En panne et Moïse encore

Publié le 21 mai 2025 par Alexcessif

Je ne crois pas en dieu c’est lui qui croit en moi

Feat: les mauvais choix. Pour un détour de qq km j’ai enquillé l’autoroute oubliant le voyant de réserve allumé depuis un moment déjà

Panne de carburant sur autoroute = espérance de vie sur la bande d’arrêt d’urgence 10’. A moto: 5’

Pas vraiment une situation d’avenir, aussi je me suis calé à 2000 rpm à l’aspi derrière une caravane mais j’ai beau faire des calculs savants tablant sur une conso instantanée de 1.5 l/ 100 km dans les descentes la prochaine station est à 20 bornes. L'ordinateur de bord me rappelle à la réalité: 7 petits kms d’autonomie restante!

J’aperçois un Carrefour sur la départementale parallèle à l’autoroute puis une aire de repos juste après comme une oasis dans le désert mais une oasis sans station service.

Bien plus sécure qu’une bande d’arrêt d’urgence, j’opte! 

En alignant Bonnie entre deux bandes blanches du parking, je béquille et je marche en pleine manducation d’une banane tirée du top case. Bouffer une banane en marchant ça me laisse un espace de cerveau disponible pour établir la liste des mauvais choix du week end. 

T'aimerais toi que le mec que tu invites à Buckingham t'offre un tee-shirt I love Paris? 

Il m'ont fait la bise. B. m'a regardé comme un mec qui rate le point de corde, F. avec cette belle éducation habituée au mauvais goût d'un Tuche à l'Elysée n'a montré que de la gratitude et C. se dit qu'elle a échappé au cadeau clinquant d'un plouc à Saint Tropez.

Je souriais aux anges établissant la liste des erreurs de trajectoire et de mon impéritie lorsqu’un individu vint à ma rencontre. Je souris parce que les sanitaires sont au sud et une petite voix m’a dit d’aller vers le nord. Je n’ai pas aperçu l’auréole et les ailes dans son dos. Pour l’heure on parle bécane — Je t’ai vu arriver, c’est une Triumph? En Bonnie chuis intarissable mais chais pas pourquoi j’y dis : il y a mieux et plus vintage, allusion à la découverte récente que je fis de la Royal Enfield de mon ami préféré que j’ai. Oups, impair et passe, j’aperçois l’écusson Harley sur la manche de son blouson. Dieu me savonne, dit-il j’ai remplacé ma Paneuropéan par une 650 Super Météor. 

Arrêtons nous un instant! Mon pote possède aussi une Honda ET une Royal Enfield. Hormis cette coïncidence de marque et de goût c’est surtout cette expression que je dois être le seul à employer au sud de la Loire et à l’est du Pecos qui m’a laissé pantois. « Dieu me savonne! » me vient d’un bouquin de Desproges, « Chroniques de la haine ordinaire » ce me semble à moins que ce ne soit « Vivons heureux en attendant la mort ». J’adore les rencontres inutiles empreintes d’une magie désintéressée. Puis la petite voix me dit « j’te rappelle que t’es dans la merde » je lui conseille — à la petite voix — de la fermer et de respecter cette adage sur l’amitié même frémissante ( on aime Desproges et la moto et on déteste le cancer, c’est bon pour moi): « Ne demande pas à un ami ce qu’il te donnerait par amitié. Tu le mettrais en position d’obligation avec tes petits problèmes » . La petite voix a pris le pouvoir sur mon larynx et un son est sorti de ma bouche:

— Chuis presque en panne d’essence — Viens à la bagnole, je te passe un bidon — Oui mais je ne pourrai pas te le restituer — pas grave, c’est un bidon Lambda 

Comme quoi les inférences: j’avais déduit qu’il était à moto et que le bidon était plein. Il ouvre son coffre — même bagnole, même couleur, que ne disais-je sur les goûts? Je suis un môme qui croit à la magie et je ne suis pas prêt à changer— et me tends un bidon cabossé et vide. J’accepte poliment, on discute poliment en regardant le grillage, le portail solidement verrouillé. — je te propose pas une tenaille à découper le fil de fer — Non, je ne vais pas ajouter la faute à l’erreur j’ai pas l’ temps pour une garde à vue dans les locaux de la DDE. On s’en serre cinq et je me casse comme un voleur de bidon cabossé et vide .

Chuis pas tiré d’affaire. Ainsi que toutes les aires de repos sur autoroute elle est clôturée. Une fois sorti pas sûr que le Karouf Market soit adossé à une pompe à essence, le grillage à mouton trop souple ne supporterait pas mon poids et je suis incapable de hisser mon gros Q par dessus le portail. Alors je longe la clôture en espérant un passage ouvert par un animal. Au terme de l’enclos, j’arrive à un portillon avec du fil barbelé au sommet, un verrou costaud sur la serrure. Optimiste j’actionne la clenche. La PORTE S’OUVRE! 

Une émotion de puceau incrédule de sa bonne fortune à l’entrée de sa première frisette m’étreint. Je sors. 

Bon, il est où ce putain de Carrefour? A droite? A gauche? Je doute qu’il y en est un. Pas d’habitation à l’horizon juste un chemin vicinal sans autre signalétique et en face une sente qui mène vers un bâtiment industriel. Il est là mon Carrefour mais il semble abandonné. Certains magasins ouvert le dimanche matin sont fermés le lundi mais nous sommes un mercredi et celui-ci est vide de marchandises. Il y a une station service et je ne doute pas un instant que les pompes soient approvisionnées et qu’elles soient automatiques même s'il subsiste une guérite vide qui fait fonction de caisse sans caissier. A l’approche une seule l’est mais elle refuse ma carte. Je consulte la petite voix: — On fait comment avec mon bidon cabossé sans doute percé, un magasin abandonné et la seule pompe automatique en panne? — T’es vraiment un loser regarde, elle est recto/verso ta pompe! En effet la pompe de derrière m’a accordé ce que celle de devant m’a refusé. Je rempli mon bidon bel et bien étanche et refait le chemin à rebours au milieu d’une foule d’automobiliste en plein pic-nic qui me regarde comme un malfaiteur d’avoir osé franchir la zone des moutons gardés dans un enclos. Un absent que je ne reverrai jamais: le seul motard en Enfield dans une Volvo boite auto break options bleu métal, jantes spéciales et toit vitré qui avait dans son coffre le bidon en plastoc cabossé jelejettepasonsaitjamaisçapeutdépannerqq’un que je n’aurais pas pu acheter dans ce Carrefour abandonné avec les cinq derniers litres de carburant que m’a délivré la dernière pompe fonctionnelle.

Moïse ouvrant la mer rouge, je me dirige vers la moto avec cette ambulante lenteur du mec victorieux roulant légèrement des épaules en route vers les lauriers et le podium du mec qui a les tables de la loi en pognes 

Bande son : On the road again 

Hyéres-Mai 2025