparition, mais dont l’œuvre recèle encore des trésors cachés. L’un de ces joyaux, longtemps oublié, s’appelle « Flying Hour », et son histoire met en évidence les choix difficiles et les contraintes commerciales qui ont pesé sur le Quiet Beatle dans sa carrière tardive.
Sommaire
- Entre héritage artistique et contrainte commerciale
- La suppression de “Flying Hour”, un choix révélateur
- Un contexte spirituel et émotionnel particulier
- Un joyau tardivement ressuscité
- Une leçon sur la fragilité artistique et l’héritage posthume
- La place de Flying Hour dans l’héritage de Harrison
- Cet article répond aux questions suivantes :
Entre héritage artistique et contrainte commerciale
La carrière solo de George Harrison a toujours été marquée par une tension entre son ambition spirituelle et artistique et les exigences du marché. Après la séparation des Beatles, Harrison a connu un démarrage fulgurant avec All Things Must Pass, avant de dériver sur des projets plus inégaux, souvent teintés d’une réflexion intérieure sur la spiritualité, la mortalité et le sens de la vie. Si son passage dans les Traveling Wilburys, aux côtés de Bob Dylan, Roy Orbison, Tom Petty et Jeff Lynne, lui a donné un second souffle, ses propres albums en solo n’ont pas tous bénéficié d’une adhésion critique et commerciale évidente dans les années 80. Cloud Nine, porté par la complicité avec Jeff Lynne, représente sans doute la dernière fois où Harrison a pleinement trouvé un équilibre entre ses aspirations artistiques et les attentes du public.
Pourtant, juste avant Cloud Nine, Harrison se trouvait dans une position malaisée. Avec Somewhere in England (1981), il tente de concilier ses sentiments intérieurs, ses réflexions spirituelles, et les contraintes imposées par une industrie du disque frileuse, soucieuse de plaire à un jeune public plus habitué aux sonorités des années post-punk et new wave qu’aux méditations pop-folk d’un ancien Beatle. Le label, ne trouvant pas l’album suffisamment « accessible » ou en phase avec l’époque, demande à Harrison de revoir sa copie. Cette demande a provoqué de réelles frustrations chez le musicien, qui se voit contraint de remanier sa sélection de morceaux, d’écarter certaines chansons et d’en rajouter d’autres, plus légères ou dans l’air du temps.
La suppression de “Flying Hour”, un choix révélateur
Parmi les victimes de ce remaniement figure « Flying Hour ». Harrison avait conçu ce titre dans la lignée de ce qui faisait sa singularité : une chanson imprégnée de ses convictions spirituelles, abordant l’idée de vivre pleinement l’instant présent, de comprendre que chaque heure qui passe est précieuse. Contrairement à certains titres de son répertoire plus axés sur des sermons moralisateurs, « Flying Hour » se voulait plus nuancé et mélodieux, retrouvant l’alchimie délicate entre introspection et musicalité qui avait caractérisé le meilleur de sa production, y compris au temps des Beatles.
Si Harrison avait pu faire figurer « Flying Hour » sur l’album original, Somewhere in England aurait gagné en cohésion. Non seulement la chanson aurait ajouté une profondeur artistique supplémentaire, mais elle aurait pu servir de contrepoint à d’autres morceaux qui, eux, se pliaient davantage aux exigences commerciales du label. L’ajout de « Flying Hour » aurait peut-être insufflé davantage de sincérité, d’élévation morale et philosophique, conférant à l’ensemble une meilleure lisibilité. Le public aurait pu y voir, en filigrane, la continuité logique entre la démarche spirituelle de George et les épreuves qu’il traversait en tant qu’artiste cherchant à rester pertinent dans une industrie musicale changeante.
Un contexte spirituel et émotionnel particulier
Il est essentiel de replacer « Flying Hour » dans le contexte de l’époque. Somewhere in England paraît en 1981, un moment critique où Harrison tente de faire le deuil de John Lennon, assassiné à New York quelques mois plus tôt, en décembre 1980. L’un des morceaux phares de l’album, « All Those Years Ago », est un hommage direct à son ancien compagnon de route. Si Harrison avait pu inclure « Flying Hour », la chanson aurait pu tisser un réseau de significations encore plus fort, suggérant l’idée du temps qui s’écoule, de l’éphémère de la vie, de la nécessité de prendre son envol lorsque l’heure est venue, autant de thèmes naturellement liés à la perte de Lennon et à la quête de sens.
