Celui-ci commence à être connu du grand public en raison du nombre d'articles qui lui ont été consacrés dans la presse depuis son ouverture en mars 2018 et parce qu'une centaine de chefs renommés se sont déjà engagés dans l'entreprise. Ils viennent
de Paris, de France et du monde entier pour participer bénévolement au projet, et transformer au sein de la cuisine des ingrédients provenant de surplus alimentaires – qui seraient sinon gaspillés –en délicieux et sains repas (entrée-plat-dessert avec si possible amuse bouche et mignardise). Ce n’est pas seulement un projet de charité, pour des personnes en situation d’exclusion et de précarité, mais surtout et avant tout un projet culturel dont je rappellerai l'origine en fin de publication, pour ne pas alourdir le présent article, ainsi que les origines de l'établissement parisien.Etant venue dans cet endroit un jour "ordinaire", entendez par là qu'il n'y avait pas de chef étoilé ce soir là ni aucune prestation d'ordre culturel, je ne parlerai que de ce que j'ai vécu, et qui constitue le pilier de l'entreprise, en insistant sur la fonction de restaurant solidaire ayant pour but de servir chaque soir 100 repas en utilisant à peu près 130 kg de produits récupérés.Ces jours là tout fonctionne de la même manière, avec les mêmes catégories de bénéficiaires, qu'on désigne toujours sous le terme d'invités, selon le même code de valeurs. Deux femmes assurent la direction des opérations aidées par deux ou trois salariés (ils sont 7 salariés) dont Ibrahima Diallo, le responsable de la plonge, lui aussi patient et souriant, et une brigade de 17 bénévoles en cuisine comme en salles. Ce sont la cheffe Blandine Paris et la seconde de cuisine Marine Beulaigue. Je les remercie très chaleureusement (et tous les formidables bénévoles) de m’avoir accueillie dans la perspective de ce reportage.Vous les voyez en tête d'article avec Julien Beauhaire qui assure la direction de ce projet hors normes sous la si jolie voûte de la Madeleine. Leur sourire n'est pas un masque. Le dîner se déroule comme l'après-midi, sans chahut, sans énervement, dans une ambiance saine et avec bienveillance côté salle comme côté cuisine. Il ne viendrait à l’idée de personne de perdre son calme et c’est frappant. Nous sommes loin des atmosphères qui sont décrites dans les palaces. Pourtant le travail est intense et les règles à intégrer sont multiples, ne serait-ce qu'en terme de sécurité ou d'hygiène (je pense que je me suis lavé les mains une douzaine de fois dans la soirée). Le secret réside sans doute dans un credo en 4 points : anticipation, organisation, discipline, indulgence.
Et puis, cela peut sembler anecdotique mais vu que les bénévoles ne sont pas rémunérés ils n’ont aucun objectif de carrière. Ils ont là parce qu’ils "le veulent bien" et sont respectés pour cela. (Ce qui ne veut pas dire que verser un salaire donne le droit de maltraiter son personnel).
Je connaissais les valeurs morales et écologiques du Refettorio depuis longtemps et j’avais très envie de voir de près ce qu’il en était. J’attendais une occasion de le faire sans me trouver en position de voyeurisme.
J’ai donc saisi l’opportunité de passer quelques heures active en cuisine puis en salle. L’expérience s’est déroulée à peu près comme je m’y était préparée. J’avais regardé, je crois, tout ce qu’il était possible de visionner afin d’être la mieux préparée possible parce que je ne voulais surtout pas faire perdre de temps à l’équipe. Ayant déjà travaillé au pied levé dans un restaurant (je raconte l’essentiel d'un séjour de plusieurs jours à Lou Bourdié ici) je savais aussi l’essentiel de la manière de procéder dans une cuisine professionnelle mais j’ai tout de même été rappelée à l’ordre (et je retiens la leçon) sur la manière de tenir des couteaux -pointe en bas- pour les amener au lavage.
J’ai laissé passer quelques jours avant de raconter cette expérience inédite. D’une part parce que je voulais prendre un peu de recul. D’autre part, parce que, contrairement à ma manière de procéder, j’ai été dans l’impossibilité de prendre des notes au fur et à mesure, pour des raisons d’hygiène et de timing car on fonctionne non stop à ultra grande vitesse. Vous aurez compris que ce ne fut pas un moment d’observation mais une véritable immersion.
