Dans la forêt

Publié le 04 février 2025 par Adtraviata

Quatrième de couverture :

Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans, vivent depuis toujours dans leur maison familiale, au cœur de la forêt. Quand la civilisation s’effondre et que leurs parents disparaissent, elles demeurent seules, bien décidées à survivre. Il leur reste, toujours présentes, leurs passions de la danse et de la lecture, mais face à l’inconnu il va falloir apprendre à grandir autrement, à se battre et à faire confiance à la forêt qui les entoure, remplie d’inépuisables richesses.

Difficile de parler de ce roman si beau malgré son cadre rude, hostile au départ. On peut parler de contexte post-apocalyptique mais Jean Hegland (la belle, la lumineuse Jean Hegland rencontrée en librairie il y a quelques jours, avec Oliver Gallmeister en personne – c’était une soirée idyllique), l’auteure donc préfère parler d’une formidable histoire qu’elle a inventée, l’art d’inventer des histoires étant pour elle le propre de l’homme. Elle était également intéressée par le développement d’une relation entre soeurs.

On est donc dans un monde où l’électricité, le téléphone ne fonctionnent plus, où des rumeurs de guerre civile, d’épidémies circulent sans aucune possibilité de les vérifier. Nell (la narratrice, la soeur la plus jeune) et Eva vivent seules à la lisière d’une forêt. Elles ont perdu leurs parents, qui leur ont donné une éducation libre, pleine d’amour et d’humour. Nell, surdouée, rêve de s’inscrire à Harvard, Eva s’entraîne avec acharnement pour rejoindre un corps de ballet. Si les deux filles s’accrochent à leur rêve, elles doivent petit à petit accepter que leur monde s’est effondré et que leurs projets risquent de ne pas se réaliser. Elles vivent d’abord sur les réserves accumulées par leur père avant de mourir, puis apprennent à se débrouiller pour se nourrir, se soigner, grâce à la forêt. Les souvenirs du monde d’avant, des rencontres inattendues, le temps qui passe différemment, le lien avec le temps qu’il fait les font évoluer. Le titre du roman, très simple, évolue au fil des pages, prend des sens multiples. Bien sûr, la relation entre les deux soeurs évolue elle aussi : on ne peut pas vivre recluses au fond de la forêt sans traverser des moments critiques.

Il faut lire ce roman passionnant, plein de tendresse et de courage, où le lien avec la forêt sauvage et protectrice à la fois redonne à la vie humaine sa juste place et annonce la possibilité d’une relation équilibrée entre l’homme et la nature. L’amour entre Nell et Eva, leur capacité de résilience, d’adaptation, chacune avec sa sensibilité, chacune à son rythme, est une richesse inoubliable. Merci, Madame Hegland, pour cette pépite. Et bravo à la traductrice Josette Chicheportiche.

« Mon père a toujours méprisé les encyclopédies.
– Il n’y a aucune poésie en elles, aucun mystère, aucune magie. Étudier l’encyclopédie, c’est comme manger de la poudre de caroube et appeler ça de la mousse au chocolat. C’est comme écouter des lions rugir sur un CD et penser que tu es en Afrique, se plaignait-il après avoir passé un après-midi à essayer de convaincre la prof de la classe des grands de l’école élémentaire de laisser ses élèves s’initier à la recherche scientifique en élevant des têtards et en cultivant des moisissures plutôt qu’en recopiant des articles de l’encyclopédie. »

« Je n’ai jamais vraiment su comment nous consommions. C’est comme si nous ne sommes tous qu’un ventre affamé, comme si l’être humain n’est qu’un paquet de besoins qui épuisent le monde. Pas étonnant qu’il y ait des guerres, que la terre et l’eau soient polluées. Pas étonnant que l’économie se soit effondrée. »

Jean HEGLAND, Dans la forêt, traduit de l’américain par Josette Chicheportiche, Totem Gallmeister, 2018 (Gallmeister, 2017)

A noter qu’une nouvelle édition du grand format vient de paraître, avec la suite Le temps d’après (que je lirai… plus tard).