En 2005, Paul McCartney signe avec Chaos and Creation in the Backyard un retour remarquable. Porté par une production exigeante de Nigel Godrich, cet album introspectif allie songwriting épuré, atmosphère mélancolique et instrumentation artisanale. Révélant une facette vulnérable et sincère du musicien, il est salué comme l’un de ses meilleurs disques solo depuis des décennies.
En septembre 2005, Paul McCartney – alors âgé de 63 ans – sort Chaos and Creation in the Backyard, son treizième album studio solo. Il s’agit de son premier disque de chansons originales en presque quatre ans, depuis Driving Rain en 2001. À ce stade de sa carrière, l’ancien Beatle est un « chevalier de l’Empire britannique » comblé, multimillionnaire et considéré comme un génie musical, mais il traîne aussi l’image d’un artiste dont les plus grands chefs-d’œuvre remontent à des décennies. Ses derniers albums ont reçu un accueil plutôt tiède du grand public, et ses nouveaux morceaux sont souvent accueillis dans l’indifférence polie. McCartney en est conscient : ses derniers vrais tubes datent des années 1980, et Driving Rain n’a atteint que la 46e place des ventes aux États-Unis malgré une tournée mondiale triomphale.
Pourtant, Paul McCartney n’a rien perdu de sa soif de création. Durant les années précédant Chaos and Creation in the Backyard, il a multiplié les projets éclectiques – de la musique électronique expérimentale (sous le pseudonyme The Fireman) à la musique classique, en passant par un album de reprises de rock ’n’ roll des années 1950. Il a essayé de « tuer le temps » entre deux tournées mondiales comme il pouvait, collaborant avec de nouveaux partenaires dans l’espoir de raviver l’étincelle. Mais aucun de ces essais n’a réellement convaincu le grand public au-delà de son cercle de fans les plus fervents. Au début des années 2000, McCartney est donc à un tournant : « Que faire maintenant ? » se demande-t-il, selon la formule d’un critique. Il ressent le besoin de se réinventer en studio et de prouver, une fois de plus, qu’il peut encore surprendre.
C’est dans ce contexte qu’il se lance dans l’aventure de Chaos and Creation in the Backyard. Sur le plan personnel, McCartney vient de connaître des changements importants : il s’est remarié en 2002 et est devenu père d’une petite fille en 2003. Il confie que ce bonheur familial et le temps écoulé depuis son précédent album lui ont redonné l’inspiration : il avait l’impression d’écrire à nouveau de meilleures chansons qu’il n’en avait écrites depuis longtemps. Surtout, il décide d’aborder ce nouvel album avec un véritable défi personnel. « Je me suis dit : “Tu vas te donner à fond et te forcer à faire un bon album.” Ça a été un bon moteur pour moi », explique-t-il. Cette fois, pas question de se reposer sur ses lauriers ni de livrer un disque convenu. Paul veut marquer les esprits.
Pour atteindre cet objectif, McCartney opère un choix audacieux : il confie la production de l’album à Nigel Godrich, un producteur de 34 ans connu pour son travail avec Radiohead, Beck ou encore R.E.M.. L’idée de cette collaboration improbable vient d’une suggestion du légendaire George Martin, l’ancien producteur des Beatles. Godrich avait exprimé publiquement le désir de travailler avec un artiste établi ; George Martin, séduit par son travail, encourage McCartney à tenter l’expérience. Sir Paul passe donc le coup de fil qui scellera ce partenariat inédit.
Dès l’origine, le choix de Godrich intrigue. Beaucoup se demandent « quel genre de disque McCartney est-il en train d’enregistrer ? » en s’alliant à ce jeune sorcier des consoles. Le résultat sera un album étonnamment introspectif et dépouillé, aux antipodes des productions enjouées qu’on associait d’ordinaire à McCartney. Avec Chaos and Creation in the Backyard, Paul McCartney s’apprête à confronter son propre héritage musical, à explorer ses doutes et ses émotions plus sombres, le tout sous l’œil exigeant d’un producteur de la génération suivante.