Il se peut donc que mon récit présente quelques imprécisions puisqu’il est écrit de mémoire mais il sera toujours possible de le corriger.
J'ai intégré que plusieurs rituels sont à l'oeuvre pour assurer la cohésion d'une équipe dont les membres fluctuent. Ainsi Blandine interroge chacun sur sa meilleure recette à base de farine de sarrasin. Gare à celui ou celle qui dira avoir fait une recherche via chatgpt parce qu'il n'y a pas moins anti-écologique comme moyen de s'informer. Le sourire ne sera néanmoins pas perdu et la leçon sera enregistrée. Blandine nous donnera la sienne, très simple : des tuiles avec juste la farine, de l'eau et du sucre … mais sans carnet je n'ai pas noté les proportions.
Elle poursuit sans détour sur la façon dont le menu va être composé. Il fallait trouver une idée pour utiliser les kilos de risotto préparés en trop l'avant-veille par un chef italien. Ils seront accommodés en arancini. Lucas y consacrera toute l'après-midi. Mais il ne sera pas abandonné puisque Marine travaillera avec lui.
Blandine avait estimé à 200 le nombre d'asperges à éplucher et le compte sera bon, in extremis. Rien ne se perdra puisque les épluchures seront récupérées dans l'optique de faire un bouillon ultérieurement. On ne jette que ce qui est abimé, et cela part dans des bacs pour être composté.
En dessert ce sera gâteau moelleux aux carottes (parce qu'il en reste), poire fraiche, praliné d'amande, compote de pommes, et … la fameuse tuile de sarrasin dont il était question tout à l'heure.
Il y aura en mignardise un oeuf au chocolat, peint à la main, de Jade Genin et il sera possible de choisir entre café ou infusion (de l'Infuseur, la marque crée en 2012 par Céline Ruffet dont la signature est des créations raffinées et généreuses en plantes, en épices, en fruits et en fleurs, y compris en thés bio, fabriqués en France) et ce soir ce sera Roibos vanille.
Les taches ont été listées, proposées, adoptées en fonction des goûts, des affinités (on travaille souvent en binôme) et des compétences. A partir de là, pas de bavardages, d'abord parce qu'on est concentré sur l'objectif sachant que le temps est compté, ensuite parce que la cuisine est relativement bruyante du fait du crépitement de la viande et de la hotte aspirante. On ne crie pas "oui chef" à tout bout de champ mais on obéit. Et souvenez-vous, j'ai insisté sur la gentillesse et j'en ai encore une preuve quand on propose à chacun d'entre nous un café ou un thé puisque c'est l'heure du tea-time comme on peut le constater en voyant les viennoiseries réchauffer. J'ignore leur provenance, peut-être Pierre Hermé qui est un des donateurs, et je crois reconnaitre sa manière de feuilleter les croissants (que je n'ai pas goutés, évidemment). A l'instar du dîner ce goûter est destiné à des personnes qui ont été dirigées vers le Refettorio par le biais d'associations.
Mais, pour le moment, le brief n'est pas terminé, je devrais préciser, le "second" brief. On nous rappelle quelques termes du lexique particulier, complémentaire à celui qui règne dans toutes les brigades. Ainsi ce ne sont pas des clients qui dîneront ce soir mais des invités et c’est ce mot qu’on emploiera pour les désigner dans nos conversations. Evidemment cela change sensiblement l’approche. On ne donne pas le menu quand on reçoit chez soi à la maison … Voilà pourquoi par exemple la carte ne leur sera pas remise, même s’ils peuvent en avoir connaissance à leur arrivée.
Celui ou celle qui est seul(e) n’est pas contraint à partager le couvert avec un(e) inconnu(e) comme on le fait spontanément sur les tables d’hôtes des Weinstubs que j’ai connues en Alsace. Mais il est fréquent que des conversations finissent par se nouer entre plusieurs personnes.
