Quatrième de couverture :
«La saison, c’est le temps des émotions.»
Nagori, littéralement «reste des vagues», signifie en japonais la nostalgie de la séparation. Dans ce court texte, Ryoko Sekiguchi évoque l’attachement aux saisons qui imprègne la langue et les haïkus dans la culture japonaise. À travers la nourriture, l’écrivaine nous livre l’arrière-goût, les textures et les émotions d’une saison qui vient de nous quitter.
Qu’est-ce qui m’a fait acheter ce petit livre ? Evidemment sa couverture ! Je l’ai lu avec intérêt mais j’avoue que je n’ai pas vraiment fixé son contenu. Une bonne semaine après sa lecture, il ne m’en reste déjà pas grand-chose… Je ne suis donc pas tout à fait dans l’esprit de l’ouvrage et de son sous-titre, je n’ai pas gardé de trace de ma lecture…
Le livre est parti d’une réflexion de Ryoko Sekiguchi (qui écrit en français) sur les aliments de saison. Suivant la culture, la langue peut apporter mille nuances et le japonais possède trois termes différents pour désigner l’état de saisonnalité d’un aliment : « hashiri » pour primeur, « sakari » pour la pleine saison et « nagori » pour l’arrière saison, l’aliment maturé, presque impropre à la consommation. Mais cela peut s’utiliser aussi pour la nostalgie et la conservation de cet aliment, que l’on consommera hors saison. Cette réflexion débouche ainsi sur une méditation sur les saisons, le temps qui passe, la temporalité cyclique et la temporalité linéaire qui gouvernent nos vies, qui se mélangent parfois. J’ai apprécié le passage par le vocabulaire des haïkus (les « kigo » ou termes de saison présents dans chacun de ces courts poèmes). Ce qui était très intéressant aussi, c’est ce que deviennent les mots traditionnels face aux changements climatiques ou les catastrophes comme celle de Fukushima. J’en ai ainsi appris un peu sur la mentalité et la cuisine japonaises. Ci-dessous quelques passages qui vous donneront sans doute de ce livre une meilleure idée que mon maigre billet.
« Pour une fois je voulais écrire un livre sur la vie. Ou sur la mort qui est la continuité de la vie. Sur les morts qui cohabitent avec la vie. Parce que c’est cela, les saisons. Les morts, ou les disparitions successives qui laissent la place à d’autres vies, mais qui un jour font retour. «
« Ce qu’il a ressenti à travers ces sons, c’est très précisément ce que l’on ressent lorsqu’on porte à sa bouche un morceau du dernier fruit de saison. Le goût de nagori annonce déjà le départ imminent du fruit, jusqu’aux retrouvailles l’année suivante. On le déguste précieusement, comme si l’on voulait faire durer le goût le plus longtemps possible dans le palais. Puis peu à peu, le goût se dissipe, comme le son de la cloche. On accompagne son départ, on sent que le fruit, avec son goût, s’est dispersé dans notre propre corps. On reste un instant immobile, comme pour vérifier qu’en se quittant, on s’est aussi unis. «
« La coutume de l’o-miokuri surprend souvent les Occidentaux en visite au Japon. Elle consiste à raccompagner la personne qui s’en va, comme cela se pratique dans beaucoup d’autres cultures, et comme elle s’est pratiquée longtemps dans les gares et les ports. Au Japon, cependant, elle ne concerne pas seulement les grands départs. En ce moment que je suis au Japon, ma mère reste sur le pas de la porte tous les matins quand je sors de la maison, et agite la main jusqu’à ce que j’aie tourné le coin de la rue. Dans les restaurants traditionnels de Kyoto, le chef et la patronne sortent chaque fois qu’un client quitte l’établissement, et continuent de les saluer jusqu’à ce qu’il ait disparu de leur champ de vision. Omiokuri, c’est « raccompagner (okuru) du regard (mi) ».
Chaque fois que je me rendais chez mon grand-père, au moment de se quitter, il faisait « omiokuri » jusqu’à ce que j’aie monté la pente et que l’on ne se voie plus. C’est le regard qui prolonge le lien entre deux personnes, même après le départ.
Est-ce parce que nous, Japonais, n’avons pas d’autre geste pour ponctuer la séparation, comme la bise? Toujours est-il que la séparation, comme une queue de comète, laisse une trace; ce n’est pas tourner la page brusquement. »
« La « saisonnalité » soulève encore un autre problème : de même que le changement climatique oblige à décaler les « mots de saison » traditionnels pour les adapter à la réalité d’aujourd’hui, l’accident nucléaire a déjà transformé le paysage de Fukushima. Lorsque je me suis rendue sur place au début de l’hiver 2013, les plaqueminiers avaient partout gardé leurs fruits. Auparavant, tous les fruits à cette date auraient été cueillis : kakis sucrés pour la consommation immédiate, kakis astringents à mettre à sécher. Désormais, il n’était plus question d’aller récolter quoi que ce soit dans la zone interdite ni aux alentours. Les plaqueminiers, rutilants de points orangés, se dressaient de-ci de-là, livrés aux oiseaux venus en nuée se délecter de ces délices que leur disputaient d’ordinaire les agriculteurs. C’était un nouveau paysage, qu’on qualifiera tant qu’on veut de sublime et de poétique si l’on en ignore le contexte. Que faire avec ces « mots de saison » qui ont changé de contenu ? Après une telle catastrophe, les poètes sauront-ils affûter leur sens éthique dans l’emploi des « mots de saison » ? Sans cela, la poésie se changera en outil de la barbarie. »
Ryoko SEKIGUCHI, Nagori La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter, Folio, 2021 (P.O.L., 2018)