Roman biographique - 230 pages
Editions Flammarion - avril 2024
Gaël Tchakaloff s'intéresse à Léa Vicens, cette rejoneadora (torero combattant le taureau à cheval à l'aide d'un javelot de bois) nîmoise qui s'est installée en Espagne où elle est devenue une grande figure de la tauromachie. Culottée, elle s'impatiente devant l'absence de retour de la star à ses sollicitations, et se rend chez elle pour s'introduire sur son domaine. Une relation s'instaure entre les deux femmes, acceptation de la part de Léa, admiration subjuguée de la part de Gaël. Durant l'année 2023, l'autrice, la curieuse, d'abord révulsée par la vue du sang et la violence des arènes, l'a suivie partout, à de nombreuses ferias ou ailleurs...
Un portrait glissant sur plusieurs mois, à travers les yeux de Gaël essayant d'échanger, soutirer des informations de la très réservée Léa, de comprendre ses regard, ces ordres à demi-mots, ces coutumes et ces us dans l'entourage proche, le quotidien de son équipe et des banderilleros, la place du cheval roi des rois. Une attirance charnelle ? Rien n'est confirmé.
Léa Vicens, cette jeune femme adoubée et formée à Séville par Ángel Peralta, maître d'équitation et intellectuel, représente l'étoile montante féminine de cette pratique tauromachique. Malgré la plus faible considération pour les rejoneadores par rapport aux toreros à pieds, il est vrai qu'elle suscite un déferlement de passions sentimentales ou dévotes sur son passage.
Extrait :
"Elle dort seule avec cent trois animaux et deux revolvers. Seule au milieu de nulle part, entourée de steppes et de champs d'oliviers, à quelques encablures du détroit de Gibraltar. Elle n'a pas d'adresse, pas de lieu-dit, pas de boîte aux lettres. Pour aller chez elle, il faut indiquer au taxi le kilomètre 40 sur un chemin conduisant à un village que personne ne connaît.
Un grillage sert d'entrée, deux panneaux signalent le danger du bétail en liberté. Des corps de taureaux, prisonniers d'un cercle rouge, barré. En contrebas, une piste de pierres et de sable rouge s'ouvre sur soixante-dix hectares pelés, étalés en crêpe.Son ombre de cow-boy surgit dans les dernières expirations du jour. Devant sa finca de chaux et de bois aux découpes stellaires, rien ne dépasse de son reflet filiforme projeté au sol sinon deux petits cercles crantés d'éperons et la grande roue d'un chapeau de gardian."La fascination se poursuit au contact de la belle torera farouchement éprise de liberté. Elle se poursuit sur le fil de l'ambivalence. On est à la fois impressionné par sa liberté de fait, par sa force dans ce monde "tauro-machiste", par l'âpreté de ce qu'elle côtoie, par son courage à toute épreuve même quand toutes les superstitions lui annoncent un drame au prochain combat ou lorsque ses collègues d'écurie lui mettent des bâtons dans les roues. Jamais une plainte. On ne la comprend pas toujours lorsqu'elle réfute toute posture féministe, refuse d'être identifiée comme torera, se plie à des considérations traditionnelles et des héritages claniques sans vouloir faire de vagues. Les seules vagues qu'elle s'appliquent à faire sont celles du style à déployer sur l'arène jusqu'à la fanea.Sur la forme, le récit se lit comme un reportage hybride, tantôt récit journalistique dans une langue soignée, tantôt extraits du journal intime de L.V. ou encore monologue intérieur de Gaël en proie à ses émotions ou évanouissements en plein callejón. Dans son empire elle règne au plus proche de tous les animaux et sur l'arène, elle tue.
Extrait :"Telle Artémis, Léa est une déesse des animaux et de la nature sauvage. Chasseresse, Walkyrie des fauves et souveraine des bêtes, elle exerce un droit de vie et de mort sur la faune parce qu'elle la comprend mieux que quiconque."
Plus familière des courses camarguaises que des corridas, j'ai lu ce livre avec grand intérêt. C'est un document rare sur un monde méconnu et décrié, lourd de contradictions et de beauté fatale.
Ode à l'éclat de la corrida de rejón - Feria de NîmesRencontre en librairie autour du roman - L'écume des pages