Il grandit en Amérique du sud puis s’installe en banlieue parisienne… Des études d’arts appliqués, une formation à l’animation aux Gobelins puis la découverte du graffiti en 1984, sur la ligne B, aux environs de la gare d’Arcueil-Cachan. Mambo est avec Scribe des Ulis lorsqu’il rencontre Asphalt dans le RER : ce jour-là, il ne le sait pas encore mais sa vie va basculer.
Ton graff sur la ligne B représentant un corps de femme dénudée sur un lettrage Mambo a marqué les esprits dans les années 80 ! Tout d’abord, peux-tu nous dire à quel moment tu as commencé à taguer ?
J’ai commencé après avoir rencontré Asphalt. Mon premier tag, c’était à la gare de Bures-sur-Yvette. Scribe, qui est Suédois et était punk à l’époque, débarquait de Londres et avait déjà tagué. Il m’a montré ce que l’on pouvait faire avec une bombe et cela a été la révélation. Je dessinais déjà beaucoup et j’avais plein d’idées, cela a donc vite démarré. A l’époque, je ne connaissais pas encore la culture Hip Hop, c’est Asphalt qui me l’a fait découvrir, en me montrant par exemple Subway art. Un peu plus tard, c’est Sib, mon « partner in crime » qui m’a permis de bien la comprendre parce que lui avait vécu à New York.
Est-ce ton pseudo depuis le début ?
C’est Mambo depuis le début ! Je débarquais d’Amérique latine, où j’ai grandi, et la sonorité afro-latine me plaisait et me correspondait : j’ai tout de suite vu que cela plaisait à mes amis. Pendant un moment, j’ai ajouté Disney après Mambo pour avoir plus de lettres et taper des styles de tags plus fous. A la fin des années 80, il y avait vraiment une compétition de styles à Paris, qui générait des tags sublimes : c’était vraiment motivant. Ensuite, cela est devenu une « battle » de quantité et de visibilité. Une autre raison pour laquelle je m’appelle Mambo, c’est probablement à cause de « Mambo To Hip Hop » (c’est un documentaire d’Henry Chalfant qui évoque les liens entre cette musique et la culture Hip Hop).
Qu’est-ce qui t’inspirait avant de découvrir la culture du graffiti new yorkais ?
Au début, je ne connaissais pas le graff de New York et mon inspiration venait de la musique que j’écoutais (jazz, pop, funk) et des détournements de publicités dans l’esprit pop culture du milieu des années 80. J’adorais le travail de Goude, Mondino, les Aviateurs, Jean-Paul Gauthier, la musique de Kid Creole et des B52’s… Et toute cette créativité graphique et colorée ! Parmi les visuels qui m’ont influencé, il y avait une pochette de l’album « Beat crazy » de Joe Jackson et les clips de Farid Chopel tout comme ceux de Spontex… Je détournais le concept de Banania en « Mambo y’a bon », avec la tête de Louis Armstrong portant un fez. J’adorais les pochoirs de Speedy Graphito, je traînais à l’atelier des Puissances Populaires et j’adorais les fresques du Baron rouge dans le XIVe au niveau de la rue de l’ouest.
Quelles sont les personnes que, par la suite, Asphalt t’a présentées ?
Quelque temps après ma rencontre avec Asphalt, un article a paru dans Photo Revue avec des métros parisiens peints par lui, Blitz, Bando et Ash. Un peu plus tard, nous nous sommes revus et il m’a présenté Monkey Finger et Spirit puis j’ai intégré la Force Alphabétick. Nous nous retrouvions le week-end chez Asphalt, qui habitait à 50 mètres de chez Bando. Pour moi, tout est parti de là pour le graff parisien : la Force Alphabétick, les CTK, les BBC, tout le monde était là.
As-tu peint avec Bando ou les BBC ?
Non… Nous nous connaissions et nous nous croisions souvent entre la rue du Bac et Odéon, mais je peignais avec Asphalt, Blitz, Monkey Finger et Spirit au début. Mon vrai partenaire était Sib one, qui est entré dans le groupe lui aussi.
As-tu peint des métros à cette époque ?