Sommaire
- Une production exigeante sous la houlette de Nigel Godrich
- Des chansons sous la loupe : entre introspection et héritage Beatles
- Choix artistiques et esthétiques marquants
- Réception critique et évolution d’une œuvre majeure
- Impact dans la carrière de McCartney et anecdotes de la période
Une production exigeante sous la houlette de Nigel Godrich
La collaboration entre Paul McCartney et Nigel Godrich s’avère fructueuse mais éprouvante. Habitué à garder le contrôle total de ses albums, McCartney accepte cette fois de se laisser bousculer. Godrich n’hésite pas à remettre en question l’artiste, à refuser la facilité et à pousser la légende vivante hors de sa zone de confort. Dès les premières séances d’enregistrement, en septembre 2003 à Londres, le ton est donné : Nigel Godrich estime que le groupe live de McCartney, pourtant rodé, n’est pas indispensable en studio. Après deux semaines, le producteur renvoie purement et simplement les musiciens accompagnant Paul. Il encourage McCartney à jouer lui-même la majeure partie des instruments, renouant ainsi avec l’approche de son tout premier album solo (McCartney, 1970), sur lequel Paul avait tout enregistré seul.
L’objectif de Godrich est clair : obtenir de McCartney un album authentique et cohérent, débarrassé des artifices et tics de production habituels. « Quand Paul et moi nous sommes réunis, nous avions un objectif commun : nous voulions faire un grand album qui soit fidèle à Paul. Je pense que c’est exactement ce que nous avons fait », déclare Nigel Godrich, fier du résultat. Pour y parvenir, le producteur se montre intransigeant sur le choix des morceaux. McCartney a beau arriver avec de nombreuses maquettes, Godrich n’hésite pas à écarter celles qu’il juge faibles ou superflues – allant jusqu’à « refuser de me laisser chanter les chansons qu’il n’aimait pas, ce qui était drôlement culotté de sa part », racontera plus tard Paul.
Le travail en studio s’étale sur près de deux ans, avec des sessions principales à Londres (aux studios RAK puis AIR) et des compléments à Los Angeles (Ocean Way) jusqu’au printemps 2005. McCartney et Godrich prennent leur temps, peaufinant les arrangements et explorant différentes approches pour chaque morceau. « Je ne voulais pas bâcler cet album », insiste McCartney, qui a résisté aux pressions de sa maison de disques lui réclamant un disque plus tôt. Le musicien décrit le processus comme « douloureux », « une plongée dans l’obscurité », et dit en avoir été « tiré à travers une haie à l’envers » – une image parlante pour illustrer l’épreuve que furent ces séances de travail intensif.
Malgré la tension créative, Paul reconnaît que cette exigence a du bon. « Nous avons vraiment inventé beaucoup de choses au fur et à mesure», confie-t-il. « J’essayais quelque chose et si ça ne marchait pas, j’essayais autre chose jusqu’à ce que ça marche. C’était comme faire un kart dans le jardin». Cette analogie amusante – construire un petit kart dans son arrière-cour – reflète l’état d’esprit du musicien en studio : un bricolage enthousiaste, fait d’expérimentations et de retours à la case départ, sous le regard curieux de Godrich. Chaque « erreur » peut devenir une trouvaille. Par exemple, en composant la chanson « Fine Line », McCartney joue au piano une ligne de basse et se trompe sur une note : il appuie sur un fa au lieu d’un fa dièse. Nigel Godrich s’exclame alors : « C’est super, c’est ce qu’il nous faut », alors que Paul s’apprêtait à corriger son faux-pas. En réécoutant, McCartney comprend que cette note inattendue donne au morceau un charme particulier et décide de la conserver. Ce genre de petits accidents heureux, encouragés par le producteur, jalonne la fabrication de l’album et contribue à son originalité.
Godrich incite également McCartney à puiser dans sa panoplie de multi-instrumentiste. Paul, qui a débuté sa carrière en jouant de la guitare, de la basse, puis de la batterie sur certains enregistrements des Beatles, relève le défi. Sur la plupart des pistes de Chaos and Creation, il est seul aux commandes de quasiment tous les instruments. Il joue de la guitare acoustique et électrique, de la basse Höfner, du piano (parfois même de deux pianos différents sur un même morceau), de la batterie, mais aussi de l’harmonium, de la flûte à bec, du mellotron ou encore du bugle (flügelhorn). La contribution de ses musiciens habituels est réduite au minimum – quelques coups de main discrets sur certaines chansons – afin de préserver cette atmosphère intime et « fait maison ». Des orchestrations de cordes et cuivres viennent cependant enrichir plusieurs morceaux, mais là encore avec parcimonie. Le jeune arrangeur Joby Talbot est chargé d’écrire et de diriger ces partitions pour le Millennia Ensemble, donnant à l’ensemble une touche classique sobre lorsque nécessaire.
