Nous sommes en 1965, et John Lennon est au sommet de sa carrière, tandis que les Beatles dominent la culture pop mondiale. Fraîchement sortis de l’enregistrement de Help!, leur meilleur album à ce jour, la gloire et l’adulation frénétique leur semblent garanties. Pourtant, ce n’est pas cela qui préoccupe Lennon alors qu’il est chez lui à Weybridge, écoutant un disque en boucle. Il décroche le téléphone et appelle Paul McCartney, lui disant quelque chose comme : « Tu dois venir écouter ce nouveau single de Bob Dylan. »
Tout ce à quoi Lennon peut penser, c’est au morceau qui tourne sur sa platine. Lorsqu’il arrive, McCartney est accueilli par les accords retentissants du plus grand hymne de la contre-culture jamais écrit : Like a Rolling Stone. « Cela semblait durer une éternité », se souvient McCartney. « C’était tout simplement magnifique. » Un an plus tôt, ils avaient rencontré l’homme derrière cette chanson furieuse et révolutionnaire, et cet échange avait déjà eu un impact considérable.
Comme McCartney le rappellera à propos de leur rencontre au Delmonico Hotel en 1964 : « J’avais l’impression de gravir une spirale en parlant à Dylan. Je pensais avoir tout compris, le sens de la vie… J’ai noté la clé sur un morceau de papier et dit à Mal [Evans, leur roadie] : “Garde-le précieusement, il y a le sens de la vie dessus.” Le lendemain, Mal m’a rendu le papier, et dessus, il était écrit : “Il y a sept niveaux.” Voilà, le sens de la vie. »
Ce mystère absurde mis de côté, la révélation musicale arriva réellement avec Like a Rolling Stone. « Dylan est un compositeur fantastique », déclara McCartney dans Flip Magazine en 1966. « Au début, je ne comprenais pas. Je perdais le fil de ses chansons, mais j’ai réalisé que ce n’était pas grave. On peut s’accrocher à seulement deux mots dans une chanson de Dylan. “Jealous Monk” ou “Magic Swirling Ship”, par exemple. J’envie ses combinaisons de mots. C’est un poète. »
Avec Like a Rolling Stone, Dylan révolutionna l’approche de la composition musicale, y compris pour les Beatles. « Il nous a montré qu’on pouvait aller plus loin », confia McCartney à Clinton Heylin. Ce titre combinait rock’n’roll, poésie lyrique et sagesse sociétale, brisant les conventions. Jusque-là, une chanson dépassant trois minutes n’était pas diffusée à la radio. Et soudain, Dylan fit un tube de six minutes, bouleversant les ondes.
Ce fut un véritable moment de bascule. La chanson ouvrit une boîte de Pandore et changea la manière dont les artistes envisageaient leurs créations. Les Beatles abandonnèrent alors les thèmes légers qui les avaient portés au sommet pour explorer des sujets plus introspectifs et profonds, amorçant leur propre révolution musicale.
« Je pense que c’est Dylan qui m’a fait réaliser cela », avoua Lennon. « J’avais une approche de compositeur professionnel, mais pour m’exprimer, j’écrivais des textes comme dans Spaniard in the Works ou In His Own Write. Ensuite, j’ai commencé à être moi-même dans mes chansons… à les écrire de manière subjective. » En écrivant pour lui-même, Lennon trouva paradoxalement une résonance universelle.
L’influence de Dylan se ressent clairement sur Rubber Soul, l’album suivant des Beatles, avec des titres comme Norwegian Wood. Dylan lui-même s’exclama : « C’est quoi ça ? C’est moi, Bob. John fait du moi ! » Lennon reconnut plus tard : « C’était ma période Dylan. Je suis comme un caméléon… influencé par ce qui se passe autour. Si Elvis peut le faire, moi aussi. Si les Everly Brothers le font, Paul et moi pouvons le faire. Pareil avec Dylan. »
Si l’impact de Dylan devint moins apparent dans leurs œuvres ultérieures, il incita les Beatles à repousser les limites de leurs chansons. Après tout, Like a Rolling Stone exposa avec brio les faiblesses de la culture dominante tout en réécrivant les règles du rock.
Dylan avait toujours écrit ses chansons comme étant « plus importantes que du simple divertissement ». Pour lui, elles étaient une passerelle vers une conscience altérée de la réalité, un royaume libéré. Avec Like a Rolling Stone, ce royaume trouva son hymne national, influençant les Beatles et au-delà. La chanson reste une œuvre intemporelle, marquant un tournant décisif dans l’histoire de la musique. Elle força les Beatles à repenser leur approche et leur donna l’élan nécessaire pour entamer leur propre révolution musicale.
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