J’ai plutôt peint des RER, parce que j’habitais en banlieue au début. Je passais souvent mes nuits du côté du parc Montsouris mais, à l’époque, nous devions être douze à peindre : les trains ne circulaient pas et je ne trouvais pas cela motivant. Nous avions des appareils photos « instamatic » pourris qui faisaient des photos floues et personne ne les voyait, alors je me suis intéressé aux murs le long des voies puis aux tunnels, aux entrées de station… C’était plus motivant et certains sont restés visibles des années.
Quels étaient les endroits où tu peignais au début ?
En dehors de la ligne B, j’ai d’abord beaucoup peint aux Ulis. Ensuite, avec la Force, sur les palissades du Louvre durant le chantier de la pyramide, où se déroulaient en fait les fouilles à cette époque. Nous discutions avec les archéologues qui adoraient les graffs. Puis nous avons peint dans les terrains vagues de Mabillon, la première usine éphémère à Danube et au terrain de Mouton-Duvernet. J’allais aussi à Stalingrad, car mon lycée était situé à côté pendant deux ans (1986-1988) et j’y ai peint un peu, mais les BBC n’aimaient pas vraiment cela, ce que je comprends vu le passage qu’il y avait.
Qui as-tu croisé à Stalingrad ?
Les BBC, forcément. Sign, Squat, Vintz, Muck, Sheek, Joey, Osé, Saxo, Dee Nasty, Jonone, Shoe, Tee J, Kaze… En gros, tous ceux qui traînaient entre Ticaret et Stalingrad, la semaine comme le week-end.
Quel est selon toi le premier à taguer en banlieue sud ?
Je ne me souviens pas de tous les noms, mais il y avait quelqu’un à Bagneux qui peignait déjà très bien en 1984.
Peux-tu nous parler de la Force Alphabétick ?
Asphalt, Blitz et Spirit ont créé la Force Alphabétick. Ensuite, Monkey Finger, puis moi, Sib et Riko, nous les avons rejoints. Nous avons réalisé quantité de choses ensemble : des graffs mais aussi des fresques, des décors de scène, des murs peints. Nous avons vite eu envie de se professionnaliser. Nous étions tous plus ou moins issus de familles évoluant dans les milieux culturels et nous savions que la création devait passer aussi par la rigueur technique et l’organisation. Cela nous a permis de réaliser beaucoup de choses, comme des performances sur scène dans plusieurs festivals et soirées Nova, Actuel, Baifal dream ; des murs peints à Paris, à Chicago, en Inde… King Kali, qui était notre coordinateur, a beaucoup contribué à cette quête de qualité, Blitz aussi. Nous étions proches de la famille Farrel, qui travaillait déjà dans l’art contemporain et qui nous permettait d’avoir des repères. J’étais proche de Gilles Mahé aussi, qui m’a beaucoup conseillé : plus tard, en 1994-95, j’ai été assistant de Sol LeWitt sur une vingtaine de wall drawings, cela m’a beaucoup appris.
As-tu peint à l’étranger entre tes débuts et le milieu des années 90 ?
En fait, j’ai commencé à voyager pour peindre précisément en 1990 à Bruxelles, Milan où j’ai beaucoup peint puis Prague. Ensuite, avec la Force, entre 1991 et 1995, à New York, Montréal, Chicago, Londres et surtout en Inde, en 1993 : c’était énorme !
Tu as certainement exposé ton travail sur toile assez tôt en galeries ?
J’ai exposé pendant quelques années chez Magda Danysz : seul ou avec Dave Kinsey en 2001, et avec Sang9 en 2002. Parmi les plus mémorables pour moi, il y a eu ces expositions chez Agnès B. en 2001 et 2009, au centre Pompidou en 2008 (peinture fraîche avec le 9e Concept), la Street biennale à Rio de Janeiro en 2009 puis Sao Paulo en 2010. Il y a eu aussi « This is me à Tokyo » en 2002, avec Jonone, Ewan Hecox, Simon True, Marke Newton… Ce sont d’excellents souvenirs.
Vis-tu du graffiti art ?
Oui, je vis de ce que je fais mais je n’appelle pas cela du graffiti art, juste de l’art. Je pense que les cases sont des définitions nécessaires pour comprendre ce que nous avons devant les yeux. Mais une fois que nous nous y intéressons vraiment, il faut considérer chaque artiste individuellement. Mon langage et mon état d’esprit ne sont pas uniquement le fruit de mon origine graffiti dans l’art. Ma culture, ma famille, mon parcours, mes voyages et mes rencontres comptent autant, si ce n’est plus. Pour moi, le graffiti a été une école, comme d’autres artistes ont fait les Beaux-arts.