Malgré la rigueur imposée par Godrich, l’ambiance n’est pas à la froideur pour autant. Le producteur et l’artiste partagent une vision commune, presque ludique, de la création musicale. « Quand Paul et moi avons commencé, nous voulions faire un album fidèle à l’essence de Paul», explique Godrich. Il s’agit pour lui de retrouver la spontanéité et la simplicité des débuts, tout en profitant de l’expérience accumulée. Le résultat est un disque qui « marie avec succès l’incontestable talent de songwriter de McCartney et son sens musical sans pareil ». En studio, Paul se surprend à travailler comme à l’époque de ses 20 ans : il tâtonne, bricole des arrangements, superpose des couches de sons. La démarche rappelle par moments la liberté qu’il s’était offerte sur McCartney (1970) et McCartney II (1980), deux albums solo enregistrés en solitaire. Mais cette fois, un œil extérieur canalise son élan et l’empêche de sombrer dans la facilité ou l’excès. Godrich, de son propre aveu, voulait « faire un grand album vrai, à la hauteur de Paul » – et il a tout fait pour y parvenir.
Après de longs mois d’efforts, l’enregistrement s’achève au début de l’été 2005. McCartney avouera être sorti du processus « lessivé, comme s’il avait été passé au broyeur », mais fier du chemin parcouru. « Je crois que ça valait la peine d’attendre. La musique est devenue de plus en plus intéressante au fil du temps et je suis vraiment fier de ce qu’on a fait », déclare-t-il avec satisfaction à la veille de la sortie du disque. L’album qui en résulte, hybride de savoir-faire pop et d’artisanat intimiste, porte en lui les marques de cette collaboration unique entre un monument de la pop et un producteur de la nouvelle génération.
Des chansons sous la loupe : entre introspection et héritage Beatles
Avec Chaos and Creation in the Backyard, Paul McCartney propose 13 morceaux originaux (plus un bref instrumental caché en piste bonus) qui explorent une palette d’ambiances plus sobre et introspective qu’à l’accoutumée. L’album s’ouvre, ironiquement, sur l’une des pistes les plus enlevées du lot : « Fine Line ». Ce titre d’ouverture est un morceau pop entraînant porté par le piano de McCartney. La chanson, choisie comme premier single à l’été 2005, pose d’emblée le thème central du disque – l’équilibre délicat entre optimisme et mélancolie. Dans « Fine Line », Paul chante qu’il n’y a qu’« une mince frontière entre l’inconscience et le courage », invitant l’auditeur à faire les bons choix dans la vie. Musicalement, le morceau allie une rythmique enjouée à un arrangement élégant de cordes, arrangées par Joby Talbot et interprétées par l’ensemble Millennia. McCartney y joue pratiquement de tout (piano Bösendorfer, guitare, basse, batterie, percussions) et livre une performance vocale pleine d’entrain. Derrière son apparente légèreté, « Fine Line » illustre bien la méthode de travail de l’album : un son organique, direct, où la petite imperfection volontaire (cette fameuse note de basse « fa » au lieu de « fa# » découverte par accident) apporte une touche d’originalité au titre. Le résultat est un « classique instantané » au piano, selon le communiqué de presse, qui donne le ton du disque.
Après cette entrée en matière dynamique, l’album plonge rapidement dans des teintes plus feutrées et crépusculaires. « How Kind of You », le deuxième morceau, est une pièce atmosphérique bâtie sur des boucles discrètes, presque ambient, où McCartney remercie une âme bienveillante de sa gentillesse. Le titre est né d’une curiosité linguistique : Paul s’était amusé à observer le parler guindé de certains Anglais très polis, avec leurs expressions désuètes. « Je me suis mis à remarquer que les Anglais huppés n’avaient pas seulement un accent différent, ils avaient un vocabulaire différent. Il y a de la gentillesse là-dedans », raconte McCartney. L’expression « How kind of you » (« comme c’est gentil de votre part ») lui a inspiré cette chanson tout en retenue, dont l’ambiance planante rappelle que Nigel Godrich est aussi producteur du groupe Radiohead. Loin de la pop sucrée, McCartney explore ici une veine plus expérimentale, jouant de textures sonores inédites dans son univers.
