Viens jouer le jeu de la guerre

Par Olivier Roumieux

J'ai revu l'autre soir Wargames (John Badham, 1983) et je m'en vais vous narrer ce mythe fondateur, à l'origine de nombreuses vocations. Alors si aujourd'hui vous travaillez chez Microsoft alors qu'à douze ans vous vous rêviez en pirate des réseaux, cette relecture est pour vous.
C'est l'histoire de David Lightman, un jeune cancre américain de 17 ans qui possède dans sa chambre un ordinateur avec écran hublot et gros modem. Juste avant que notre héros se connecte à l'histoire, nous suivons une réunion au Norad (Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord) où il est décidé, contre l'avis des militaires, de ne plus avoir recours à des agents humains pour lancer des missiles, mais plutôt au système WOPR (War Operation Planned Response), réputé infaillible.
Première acte de bravoure de notre héros hacker : changer ses notes de biologie et celles d'une copine, directement depuis sa chambre avec sa grosse babasse : un coup de fil à l'ordinateur, le login récupéré dans le tiroir de la secrétaire du dirlo et hop le tour est joué, c'est comme cela que ça se passe dans les écoles américaines en 1983 !

Objectif Protovision

Le lendemain matin, David feuillette une brochure Protovision qui annonce le lancement de nouveaux jeux : ni une ni deux il fait composer toute la nuit le modem afin qu'il trouve le numéro d'accès au serveur de Protovision. Eh oui, à cette époque on n'a pas encore inventé le Web et on ne trouve pas encore de www en bas de chaque pub pour des serviettes hygiéniques ou du café.
Il accède enfin au serveur convoité le lendemain, toujours en compagnie de sa copine (avec laquelle il n'a évidemment encore tenté aucun « scan de port », le nigaud). Une simple commande « list games » lui permet de faire dérouler la liste des jeux disponibles. David néglige les jeux de dames ou d'échecs pour évidemment jeter son dévolu sur le dernier choix, comme par hasard : « Global Thermonuclear War ». Imaginez un peu ce qu'aurait pu devenir ce film si David avait choisi le Pendu pour épater sa copine (bon là toutes mes félicitations à ceux qui suivent et ont compris les grosses allusions cachées derrière cette dernière phrase).
La scène suivante apprend à David le concept de backdoor : chaque développeur se créé un login particulier pour accéder directement au système pleinement fonctionnel, il « suffit » de connaître cet accès pour pénétrer indûment dans le système (une astuce qui sera pas mal utilisée plus tard de l'autre côté de l'Atlantique, avec le Minitel).

« Shall we play a game »

Le jeune adolescent se met alors en quête (sans Jennifer) de la backdoor qui pourrait lui donner accès au jeu désiré. A partir du nom du jeu « Falken's Maze », il découvre que Falken est un scientifique décédé en 1973 et qui avait créé un système qui apprenait de lui-même à apprendre, un modèle primitif d'intelligence artificielle, en somme. Sa femme et son fils Johua sont décédés tragiquement dans un accident de voiture. David se connecte avec le login joshua et crac, le système le reconnaît comme le professeur Falken. Ce qui est chouette, c'est que l'ado possède en plus un module de synthèse vocale qui renforce l'impression de se croire dans un film. A noter que le serveur demande un logon et même pas de mot de passe. Si un internaute peut m'expliquer la différence entre login et logon, je suis preneur.
« Shall we play a game ? », demande le système sournois.
« Global Thermonuclear War », répond cette bourrique de David, qui prend illico les Russes pour attaquer Las Vegas et Seattle, sa hometown.
Changement d'ambiance, ça commence à s'agiter du côté des gros bonnets de la Norad qui ont détecté sur leur écran gigantesque une attaque des Ruscofs. L'alerte tourne court car David s'est déconnecté pour descendre les poubelles (eh oui, tout nerd reste humain) mais on en parle tout de même à la télé, ce qui panique pas mal David. Heureusement que Jennifer est là pour le calmer (comment, je ne vous le dirai pas).
Malédiction, le serveur rappelle chez David et entend bien continuer la partie, malgré le fait que David arrache la prise du téléphone. Ce qui devait arriver arriva : le FBI débarque chez David et l'embarque devant les yeux médusés de ses parents. Après quelques péripéties tues grâce à une habile ellipse, David arrive à s'échapper après avoir enregistré sur un petit magnéto la fréquence vocale du code d'ouverture de sa geôle. La reproduction sonore de signal est une technique détournée pour la première fois par le fameux Captain Crunch, premier des phreaks, pour téléphoner gratuitement (nous y reviendrons dans un autre billet).