Peut-on qualifier ton travail pictural de post-Graffiti ?
C’est déjà le cas, que je le veuille ou non ! Personnellement, je trouve cela réducteur, mais ce n’est pas très grave. Est-ce que l’on dit de Philippe Ramette qu’il est post-Beaux arts ? Pourtant, en voyant son travail, nous nous doutons bien qu’il est passé aux Beaux-arts. C’est un peu pareil pour moi, le graff a été comme une école.
Tu utilises les codes graphiques du graff, les typos « BD underground » et des personnages Street art. Tu as su digérer toutes ces expressions artistiques pour produire une œuvre personnelle. Te sens-tu au centre de tout cela, à la croisée des chemins d’une certaine manière ?
Oui, bien entendu. J’adore Seen et Dondi, Crumb et Rick Griffin ou Barry Mc Gee. Mais j’adore aussi Jean Dubuffet, Roy Lichtenstein, Pollock, l’art minimaliste, l’art aborigène, l’art brut, certains expressionnistes ou Pop artistes. Si l’on oublie un peu que je viens du graff, l’on peut trouver ces influences dans certains détails.
Qu’est-ce qui te pousses à continuer à peindre dans la rue ?
Le goût du défi et le plaisir de voir une pièce dans un décor naturel. Cela me plait autant que de faire une belle installation dans un musée. Je varie les plaisirs.
Quelle est la différence entre ton travail dans la rue et celui que tu proposes en galerie ?
Dans la rue, je recherche l’efficacité, l’impact visuel, la visibilité de loin et je joue avec le décor surtout. En galerie, c’est un travail complètement différent, on est seul. Lorsque tu places une toile sur un mur blanc et un éclairage, tu ne peux pas tricher. Ton travail doit être solide. Je ne veux pas dire que c’est facile de faire des choses dans la rue mais on bénéficie du décor, qui met en valeur le travail. Dans une galerie, tes qualités picturales sont beaucoup plus mises à l’épreuve. Dans mes œuvres exposées, je cherche à parler aux gens avec plus de subtilité que dans la rue, en suggérant des sentiments, des idées, des émotions. Dans la rue, on lutte avec le bruit, les publicités et toutes les distractions, alors que dans la galerie, les gens viennent pour te voir : c’est aussi différent qu’un spot de publicité et un long métrage.
Comment prépares-tu une œuvre que tu vas peindre sur toile ?
Je ne prépare pas grand-chose, je les enchaîne et varie les plaisirs, en répondant aux envies du moment. Pour les séries que j’appelle « cognitives » car elles sont une sorte d’illustration du cerveau, je pars d’une base de couleurs puis je me lance dans une trame de lignes épaisses, mélange de Dubuffet et de lettrages graff, que je fais très vite. Ensuite, je rentre dans les cases laissées par cette trame et je les remplis, relie, efface, retrace de manière complètement spontanée, avec tout ce qui me passe par la tête et me fait envie. On peut observer ce procédé sur mon site dans la vidéo « straight to the point ». La première phase dure quelques minutes alors que la seconde peut durer plusieurs jours. La musique tient un rôle très important dans tout cela, j’en écoute beaucoup. Mais je me sens aussi en lien avec plein d’autres artistes, des cinéastes ou des chorégraphes. Peu importe le média, ce que j’aime ce sont les artistes qui se créent un langage et qui le développent à l’infini. C’est pour cela que j’aime Prince, Almodovar, Gainsbourg, Woody Allen, Découflé, Dubuffet… Ma recherche au travers de ces tableaux est le rythme et l’équilibre. En tout cas, c’est le fil conducteur, raison pour laquelle je parle aussi de chorégraphie, car le vocabulaire est le même. Ensuite, bien entendu, il y a des sens plus profonds mais les ingrédients de mes toiles viennent inconsciemment.
Et sur mur ?
Je préfère préparer mon intervention, par recherche d’efficacité. Je n’aime pas avoir de regrets ou des idées brillantes, après coup.
Est-ce qu’il t’arrive d’improviser en fonction du mur ?
Rarement. Dans le passé, oui ! Mais plus maintenant car il ne faut jamais dire jamais.
Avec qui as-tu eu des collaborations à l’étranger ?