Le cœur de l’album se distingue surtout par une série de morceaux acoustiques et intimistes, dans lesquels McCartney renoue avec l’art du songwriting dépouillé qui fit sa renommée à l’époque des Beatles. Le plus emblématique est sans doute « Jenny Wren ». Cette ballade, uniquement accompagnée à la guitare acoustique (à la façon du célèbre « Blackbird »), est souvent présentée par Paul lui-même comme la « petite sœur de Blackbird ». Le parallèle est évident : même picking délicat sur une guitare folk, même utilisation de la voix en quasi-falsetto sur certaines phrases, et même inspiration thématique autour d’un petit oiseau. Jenny Wren est en effet le nom anglais du troglodyte mignon, le plus petit oiseau d’Angleterre. McCartney affectionne particulièrement cet oiseau qu’il considère chanceux d’apercevoir dans son jardin. La genèse de la chanson est teintée de sérénité : Paul l’a composée à Los Angeles, un jour où il est parti jouer de la guitare en plein air dans un canyon, loin du bruit de la ville. Le personnage de Jenny Wren lui a aussi été inspiré indirectement par un roman de Charles Dickens (Our Mutual Friend) : une connaissance lui avait fait remarquer la référence à Dickens en entendant le titre, allusion à une petite fille surnommée Jenny Wren dans le livre, « une fillette magique qui voit le bien en toute chose ». De façon inconsciente, cette image positive s’est mêlée à l’intention initiale de McCartney, qui n’était au départ que de composer « quelque chose dans l’esprit de Blackbird ». La chanson, mélancolique et épurée, offre l’un des moments de grâce de l’album. Seule entorse à son minimalisme : un court solo joué au duduk, un instrument à vent traditionnel arménien, dont le timbre grave et plaintif accentue l’aspect nostalgique du morceau. Interprété par le musicien Pedro Eustache, ce solo de duduk confère à « Jenny Wren » une couleur sonore unique dans la carrière de McCartney – et dans la pop occidentale, où cet instrument est rarissime.
Un autre titre acoustique se détache par son charme délicieusement rétro : « English Tea ». Sur cette vignette légère, Paul s’amuse à pasticher la tradition britannique du tea time. « Very twee, very me », chante-t-il malicieusement (« très cucul, très moi ») au détour d’un vers, comme pour revendiquer son penchant pour l’Angleterre éternelle. English Tea évoque furieusement certaines compositions Beatles de la fin des années 60 : son arrangement de quatuor à cordes semble sortir d’un croisement entre « Eleanor Rigby » (pour le côté musique de chambre) et « Martha My Dear » (pour la touche guillerette). C’est un morceau pimpant, presque vaudevillesque, où McCartney assume pleinement son style « à l’ancienne ». D’ailleurs, il glisse quelques clins d’œil lyriques à son image publique un peu douceâtre, preuve qu’il ne manque pas d’autodérision. En à peine deux minutes, English Tea transporte l’auditeur dans un jardin anglais imaginaire, parsemé de référencements souriants à la culture british. Cette légèreté bucolique apporte un contrepoint bienvenu à la tonalité plus sombre du reste de l’album.
En effet, Chaos and Creation in the Backyard est traversé de chansons aux humeurs mélancoliques et aux arrangements épurés, qui trahissent l’état d’esprit plus inquiet de McCartney à cette période. « At The Mercy », par exemple, est une ballade mid-tempo où Paul avoue se sentir « à la merci » des événements, dans un monde imprévisible. Sa mélodie plaintive, soutenue par des accords de piano mineurs et des nappes de cordes discrètes, exprime une forme de désarroi inhabituel chez lui. Mais c’est surtout avec « Too Much Rain » et « Riding to Vanity Fair » que McCartney dévoile des émotions rarement entendues dans son répertoire.