Même pas mort

Encore plus fort, David utilise une bout de métal pour obtenir la ligne dans une cabine téléphonique (je connaissais le coup de l'allume-gaz pour créditer le flipper mais pas celui-ci, de toutes façons on s'en fiche, les cabines téléphoniques n'existent quasiment plus en France). Il appelle Jennifer et elle le rejoint – un peu facilement il faut le reconnaître messieurs les scénaristes. Tous les deux ils prennent un bateau et débarquent sur une île où ils retrouvent le véritable Falken, même pas mort, mais en fait caché parce que c'est lui l'inventeur de la créature surpuissante et artificiellement intelligente que l'on appelle WOPR (je l'ai bien aimé ce film, moi).
De fils en aiguille, on se retrouve tout de même au niveau Defcon 2 (Defense Condition), le suivant signifiant l'état de guerre nuclaire, brrrr. Le WOPR se complaît à faire clignoter toutes ses lumières rouges et jaunes pour faire genre je cogite à donf, je vous prépare un méga-champignon qui restera dans les annales. Ah oui, ça me fait penser que sur l'île du savant fou, nos deux jeunes héros ont failli conclure. S'ils avaient pu le faire, je ne serais pas là à vous narrer cette histoire puisque la bombe nous aurait tous bel et bien grillé. Mais nos jeunes frustrés préfèrent rentrer au Centre de commandement en Jeep, accompagné de leur chaperon Falken. Celui-ci arrive à persuader l'ensemble des troufions supérieurs que tout cela est une simulation, du bluff !
Malheureusement il n'est plus possible de désengager les missiles et le système vicelard cherche à deviner tout seul les codes de lancement. David a alors une idée de génie, il enclenche sur le système une partie de Tic-Tac-Toe (que l'on appelle également « morpion », mais ça n'aurait pas super plu à Jennifer) mais au lieu de se prendre le chou comme on a pu le faire nous avec Merlin, il fait jouer l'ordinateur contre lui-même. Ce qui ne tarde pas à provoquer moultes explosions synonymes des plantages que rencontre le WOPR abusé (et c'est là qu'on remercie Bill Gates d'avoir inventé l'écran bleu de la mort, c'est moins dangereux).

The only winning move is not to play

Le problème qui embête notre ami très artificiellement intelligent, c'est que dans une guerre nucléaire, personne ne gagne (t'entrevois la morale, ami lecteur qui m'a suivi jusqu'ici ?), ce qui n'arrange pas les affaire de notre tas de ferraille binaire. Qui conclut vaincu : « a strange game : the only winning move is not to play. »
Voilà, le monde est sauvé et finalement, on a vu moins d'ordinateurs que je l'espérait au début du film. On retiendra tout de même que David réalise ses exploits à partir d'un IMSAI 8080 associé à un modem de type coupleur acoustique. Un dispositif pas forcément à la pointe de la technologie car, comme nous l'apprend Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/wiki/IMSAI_8080), ce type de modem était déjà dépassé en 1983 et le modèle d'ordinateur présenté était sorti aux Etats-Unis sept ans auparavant !
Au-delà de cet aspect matériel, nombre de situations et de clichés sont mis en place dans le film, certains pour la première fois exposés à la vue du grand public. C'est le cas évidemment du jeune hacker prodige, américain Wasp qui n'a rien d'un terroriste mais cherche juste à accomplir des prouesses. La chambre close ouverte sur le cyber-monde grâce au modem donnera lieu également à d'autres représentations ultérieures. Enfin, non des moindres, la thèse cybernétique selon laquelle les machines serviront avant tout à pallier les faiblesses des hommes, et ainsi à préserver l'humanité de sa chute, est ici battue en brèche. Une remise en cause des progrès de la science post-Hiroshima incarnée par le pessimiste professeur Falken : « l'extinction fait partie de l'ordre naturel des choses ».

Revivre l'aventure en texte : http://www.cswap.com/1983/WarGames/cap/fr
Article Wikipedia sur le film : http://fr.wikipedia.org/wiki/WarGames