Avec Leoncavallo posse à Milan en 1990-91, avec un calligraphe tamoul appelé Anand en Inde en 1993, puis avec Dzine à Chicago et New York en 1994-95, avec Pose2 à Chicago aussi, avec John Pitman Weber à Chicago toujours ; avec plusieurs disciples de Baifal en 1997 sur l’île de Gorée au Sénégal, avec Dave Kinsey en 2001, Peter Fowler et Ewan Hecox à Tokyo en 2002. Maintenant que je suis à Los Angeles, il y aura sûrement de nouvelles aventures.
Cela t’apporte-t-il quelque chose ?
C’est important car cela permet de se situer en tant qu’artiste et permet d’explorer de nouveaux champs créatifs.
Quelles sont tes sources d’inspiration graphique ?
J’adore les logos, surtout aux États-Unis, les motifs de tissus, les vieux carrelages ou les boiseries… J’ai un faible pour l’art déco, notamment.
Et dans l’univers du Street art ?
Barry McGee est très haut dans mon estime, Blu aussi et le travail d’Os Gemeos. J’adore également le travail de rue de Zevs, mais je ne crois pas que ce soit une influence.
Dans le graffiti old school ?
Bando, Lee, Dondi, Seen, Colt, Skki et Futura.
Et enfin la bande dessinée ?
Je ne suis pas un grand fan de BD, je préfère le dessin animé. Je dirais donc Matt Groening, car ce que j’aime c’est cet esprit anglo-saxon, désespérément drôle ; Nick Park parce que le sourire de Wallace me fait craquer et qu’envers et contre tout il garde celui-ci car il est profondément bon. Osvaldo Cavandolli, pour le minimalisme et la colère universelle de son personnage mais aussi les productions de Pixar studios. J’oubliais un illustrateur que j’adorais à mes débuts, Ever Meulen. Et celui que je respecte par-dessus tout, c’est Cassandre pour sa modernité, dès les années 30, et son élégance dans l’humour.
Tu te détaches du côté « sale de la rue » pour avoir une démarche très aseptisée. Est-ce là une évolution plus orientée vers le design et la peinture contemporaine ?
Je ne sais pas comment je dois le prendre ! Je n’aime pas vraiment le mot aseptisé… Je crois que j’aime surtout la lisibilité. J’ai envie de captiver l’attention des gens et de leur laisser des réflexions en tête. Pour y arriver dans ce monde de brutes, j’ai l’impression que l’épuration du propos est un bon moyen. En tous cas, d’après les retours de ceux qui viennent me parler, le message passe sans sous-titres. Je pense vraiment qu’il ne faut pas me regarder seulement comme un ancien graffeur, j’ai aussi monté des expositions dans des galeries et des musées pour gagner ma vie quand j’avais 20 ans, ou encore j’ai été l’assistant de Sol LeWitt et j’ai ainsi beaucoup appris. Il y a autre chose qu’il ne faut pas négliger, c’est le fait de voir réellement les œuvres. Certains n’arriveront à apprécier mon travail que quand ils l’auront vu en vrai. Les photos ne montrent pas tout, surtout pas l’échelle, ni non plus la matière. Par exemple, j’ai eu un coup de foudre pour Lichtenstein ou encore Pierre et Gilles, le jour où j’ai vu leurs œuvres alors qu’en photo, elles ne me touchaient pas particulièrement.
Apprécies-tu des peintres comme Di Rosa ou Combas ?
Pas sur l’ensemble de leur œuvre, mais certaines pièces, oui. Combas surtout, pour ses séries très noires de la fin des années 80 et Di Rosa surtout pour son énergie impressionnante et pour la création du musée d’art modeste.
Que penses-tu de la marchandisation du Street art ?
Pas grand-chose… Elle est souvent prématurée, trop « marketing » et un peu fourre-tout. Je ne suis pas très fan. Le phénomène des ventes de livres n’aide pas à y voir clair parce que trop de gens veulent faire des livres sans vraiment maîtriser le sujet. En même temps, beaucoup d’artistes s’improvisent « street » sans avoir grand chose à dire. C’est difficile d’évoluer parallèlement à cela quand on vient de loin et que l’on veut continuer longtemps, mais c’est la vie. Ce n’est pas grave ! Comme disait Mitterrand : « le temps s’en charge ! ».