« Too Much Rain » (littéralement « Trop de pluie ») est une chanson au message réconfortant, écrite comme un antidote à la tristesse. Paul s’en est inspiré de « Smile », la célèbre mélodie composée par Charlie Chaplin, dont les paroles invitent à sourire même quand le cœur est lourd. Admirateur de Chaplin, McCartney reprend à son compte cette philosophie : « Too Much Rain » encourage l’auditeur à ne pas se laisser abattre par les épreuves. « Quand tu es au plus bas, tu peux te relever. “Fais le serment que tu seras de nouveau heureux.” C’est en quelque sorte une chanson du type “allez, ça va passer” », explique Paul à propos de ce morceau. La métaphore filée de la pluie qui tombe trop fort symbolise ces moments où la vie s’acharne injustement. Sur le plan musical, la chanson reste sobre : une guitare acoustique arpégée, quelques touches de piano et une rythmique modérée. McCartney y joue tous les instruments (guitares, basse, piano, batterie, autoharpe…), ce qui renforce l’impression d’une confidence faite directement par l’artiste. Sa voix, légèrement voilée, traduit une empathie sincère. Vers la fin, quelques harmonies vocales et claviers discrets viennent apporter une lueur d’espoir, telle une éclaircie après l’averse. Too Much Rain s’adresse à « tous ceux qui ont eu des problèmes dans leur vie, et j’en connais beaucoup, moi y compris », confie McCartney : c’est une chanson de résilience, dédiée à tous ceux qui traversent de trop fortes pluies.
Si Too Much Rain exprime la peine avec douceur, « Riding to Vanity Fair » est, quant à elle, imprégnée d’une amertume inhabituelle chez McCartney. Ce morceau lent et brumeux voit Paul régler ses comptes avec une personne qui l’a visiblement déçu. Le texte, plein de sous-entendus poliment cinglants (les « apparemment » et « je ne me permettrais pas de présumer » dont il émaille ses phrases suintent l’ironie), témoigne d’une désillusion profonde. Musicalement, la chanson se distingue par son ambiance feutrée : une basse ronde et insistante, des cordes aux tonalités sombres et quelques notes de guitare électrique planantes créent un climat de tension retenue. McCartney y chante presque en murmurant, comme s’il confiait un secret amer. Puis, soudain, surgit le refrain – une envolée mélodique somptueuse, typiquement maccartienne, qui apporte un contraste lumineux à la morosité du couplet. Ce refrain aérien, où la voix de Paul s’élève sur des accords majeurs, rappelle au passage qu’il reste un maître pour pondre des mélodies inoubliables. Pourtant, malgré cette embellie passagère, Riding to Vanity Fair demeure l’une des chansons les plus résolument pessimistes de l’album, et même de toute la carrière solo de McCartney. Un critique britannique a souligné qu’on y découvrait un Paul McCartney « aigri » pour la première fois, exprimant une rancœur qu’il avait toujours évitée de montrer jusque-là. En effet, même lors des disputes publiques avec John Lennon dans les années 1970, McCartney s’était abstenu de toute méchanceté explicite en chanson, préférant la tristesse résignée (Dear Friend) ou l’allusion plutôt que l’attaque frontale. Or, dans Riding to Vanity Fair, quelque chose (ou quelqu’un) l’a suffisamment irrité pour qu’il laisse transparaître ce sentiment de trahison et de colère froide. « C’est une chanson de déception amère envers un proche (ami, partenaire ou autre), si crue qu’elle en coupe le souffle », notera un journaliste des années plus tard en saluant ce moment de franchise désarmante. Ce titre audacieux montre une facette plus sombre du personnage, donnant à l’album une profondeur émotionnelle inattendue.
Parmi les autres pistes de Chaos and Creation in the Backyard, on peut également mentionner « Friends to Go ». Ce morceau pop aux accents feutrés passe presque inaperçu à la première écoute, mais il recèle une anecdote touchante : McCartney l’a composé en pensant à George Harrison, son ami et ancien collègue des Beatles disparu en 2001. Paul a confié avoir eu l’étrange sentiment que « l’esprit de George l’aidait » lors de l’écriture de Friends to Go, comme s’il « canalisait » le style de son vieux complice. De fait, l’arrangement modeste du morceau (guitares discrètes, batterie légère, harmonies rappelant les compositions de Harrison) et son balancement tranquille évoquent l’atmosphère de certaines chansons de George à la fin des Beatles. McCartney a même déclaré qu’en composant Friends to Go, il s’était rendu compte qu’il était en train « d’imiter George », et il a fini par dédier ce titre à la mémoire de son ami. Au-delà de l’anecdote, Friends to Go apporte une touche chaleureuse et amicale à l’album, comme une conversation imaginaire entre Paul et le souvenir de George Harrison.