Alors que la maison de disques encourageait Harrison à opter pour des morceaux plus légers, plus conformes aux standards radio, des titres comme « Teardrops » sonnaient comme un compromis laborieux. Dans ce contexte, « Flying Hour » aurait été un rappel que même face aux pressions, Harrison conservait intacte cette étincelle qui faisait de lui un artiste unique. Là où d’autres chansons prêchaient trop lourdement ou peinaient à convaincre, celle-ci proposait un équilibre rare. Elle n’aurait peut-être pas métamorphosé l’album en chef-d’œuvre, tant certaines faiblesses structurelles restaient présentes (pensons à « Unconsciousness Rules » ou au message un peu maladroitement mis en scène de « Save The World »), mais elle aurait insufflé un souffle de sincérité et de cohérence thématique, renforçant l’identité de l’œuvre.
Un joyau tardivement ressuscité
Longtemps relégué dans les limbes de la discographie, « Flying Hour » a fini par ressurgir sous forme de bonus dans les rééditions, offrant aux fans curieux un aperçu de ce qu’Harrison avait réellement en tête. Cette résurrection discographique permet de mesurer l’écart entre la vision initiale de l’artiste et la version « modifiée » de l’album qu’a connue le public de l’époque. Le regain d’intérêt pour les trésors cachés, encourageant la fouille des archives et la découverte de démos ou de versions alternatives, a ainsi redonné à ce morceau l’opportunité de trouver sa place dans l’histoire musicale de George Harrison.
Ce phénomène n’est pas anodin. Dans le monde du rock, la culture des rééditions, des coffrets anniversaire et des compilations d’inédits permet régulièrement de réévaluer le travail des artistes, de corriger certaines injustices, de recontextualiser des choix discutables imposés par des raisons commerciales ou par la pression des labels. Dans le cas de Harrison, c’est une façon de mieux comprendre ses états d’âme, ses ambitions contrariées, ses contradictions internes, à l’aube des années 80 où le musicien aspirait à plus de liberté spirituelle alors même qu’il devait coller à une certaine image.
Une leçon sur la fragilité artistique et l’héritage posthume
La redécouverte de « Flying Hour » souligne également la question toujours délicate de ce que l’artiste aurait souhaité montrer ou non après sa mort. Les albums posthumes ou les rééditions regorgent parfois de titres que l’auteur lui-même n’aurait peut-être pas voulu dévoiler. Dans le cas d’Harrison, on sait qu’il était très soucieux de la cohérence de ses albums et de la pertinence des morceaux entre eux. Remettre « Flying Hour » dans le contexte de Somewhere in England reste un exercice d’interprétation. Aurait-il préféré que ce titre soit connu du grand public dès le départ ? Ou estimait-il que le compromis avec le label n’était pas négociable ?
Quoi qu’il en soit, cette chanson réhabilitée sert aujourd’hui d’illustration du parcours parfois difficile d’un artiste enfermé dans des cadres commerciaux qui ne lui convenaient plus vraiment. Après avoir connu la gloire et la liberté totale des années 60, Harrison s’est retrouvé face à un monde musical changé, plus cynique, où l’on demandait aux anciennes stars de s’adapter ou de disparaître. Lui qui avait toujours placé la spiritualité, la méditation et la sincérité au centre de sa création devait batailler pour faire valoir sa vision. « Flying Hour », en quelque sorte, résonne comme une forme de résistance douce, un chant intérieur sur la valeur du temps et la nécessité de patienter pour prendre son envol – autant de métaphores qui cadrent avec l’état d’esprit d’Harrison à ce moment-là.
La place de Flying Hour dans l’héritage de Harrison
Finalement, si « Flying Hour » n’a pas radicalement modifié le destin de Somewhere in England, sa redécouverte éclaire l’œuvre tardive de George Harrison d’une lumière plus riche. Elle rappelle que le talent du Quiet Beatle ne s’était pas éteint, qu’il ne s’était pas transformé en simple artisan cherchant à répondre aux injonctions du marché. Sous la surface de l’album officiel se cachait un fil conducteur plus profond, une cohérence spirituelle et poétique que l’industrie n’a pas laissé s’épanouir pleinement.
Aujourd’hui, en réécoutant cette chanson, les fans peuvent imaginer ce qu’aurait pu être l’album original, plus en phase avec les aspirations d’Harrison. Cet épisode souligne également que la musique est souvent le résultat de compromis, de négociations, parfois de sacrifices. Dans ce cas, la résurgence de « Flying Hour » est un petit miracle, un correctif apporté à l’histoire, permettant de rendre hommage, a posteriori, à la sensibilité et à la richesse de l’univers artistique de George Harrison, cet ancien Beatle qui, au crépuscule de sa carrière, ne rêvait peut-être que d’une plus grande liberté créative.
Cet article répond aux questions suivantes :
- Pourquoi George Harrison a-t-il écarté Flying Hour de l’album Somewhere in England ?
- Quelle était l’attitude du label envers la musique de Harrison à cette époque ?
- Comment Flying Hour s’intègre-t-il dans le contexte de la carrière de Harrison ?
- En quoi Flying Hour aurait-il modifié la perception de l’album Somewhere in England ?
- Où peut-on écouter Flying Hour aujourd’hui ?