On ne sert pas de vin et si rien n’est dit pour justifier cette position ce n’est pas plus mal. La promesse est de manger gastronomique dans une ambiance de respect et on s’y tient.
L’essentiel, et la consigne nous est martelée avant le service, est de s’assurer de l’absence d’allergies alimentaires ou de contre indications connues comme celle du pamplemousse pour qui suit un traitement contre l'hypertension. Une alternative est toujours prévue par anticipation quand le porc est la viande principale mais c’est plus délicat en cas d’intolérances particulières comme le gluten ou un allergène rare comme moutarde ou sulfite alors que les fruits à coque sont plus facilement substituables. Les noisettes ne sont ajoutées qu'au dernier moment sur les assiettes. Tout cela doit être signalé en cuisine en début de service et une solution sera nécessairement mise en place. Aux serveurs de ne pas oublier par la suite et de ne surtout pas apporter la mauvaise assiette. Hélas une erreur est vite commise dans le feu de l’action.
S’agissant du service, l’association entre bénévoles confirmés et débutants permet de remettre constamment les seconds sur le bon chemin. Notamment à propos de son placement devant le "pass" quand on a donné sa commande. A droite avant de la communiquer, à gauche quand on est en attente. Un pass est la table où les cuisiniers posent les plats qui ont été cuisinés puis dressés sur les assiettes. Les anciens nous rappellent qu’il faut se munir du nombre adéquats d’assiettes chaudes avant de demander le plat principal. Et de prendre une bleue s’il s’agit d’un enfant parce qu'on lui servira une demi-portion.
Il faut mémoriser énormément d’informations, y compris qu’on ne ressert pas les plats, sauf pour les enfants qui en feraient la demande. Sans compter les commandes particulières en fin de repas pour un certain type de café ou d’infusion. Le chemin est long jusqu’au bar et on peut avoir oublié entretemps le nombre de décaféinés si on ne l’a pas noté. Il est interdit de prendre des photos qui montreraient les invités mais on peut noter sur son smartphone les informations essentielles (pourvu d’en avoir le réflexe et le temps).
Il est 18 h 45. Les premiers invités sont accueillis par Margot qui vérifie leur nom sur la liste et par Julien, le directeur. Le placement commence et on peut envoyer l'amuse bouche que voici, pris au pass. Je ne dirai jamais assez combien ce poste est crucial. Régulièrement la responsable dresse le compte des plats servis et annonce leur nombre en cuisine afin qu'on y vérifie qu'il reste suffisamment de matière pour dresser les assiettes restantes.
C'est presque la fin, déjà. Il reste un peu de vaisselle à essuyer près des cuisines mais l'essentiel est déjà rangé. Les plans de travail brillent comme à notre arrivée. L'efficacité est de mise, toujours. Certains soirs l'équipe se retrouve autour d'une table pour dîner et échanger. Ce n'était pas possible aujourd'hui mais on m'avait annoncé qu'on se partagerait les restes, s'il y en avait et on m'avait suggéré d'apporter une ou deux boites. Celles ci avaient été placées près du pass avant le service et elles furent remplies par magie sans devoir rien demander.
J'ai pu goûter à un arancino, à ce jarret si fondant, aux asperges croquantes, apprécier les sauces. Il n'y avait pas de dessert mais c'était chouette de pouvoir se régaler après s'être tant donné, même si ce fut pour le plaisir.
J'aurais voulu aussi avoir la possibilité de discuter avec les deux cheffes dont je ne sais pas grand chose si ce n'est qu'elles sont trentenaires, qu'elles avaient travaillé auparavant toutes les deux dans des cuisines de grand restaurant mais que la cuisine ne fut pas leur premier choix de vie professionnelle. Elles partagent forcément des valeurs autour de la solidarité, l’écologie et l’antigaspillage.
Comment se partagent-elles les tâches quand elles ne sont pas en cuisine ? Qui gère prioritairement les fournisseurs et les intervenants ? J'ai bien conscience d'avoir entrevu juste le haut de l'iceberg. Ont-elles du temps de formation car ce n'est pas évident d'être créatif tous les jours ? Comment définissent-elles ce qualificatif de "gastro" qui n'est pas si évident. Le Refettorio démontre que ce n'est pas une question de produits haut de gamme, même si Petrossian est un des fournisseurs, et que tous les produits sont excellents. Il est juste urgent de les cuisiner. Serait-ce une question de dressage et de présentation ? Le secret est-il à débusquer dans les sauces et accompagnement ? Dans l'originalité des recettes ? Ou plus simplement dans l'amour du travail bien fait ?