Enfin, l’album se clôt sur « Anyway », une ballade pianistique ample et apaisée, dans la veine des grands slow de McCartney. Construite sur une progression d’accords classique, Anyway renoue avec le romantisme intemporel de l’auteur de Maybe I’m Amazed. Vers la fin du morceau, après quelques secondes de silence, les auditeurs attentifs peuvent entendre une piste cachée sans titre (référencée comme « I’ve Only Got Two Hands »). Il s’agit d’un court instrumental enjoué, quasi improvisé, où Paul superpose quelques riffs de guitare et de batterie dans l’esprit d’une jam session. Ce clin d’œil final, non crédité sur la pochette, allège la conclusion de l’album et rappelle que, malgré l’introspection de rigueur, McCartney n’a rien perdu de son humour et de son goût du jeu.
Choix artistiques et esthétiques marquants
Sur le plan stylistique, Chaos and Creation in the Backyard marque pour Paul McCartney un retour à l’essentiel. L’album se distingue par son austérité raffinée : les arrangements sont réduits au nécessaire, la production de Nigel Godrich est sobre, presque “dry” (sans effets clinquants ni excès de réverbération), et la priorité est donnée à la voix et aux instruments de McCartney enregistrés de près. Cette approche tranche avec l’album précédent (Driving Rain), qui comportait plusieurs morceaux énergiques en groupe. Ici, point de rock’n’roll débridé ni de titre heavy : la plupart des chansons évoluent dans des tempos modérés, avec des nuances acoustiques et une ambiance feutrée. Certains critiques parleront de disque “crépusculaire”, tant le ton général semble empreint d’une douce mélancolie.
L’un des partis pris majeurs a été de faire de McCartney un “one-man band” tout au long de l’album, à l’image de ses travaux solo les plus intimistes du début des années 1970. Cette décision, encouragée par Godrich, confère une unité sonore à l’ensemble. On reconnaît le toucher de McCartney à chaque instrument : sa manière mélodique de faire chanter la basse, son jeu de piano rythmique hérité du boogie-woogie, ou encore sa frappe de batterie directe et sans fioritures (influencée par Ringo Starr, pourrait-on dire). Pour autant, l’album ne sonne pas comme une simple demo bricolée : la qualité de la prise de son et des studios utilisés (Air Studios, Ocean Way…) donne de l’ampleur à ces performances solitaires. Godrich, en perfectionniste, a su tirer le meilleur de Paul instrument par instrument, quitte à multiplier les prises. Le résultat est un disque organique, où chaque piste semble jouée dans la même pièce, par un même musicien polyvalent, avec une sincérité palpable.
Dans cet écrin relativement dépouillé, certains éléments ressortent avec d’autant plus d’éclat. La voix de McCartney, par exemple, est mise à nu comme rarement. À 63 ans, son timbre a naturellement perdu de la puissance et de la pureté cristalline de la jeunesse, mais il a gagné en texture. Sur Chaos and Creation, Paul n’hésite pas à exposer ses fragilités vocales lorsque la chanson l’exige. Sur « Jenny Wren », on l’entend ainsi monter en falsetto et laisser poindre une légère fêlure dans la voix, ce qui ajoute à l’émotion du morceau. Un journaliste a noté qu’il « semble même fragile » à lutter pour atteindre certaines notes de cette « successeure de Blackbird ». Cette vulnérabilité calculée tranche avec l’image du McCartney toujours lisse et techniquement impeccable : elle humanise le propos et sert le ton introspectif de l’album.