Que recherches-tu d’abord : l’efficacité graphique, le côté artistique, le fait d’être vu par le plus grand nombre ou l’adrénaline ?
En fait, je pense que tout cela m’intéresse et que je le combine avec des dosages différents, selon les occasions et les supports. L’efficacité graphique est importante dans la rue, mais j’aime bien la détourner en la rendant plus énigmatique sur papier et en galerie : par exemple, la série de personnages orange. Le côté artistique, que j’appellerais surtout l’expression spontanée ou le crachat de tripes, c’est ce qu’il y a de plus difficile et, bien entendu, je l’adore aussi. La visibilité, on la souhaite tous et je crois que c’est le passage dans l’émission Groland qui m’en a offert le plus jusqu’ici, maintenant encore. Les saisons les plus satisfaisantes pour moi ont été de 2002 à 2007, lorsque l’on utilisait mes pictos pour les lancements de sujet. Quant à l’adrénaline, aujourd’hui, c’est au moment de commencer une grande toile que je la retrouve. Et c’est bon !
Tu appartiens à cette génération de graffeurs qui a dû inventer des codes graphiques nouveaux en assimilant ceux des Etats-Unis. Avec la Force Alpha, le fait de choisir un nom de crew français et de proposer des thématiques post-soviétiques ou proches de l’imagerie occidentale, n’était-ce pas déjà une manière de se distinguer ?
Si, complètement, et c’était le parti pris qu’avait souhaité Asphalt dès le départ, pour se différencier et se moquer un peu aussi, des BBC et des CTK, surtout de Bando qui était son voisin. Nous avons voulu créer un graff « titi parisien », parce que nous étions fans de Hip Hop mais nous connaissions bien aussi les gars de la Figuration libre, comme les membres de Puissance Populaire, ou les frères Ripoulins, qui eux étaient plus Rock’n roll. Nous étions très amis avec les Saï Saï et Mickey Mosman et ceux-ci nous encourageaient aussi à manier le verbe français. Il faut dire aussi qu’Asphalt était un rédacteur de génie.
Très tôt, tu as accordé une place artistique à tes compositions murales. Avais-tu envie de t’exprimer déjà comme un artiste à l’époque où tu graffais ?
Oui, j’ai toujours fais des toiles parallèlement aux graffs. J’ai été élevé en Amérique latine dans un milieu culturel de gauche où l’expression est une seconde nature avec les fresques révolutionnaires. J’ai tout de suite senti que le graff combinait ce côté créatif et social à la fois, mais j’ai toujours pensé aussi qu’il y aurait un engouement commercial autour, c’est à dire que cela allait plaire beaucoup aux gens. J’ai eu une période durant deux à trois ans où j’écrivais mon nom mais sur l’ensemble de mes années graffs, j’ai bien plus cherché à raconter des histoires et à faire rêver.
Peux-tu nous raconter l’histoire de ton mur sur la ligne B (le corps de la femme dénudée) qui a marqué les esprits ?
Je l’ai fait en trois fois ! L’endroit était très surveillé pour l’époque. Nous avions l’habitude avec Sib pendant ces années-là de se faire un spot chaud le soir de noël pour bénéficier du calme de la soirée. Mais pour celui-là, cela n’a pas suffit… Nous nous sommes sauvés en courant deux fois mais la troisième fut la bonne ! Nous avons pu finir. Cela valait la peine parce qu’ensuite les graffs sont restés au moins trois ans, je crois. Il y avait Rage avec nous qui faisait le guet. Sib avait un lettrage « horrible » qui était pourtant très beau.
Revenons à ton travail d’aujourd’hui. Tu réalises un drôle de personnage sur des murs : qui est-il ? Pourquoi peindre celui-ci un peu partout ?
En fait, c’est amusant parce que l’on perçoit souvent un seul personnage. Je les traite en général avec la même couleur, l’orange, et ils ont, en général, un gros nez et une mèche relevée. Mais pour moi, il ne s’agit pas du même à chaque fois, il s’agit juste d’un automatisme. Je n’ai pas de scénario écrit à l’avance, ni d’explication précise, c’est juste le fruit de mon intuition et de mes envies. Donc, pour moi, ils sont plusieurs ! En réalité, le fait qu’ils soient un ou plusieurs n’a pas vraiment d’importance, il vaut mieux regarder chaque portrait comme un idéogramme qui illustre un feeling, un moment, une impulsion, dans la vie de quelqu’un qui pourrait être n’importe lequel d’entre nous.
