Nosferatu de Robert Eggers

Par Mespetitesvues

Robert Eggers livre une réinterprétation personnelle de Nosferatu, eine Symphonie des Grauens ( Nosferatu, une symphonie de l'horreur), réalisé en 1922 par Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931). Ce chef-d'œuvre du cinéma muet, précurseur du film de vampires et emblème de l'expressionnisme allemand, constitue la première adaptation cinématographique du roman Dracula (1897) de Bram Stoker. Toutefois, Murnau et son scénariste Henrik Galeen, ne disposant pas des droits d'adaptation, modifièrent l'intrigue en transposant l'action en Allemagne et en renommant les personnages principaux : Dracula devient Orlok, Van Helsing devient Sievers, et les Harker se métamorphosent en Hutter.

En 1979, Werner Herzog revisite à son tour le mythe dans Nosferatu : Phantom der Nacht ( Nosferatu, fantôme de la nuit). Tout en conservant l'action en Allemagne, Herzog rétablit les noms des personnages originaux. Il signe un film marqué par des accents baroques et une profonde révérence pour l'œuvre de Murnau. L'atmosphère réaliste s'exprime à travers des compositions visuelles soignées et des décors naturels, tandis que les dialogues réduits au minimum évoquent l'ère du muet. Terrifiant et empreint d'humanité, le Dracula incarné par Klaus Kinski s'impose comme une interprétation légendaire, tandis qu'Isabelle Adjani incarne une Lucy Harker sacrificielle avec une intensité mémorable.

C'est donc à l'aune de ces deux monuments du cinéma et des images indélébiles qu'ils ont gravées dans la cinéphilie mondiale que le Nosferatu d'Eggers sera évalué. Disons-le d'emblée : si l'on compare la narration des trois versions, ce quatrième long métrage du réalisateur de The Lighthouse n'apporte pas de rupture significative. Comme Herzog, Eggers rend hommage à Murnau, mais avec une touche contemporaine qui, bien qu'efficace, reste timide et peu marquée, un peu à la manière de Spielberg avec son remake de West Side Story.

L'originalité du Nosferatu de Eggers repose principalement sur la relation complexe entre Ellen Hutter (Lily-Rose Depp) et le comte Orlok (Bill Skarsgård), scellée par un pacte secret passé alors qu'Ellen était encore adolescente. Cette approche approfondit le statut d'amoureux transi du vampire et explique en grande partie les trente minutes additionnelles du film.

En outre, Eggers met en avant des personnages féminins plus fouillés et déterminants (celui d'Anna Harding prend une ampleur inattendue), étoffe les rôles secondaires et introduit des références directes à la pandémie de COVID-19 ainsi qu'à l'obscurantisme persistant dans nos sociétés modernes, comme en témoigne l'humour cinglant de la réplique du professeur von Franz, incarné par Willem Dafoe : " Je ne suis qu'un touriste dans ce monde occulte. " Le dernier tiers du film, porté par des accents héroïques, adopte également un traitement distinct.

Sur le plan visuel, Nosferatu bénéficie de reconstitutions soignées, bien que certains effets numériques soient étonnamment assez sommaires, notamment lors du voyage en bateau d'Orlok. Le monstre lui-même, représenté comme une créature sanguinaire géante et difforme, est à la fois trop explicite et peu en phase avec l'ambiance générale. Malgré ces réserves, le rythme soutenu et la mise en scène maîtrisée garantissent une immersion assez intense, bien que le suspense ne soit que très limité.

En somme, ce Nosferatu ne réinvente pas le film de vampires, ne rivalise pas avec le chef-d'œuvre de Murnau et ne parvient pas à faire oublier le visage du Dracula de Herzog. Eggers propose néanmoins un drame d'horreur gothique ponctué de " jump scares " efficaces. La scène finale, dans laquelle le vampire agonise dans les bras de sa douce et torturée dulcinée, constituant l'un des rares moments véritablement mémorables de cette version.

Sortie au Québec et en France : 25 décembre 2024