Je discutais avec un ami qui a lu les deux romans de l’écrivain malien Diadié Dembélé. Et nous sommes arrivés à la même conclusion. Ce jeune romancier monte en puissance.
Ok. Mais qu’est-ce que dans le fond signifie cette idée ? Et pourquoi mettre cette charge sur un auteur, par une telle introduction ? On perçoit, en tant que lecteur, une évolution entre deux œuvres littéraires d’une part. De l’autre, on saisit au travers du second texte, les marges de progression possible que l’écrivain semble hyper-motivé de combler. On le sent. Bon, je parle beaucoup, tous ces commentaires sont très théoriques.
Le plan.
Quand tu veux faire un braquage de banque, et surtout si tu as envie de le réussir, tu prépares minutieusement ton coup. Il n’y a pas de place, une once d’espace pour l’amateurisme. Ce que je vois, chez Diadié Dembélé, c’est le plan. Tout me semble bien séquencé. Par exemple géographiquement, on peut du pays soninké, d’un arrière-pays malien, pour transiter vers Bamako, avant de débarquer en Île-de-France. Ça, c’est le mouvement, le canal, la voie qui va encadrer la démarche. Mais pour cela, il faut un élément déclencheur, un aléa climatique, une sécheresse destabilisante qui pousse les jeunes à partir. Car, il faut nourrir celles et ceux qui sont condamnés à périr. Un nouveau flux se met en branle.Les personnages.
Pour incarner l’impact du chaos, il nous faut des hommes. Il faut tisser des liens entre ces personnages. Ici, nous avons le fils d’un notable, Toko, et le fils méprisé d’un commerçant ayant fait banqueroute, Manthia. Ces deux hommes sont des amis de longue date. Des amis collé-collé. Toute action non mutualisée est une effroyable trahison ou perçue comme telle. Peut-on parler d’une amitié sans la faire vivre, offrir aux lecteurs les limites de tels liens en situation de crise. Car dans le fond Diadié Dembélé sait échapper aux pièges de l’histoire simple et du manichéisme. Une amitié est une sinusoïde irrégulière certes, aucunement le plat régulier d’une mort sans résurrection. A partir d’une amitié aussi forte, on peut également mesurer l’ampleur des choix, de la manière de faire l'aventure. Manthia et Toko. Bien qu'amis depuis l'adolescence, depuis ce village au environ de Yelimané, au Mali, les deux hommes en formation n'aborde pas la nécessité de partir de la même manière. Manthia pense qu'il faut affronter avec une forme d'obsession les difficultés climatiques. Alors que Toko est beaucoup plus pragmatique et il observe les mouvements autou de lui. Il faut l'injonction de son père pour Manthia se décide à partir pour la ville. La manière avec laquelle il le fait marque un premier coup de canif à ce contrat d'amitié, une trahison... Que Toko sera dépassé... Le roman montre comment ces deux hommes vont continuer ce chemin fait de devoirs et d'entraves. J'ai été marqué par la pression familiale exercée sur ces personnages.L’univers soninké.
Diadié Dembélé me plonge dans une société avec des codes précis. Si les solidarités sont fortes, elles ne sont pas partagées par tous. Je publie cet article après avoir reçu les écrivains Diadié Dembélé et Fanta Dramé dans mon émission littéraire Les lectures de Gangoueus. Et j’avoue que je suis fasciné par cette communauté d’Afrique de l’ouest, extrêmement conservatrice, héritière des valeurs de l’ancien Ghana. Il y a 20 ans, j’ai fréquenté plusieurs mois le forum du site Soninkara.com. J’y ai découvert les castes de cette société, ses Bathily, ses Sakho, ses Dembélé, ses Cissé… C’est juste pour vous dire ma fascination pour cette communauté qui dans les années 1970 représentait 75% des populations subsahariennes en France*. Un des points d’entrée de cette communauté en France, c’est le foyer Sonacotra. Dans la phase française du parcours de ces deux grands hommes et demi, le foyer c’est le lieu de construction et du rappel de la mission première : soutenir la famille restée au bled. S’éloigner de cette vision, c’est se perdre. C’est s’exclure. Manthia est de ce point de vue de la « mauvaise graine ». Il ose dénoncer l’arnaque de son cousin qui lui prête ses papiers et qui a un deal avec son père au village et son oncle à Bamako. Les hommes sont liés par des paroles qu’il faut respecter. Manthia, sans défier son père, a toujours été perçu comme fainéant et peu fiable par ce dernier. Vision fausse, mais qui construit l’individu. Son ami, Toko, file doux. Il semble porté par une bénédiction communauté là où Manthia le serait par le mal dire de son père.Médiation. Traduction. Ecriture.
Quand on se retrouve en centre de rétention, parce qu’un mouvement pour régulariser des sans papiers qui ressemble à celui de l’église Saint Bernard se termine mal pour certains, la médiation est nécessaire. Manthia. L’interprète soninké. L’avocat. Parce qu’il faut bien raconter l’histoire, le parcours et convaincre de sa présence sur le territoire. C'est même, pour être précis, un interrogatoire. Cela passe par la langue. Là où Diadié Dembélé excelle, c’est sur ces questions autour de la parole donnée, de la langue, de son interprétation. Il joue aussi la langue soninké qui introduit par des maximes, des proverbes. Deux grands hommes et demi annonce un très grand romancier. Car si ce livre pêche légèrement sur son final, il est une remarquable plongée dans le monde auteur versé dans sa culture qu’il questionne brillamment. Son écriture est tantôt incantatoire, tantôt à hauteur des susurrements d'une amitié moribonde, tantôt entremêlée avec l'oralité soninké. À lire.Pour le plaisir, l'incipit :
Entre le massif de l'Assaba et le fleuve Sénégal, on ne dit pas un mot de l'aventure vers l'inconnu. Rien! Pas un son articulé, ni un bruit ayant la forme d'une syllabe, d'un cri, d'un soupir ou d'une respiration bruyante. Chut! Ne faites pas fuir la bravoure dans le coeur des jeunes garçons endormis. Mettez les mains fières devant vos bouches ensanglantées. Enfouissize vos visages disgracieux dans la terre. Cachez-vous derrière lamaison de votre père, et ne revenez pas avant d'avoir camouflé l'excrément de lâcheté qui a giclé sur votre honneur, dès que votre bouche a souhaité dire la vérité. Un homme ne se plaint pas
Diadié Dembélé, Deux grands hommes et demi
Editions JC Lattes, 228 pages