Adam, Ségolène et Lilith
— Ségolène a parfois besoin d’un peu plus qu’un animal de compagnie. Elle peut se passer d’un homme pour sortir les poubelles mais elle aime les garçons. Si décevants, remplaçables et indispensables, le demi de mêlèe reste une valeur sûre mais il ne faut pas changer d’avis une fois dans la chambre
Un seul homme avait vu ses jambes au dessus du genou. Elle décida que c’était un peu trop peu
— Adam est un homme sur qui on peut compter pour jouer à « Y en a un peu plus j’vousl’met quand même ? »
Elle le veut, lui, dedans, partout et maintenant.
Au terme d’une cavalcade satisfaisante, elle le sent mollir bien qu’il n’ait pas encore joui. Elle se retire délicatement puis s’avance comme à la marelle qui va de la terre jusqu’au ciel en reptation verticale un genoux après l’autre pour s’accroupir sur son visage. Adam se retrouve dans la position du mécano sous la bagnole et s’active à la lécher. Narcisse s’imagine avec cette pilosité capiteuse autour de la bouche et se demande si la barbe lui va bien. C’est Lilith et il est au paradis. La première Eve c’était elle et c’était aussi sa vraie première fois.
Si Ségolène invoque le Baudelaire de "Enivrez-vous!" en retirant sa culotte, lui pense à Kundera « Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique, qui enregistre tout ce qui nous a charmé, ce qui nous a ému , ce qui donne à notre vie sa beauté » Pour un mélomane c’est le rappel sonore. Un slow sur une musique des Platters, le plop! d’un bouchon de liège sortant d’un goulot de Chardonnay, le clac! du clip d’une canette de bière, un bas nylon glissant sur une jambe, le shlack! désuet d’un élastique de porte -jarretelle. Pour lui l’énigme de ce sentiment prémonitoire « c’est Elle! » au premier regard de tout à l’heure est résolue .
— Il vient de se souvenir de son premier amour. Lilith chassée du paradis par la peur des hommes et remplacée par une Eve aussi tarte qu’ennuyeuse. Les Eve contemporaines s’appelaient toutes Germaine, Françoise ou Simone. Marre de paonner devant ce sérail. Ségolène n’avait rien de commun avec ces dindes qui venaient chez lui mettre à jour leur spermothèque. Tu aimes une fois après tu meubles. Tu passes tes dimanche à Orly avec Bécaud et tes lundi chez Ikéa Il vient de retrouver sa Lilith dans ce nu de Suzanne Valadon en train de l’inonder. Avec elle, c’est toute l’œuvre érotique d’Egon Schiele qui entre dans sa bouche
Je pense souvent à Messala. Et, pensant à Messala, j’en profite pour penser à Ben Hur. C’est beau et grandiose comme un film de Cecil B. De Mille. Messala doit être amputé des deux jambes mais c’est bien lui le méchant prêt à subir une punition divine Hollywoodienne pour ses mauvaises actions. Au péril de sa vie il retarde cette amputation afin de paraître physiquement intègre au regard de Ben Hur. Passera, passera pas, celui qui ne pissera plus jamais debout n’est qu’un futur infirme orgueilleux et soucieux du paraître. En attendant cette visite, réfractaire au renoncement ultime de ses jambes et de son vélo, je pense à mon destin à la veille de cette ultime montée vers une autre décennie qui me verra octogénaire au sommet de mon âge . Oublieux d’elle, puni et affaibli, curieux de tout ce qui va advenir, inapte désormais aux grandes enjambées, je souhaite autant que je redoute de croiser la route de cette femme un jour qui ne serait pas une nuit. Je garde cette petite musique d’elle que je ne peux ni ne veux chasser. C’est l’accompagnement, l’agrément, l’amplitude d’une solitude, la maintenance du tant pis ou du tant mieux, la mesure de la chose inachevée, inassouvie d’une âme intranquille où l'enthousiasme manque ainsi que la chose qui protège des désordres du monde, des maux et des intempéries avec au cœur l'idée d'une justice qui ne se trouve pas dans ce moment. Quoique l'on fasse du laisser faire, de l’agir et du non-agir rien ne tient ni ne dure. Il faut persister à faire bon usage de la vie. Cest un palimpseste qu'il faut continuer à noircir d'autres récits par-dessus le magma encore brûlant de l'en dessousC’est le moment de refaire la déco—Paris—Avril 2025