Un vide abyssal s'installe lorsque l'on perd un être aimé, un vide qui ne se mesure pas seulement à l'absence physique, mais qui s'immisce dans chaque fibre de notre existence. Le départ de ma femme ne m'a pas seulement dérobé sa voix, ses gestes, ni laissé une maison désertée. Non, elle a emporté avec elle une part de moi, celle qui s'épanouissait dans son regard, celle qui vivait pour elle. Dans ce silence accablant, j'ai rencontré un besoin insoupçonné : celui de la solitude.
Ce désir de solitude s'est intensifié à mesure que je réalisais à quel point je ne pouvais plus vivre dans notre foyer commun. Ce lieu, autrefois vibrant de rires, de confidences et de projets partagés, s'était pétrifié. Chaque pièce, chaque objet, captivait son essence, me renvoyant à une histoire que je ne pouvais plus supporter. La cuisine, sa pièce de prédilection, fraîchement rénovée, la chambre, où son absence dans le lit faisait écho à mes pensées, le divan sur lequel elle s'allongeait pour regarder la télévision - tout cela criait son absence. Ainsi, j'ai pris une décision délicate, mais essentielle : partir et ne jamais revenir.
Ce n'était pas une évasion, ni une tentative d'effacer le passé. J'étais profondément conscient que, peu importe où j'irais, elle demeurerait ancrée dans ma mémoire. Mais vivre ici, entre ces murs, c'était se condamner à une existence figée, sans espoir d'avancer. J'avais besoin d'un espace nouveau, un terrain neutre où je pourrais commencer à reconstruire, à redéfinir ma vie sans sa présence physique.
Lorsque je suis parti, un sentiment ambivalent m'a envahi ; un mélange de vertige et d'apaisement. La maison que je quittais représentait une partie de moi - ce moi qui, autrefois, vivait dans un " nous ". Dans cette solitude nouvelle, loin des souvenirs palpables, j'ai commencé à prendre la mesure de ce besoin d'être seul.
Être seul dans ce nouvel environnement, chaque recoin encore inexploré, m'a prodigué une forme de réconfort. Ce n'était plus la solitude suffocante d'une maison peuplée de fantômes ; c'était l'embrasure d'une page blanche, prête à être écrite. Ici, je pouvais pleurer sans retenue, laisser mes larmes s'épanouir dans l'ombre de notre passé commun. Ici, je pouvais progressivement me réinventer, sans le poids de notre histoire.
Ce chemin est semé d'embûches. Cette solitude m'a contraint à affronter des pensées que je fuyais, des questions pour lesquelles je n'avais pas encore de réponses. Pourtant, elle m'a aussi offert un refuge. J'ai redécouvert la beauté des gestes simples : regarder par la fenêtre avec une tasse de thé, écrire dans un journal ou flâner dans mon nouveau quartier. Ces instants, aussi anodins soient-ils, sont devenus des ancres - des preuves vivantes que la vie continue malgré tout.
Ce besoin d'être seul ne signifie pas un abandon total. Je n'ai pas rompu tout lien avec le monde extérieur, mais j'ai appris à établir des limites. Mes proches et amis, dans leur bienveillance, s'efforcent de combler le vide par leur présence, leurs mots, leur amour. Mais j'étais conscient que rien ni personne ne pourrait occuper cette place. Ce vide, je devais apprendre à le porter seul, à mon propre rythme.
Quitter la maison n'a pas effacé la douleur, mais cela m'a permis de respirer à nouveau, de voir un avenir où le poids du passé ne serait pas une entrave. La solitude, dans cet environnement renouvelé, s'est métamorphosée en un refuge. Elle m'a permis de me retrouver, de me redécouvrir, d'apprendre à vivre autrement.
Je ne sais pas encore où ce chemin me conduira. Peut-être qu'un jour, j'ouvrirai ma porte un peu plus largement, laissant entrer plus de lumière, plus de vie. Mais en cet instant, je savoure cette solitude comme une nécessité ; un espace sacré qui me permet de rendre hommage à ce que j'ai perdu, tout en avançant doucement vers ce qui reste à construire.
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