Tu appartiens au collectif du 9e concept. Peux-tu nous en parler un peu ?
Nous nous sommes connus grâce à Mike Sylla de Baifal dream, lorsque j’étais encore dans la Force Alphabétick et qu’elle a « splitté ». Nous nous sommes revus avec le 9e concept et cela a bien accroché. Leur idée du collectif m’a beaucoup plu. Le projet de la Force Alpha a échoué, notamment parce qu’il ne permettait pas suffisamment aux personnalités de chacun de se développer. Le 9e concept a bien anticipé ces problèmes et même d’autres. Ils ont compris dès le début qu’il fallait combiner l’humain, l’artistique et l’économique pour que cela fonctionne et qu’il fallait éviter, dans un collectif, les pièges de la vie d’artiste que sont les abus de défonce, de femmes et de grosse tête. Nous avons créé les expos « Sang neuf », « Le labyrinthe » et « Peinture fraîche » ensemble : cela a été génial ! Ils m’ont beaucoup soutenu, y compris financièrement, dans des moments où j’évoluais lentement et où j’avais besoin de cette aide. Bref, ce sont mes frères pour la vie.
T’ont-ils apporté quelque chose dans ta manière de peindre ? Comment ?
Oui, certainement, dans le dialogue à l’atelier lorsqu’on peignait côte à côte. On se faisait des pauses repas et rigolade qui nourrissaient aussi beaucoup la « vibe » créative. Il y avait une ambiance de camaraderie assez ouvrière et détendue qui nous mettait en bonne disposition pour créer humblement et qualitativement. Il y avait aussi un esprit critique constructif entre nous.
En 2011, tu quittes Paris pour Los Angeles. Cela a-t-il eu une incidence sur ta carrière et ta manière d’appréhender le monde l’art ?
Oui, forcément, mais aussi dans ma peinture et en tant qu’humain. C’est tout l’intérêt d’aller vivre ailleurs, relancer les dés et s’adapter, cela bouscule l’esprit et force la créativité dans tous les aspects de la vie. J’ai surtout commencé par apprendre à travailler avec les américains ! Ensuite, j’ai pu réaliser de très beaux projets avec les galeries locales ou avec Snoop Dogg, Marvels, Netflix… Beaucoup d’opportunités se présentent à Los Angeles. J’ai pu observer aussi le marché de l’art à une tout autre échelle qu’en Europe, avec une vision très différente où les artistes sont devenus des marques. Certains perdent un peu leur énergie en faisant ce choix. Le plus impressionnant pour moi est David Hockney, que je suivais de près dans sa galerie à Venice Beach, qui est aujourd’hui l’artiste vivant le plus bankable au monde, et qui pourtant a su garder son âme d’enfant et peint toujours avec autant d’enthousiasme à plus de 80 ans.
Ta peinture s’est-elle modifiée avec ce changement de vie ?
Bien entendu, mais elle aurait changé quel que soit le lieu où je me serais trouvé, parce que c’est cela mon état d’esprit : évoluer, explorer. Ceci étant dit, la Californie, le désert, le Pacifique, sont une inspiration géniale. New York, aussi, où je vais souvent, est une ville qui me passionne et m’inspire. Ma vie est devenue plus calme et, par conséquent, ma peinture est devenue plus zen, plus posée, cela fait du bien.
Ton style est de plus en plus orienté vers l’abstraction. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
C’est une évolution naturelle, je crois. De nombreux artistes que j’aime, comme Mondrian ou Dubuffet, ont suivi la même orientation. Comme je suis très intuitif et peu conceptuel, je ne peux pas l’expliquer plus que cela. Je suis mes envies, je me fais toujours plaisir et je sens que l’abstraction, le minimalisme, sont des directions vers lesquelles je dois aller. J’ai exploré plein de pistes depuis les années 80 et je sens bien qu’elles convergent toutes vers là où je vais aujourd’hui.
Comment vois-tu ton travail dans les années à venir ?
Préserver la joie de créer et repousser mes limites.
L’envie de peindre des murs est-elle toujours forte chez toi ?
Oui, un mur de temps en temps. J’aime bien être inspiré par l’architecture. Mais le travail d’atelier reste essentiel pour la recherche.
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