Je n'ai pas réussi à mémoriser les noms de tous les bénévoles et je ne pourrai donc pas les citer. Je sais néanmoins que côté cuisine comme côté salle certains sont là depuis l'ouverture. Que la moyenne d'âge n'a pas de sens. Chacun peut avoir sa place parmi eux. Je sais que pour remplir les rangs il faut 17 bénévoles chaque soir, choisis dans un réservoir de huit mille bénévoles inscrits, qui sont venus au moins une fois, et que beaucoup sont sur liste d’attente dès qu'ils souhaitent (re)venir en salle ou en cuisine même si j'imagine que les bénévoles réguliers sont dispensés de listes d'attente.
En est-il de même pour les chefs étoilés ? Se proposent-ils spontanément ou faut-il les solliciter ?
Il y a un aspect que j'ai à peine évoqué, par discrétion autant que par méconnaissance, ce sont les partenariats associatifs et culturels. Des sorties sont organisées en famille, des visites de musées, des spectacles de théâtre. Comment se mettent-ils en place ? Et quel est le rôle du directeur ? Quels seraient les partenariats dont il rêve ?
Beaucoup de questions sont restées en suspens mais l'essentiel a été vécu, ensemble, pour une cause motivante, dans le respect de chacun et croyez-moi, il y a de l'émotion au moment de quitter le navire.
J'aurais bien aimé les retrouver le lendemain à Taste of Paris mais j'avais des obligations familiales. Elles y ont démontré avec Eugénie Béziat, la chef du restaurant du Ritz, l’Espadon, qu'il était possible de préparer une assiette dînatoire de haute volée … bien entendu en utilisant uniquement les produits qu’elles auront glanés pendant l’après-midi et qu’on aura bien voulu leur donner.
Le Refettorio n'est pas accessible à tous mais il a à coeur de partager sa mission qui ne doit pas rester secrète.
L’organisation commença par ouvrir le Refettorio Ambrosiano à Milan en 2015, puis continua à monter des projets importants au Brésil, à Londres, Modène et Bologne. Chaque projet est unique et basé sur les besoins de la communauté locale, mais ils partagent tous la même démarche basée sur la qualité des idées, le pouvoir de la beauté et la valeur de l’hospitalité.
Marc(o) Berrebi est un entrepreneur qui a créé des entreprises leaders dans le domaine des algorithmes et de la télémédecine. En 2020, il a initié Action Refettorio qui a servi jusqu'à 5000 repas par jour. Il est coprésident de l'association Refettorio Paris.
Nicola Delon, co-fondateur de l’agence d’architecture parisienneEncore Heureux, etRamy Fischler, fondateur de l’agence de designRF Studio, tous deux réputés pour leurs projets créatifs et engagés en faveur du réemploi et du recyclage ont conçu le projet de rénovation et d’embellissement du Foyer de la Madeleine. Ils ont dessiné un environnement chaleureux où les personnes peuvent se sentir à l'aise. La maîtrise d'oeuvre du projet d'embellissement a été confiée àLaure Dezeuze, architecte-scénographe, fondatrice deStudio BloomerLeur volonté a été de créer un espace chaleureux, accueillant et inspirant en impliquant dans leur projet des artistes, architectes et designers. Il était essentiel que les personnes en situation d’exclusion, ainsi que toute la communauté locale se sentent les bienvenus et se sentent considérés dans les salles qui allaient être réaménagées.Les installations artistiques qui décorent ce lieu ont été conçues par les artistes français JR et Prune Nourry, internationalement reconnus pour leurs installations pluridisciplinaires dans des espaces publics aux quatre coins du monde.Si vous êtes une entreprise ou un producteur local et que vous avez du surplus alimentaire, vous pouvez nous contacter à l'adresse : contact@refettorioparis.com