Par ailleurs, l’album regorge de références subtiles au passé de McCartney, sans jamais verser dans la nostalgie opportuniste. Que ce soit dans les compositions (on a évoqué les renvois assumés à Blackbird, Eleanor Rigby, Two of Us ou Step Inside Love dans diverses chansons) ou dans l’instrumentation (Paul ressort par exemple son épinette et son harmonium, instruments baroques qu’il affectionnait à l’époque de Penny Lane), Chaos and Creation semble par moments dialoguer avec l’héritage des Beatles. Ces clins d’œil ne sont pas là pour copier le passé, mais pour s’en inspirer comme d’une palette de couleurs familières. L’ambiance générale de l’album – intimiste, acoustique, intemporelle – évoque ainsi pour certains critiques la période 1965-1968 de McCartney. On croit entendre çà et là l’écho des ballades de l’“Album blanc” ou de certaines chansons de Rubber Soul. Toutefois, Nigel Godrich veille à ce que tout cela reste au service de nouvelles compositions : il ne s’agit pas de faire du pastiche des années 60, mais bien d’insuffler une certaine intemporalité au disque. En ce sens, Chaos and Creation in the Backyard ne ressemble à aucun autre album de l’année 2005 : aucun effet de mode (on est en plein boom du rock post-punk et de l’électro à l’époque) ne vient le dater, il paraît flotter hors du temps.
Un autre choix notable réside dans l’ordre des pistes et la cohérence du séquençage. L’album, qui dure environ 46 minutes, est pensé comme un parcours émotionnel. Après le démarrage optimiste de « Fine Line », la tonalité se fait plus intérieure au fil des morceaux, pour atteindre son point le plus calme et introspectif vers « Riding to Vanity Fair ». Les deux dernières chansons – « This Never Happened Before », une ballade d’amour romantique au piano, et « Anyway » – offrent une conclusion plus lumineuse, comme une note d’espoir après les tourments précédents. This Never Happened Before est d’ailleurs une véritable déclaration d’amour, d’une sincérité désarmante, que McCartney interprète avec une douceur et une simplicité touchantes (le morceau sera utilisé plus tard dans la bande originale d’un film, preuve de son pouvoir émotionnel universel). La structure de l’album évite ainsi l’écueil d’un bloc monotone : sans contenir de rock agressif, il propose des variations de tempo et d’humeur suffisantes pour maintenir l’attention, tout en restant fidèle à son atmosphère feutrée.
Visuellement enfin, le choix de la pochette renforce l’identité de l’album. La couverture en noir et blanc provient d’une photographie d’archive personnelle : on y voit un jeune Paul McCartney, dans les années 1960, en train de gratter sa guitare dans le jardin de sa famille à Liverpool. Le cliché a été pris par son frère Mike McCartney (alias Mike McGear), photographe de talent. Intitulée à l’origine « Paul Under Washing » (on distingue effectivement des draps qui sèchent sur une corde à linge derrière lui), la photo fut ensuite renommée « Our Kid Through Mum’s Net Curtains » (« notre gamin à travers les rideaux de maman »). Ce visuel attendrissant, à la fois modeste et nostalgique, s’accorde parfaitement avec le titre de l’album – Chaos and Creation in the Backyard, littéralement « Chaos et création dans le jardin de derrière ». Il symbolise l’esprit de l’album : revenir aux sources, dans l’arrière-cour de son enfance, pour y bricoler des chansons, entre chaos créatif et ingéniosité retrouvée. À noter que le nom de Paul McCartney figure sur la pochette sous la forme d’un ambigramme (un mot calligraphié pouvant se lire à l’envers), joli clin d’œil graphique qui amuse le musicien et témoigne de son sens du détail ludique.
Réception critique et évolution d’une œuvre majeure
À sa sortie en septembre 2005, Chaos and Creation in the Backyard est accueilli par une pluie de critiques positives à travers le monde. La presse salue presque unanimement le retour en grâce de McCartney en studio. De nombreux observateurs n’hésitent pas à parler de son meilleur album depuis des années, voire depuis des décennies. Le magazine Time ira jusqu’à affirmer, de manière provocante, qu’il s’agit « du premier album de McCartney qui compte vraiment depuis la séparation des Beatles », en 1970. Sans aller toujours à de tels superlatifs, les critiques soulignent la qualité d’ensemble du disque, son unité artistique et l’audace dont fait preuve McCartney en s’éloignant de sa formule habituelle.
Aux États-Unis, Chaos and Creation obtient deux nominations prestigieuses aux Grammy Awards 2006, dans les catégories Album de l’année et Meilleur album pop vocal. Il décroche également une nomination pour la performance vocale de McCartney sur « Jenny Wren », nommée en Meilleure prestation pop masculine l’année suivante. Bien que Paul reparte finalement sans trophée face à la concurrence, ces nominations illustrent la considération retrouvée de l’industrie pour son travail. Le contraste est fort avec ses albums des années 1980-90, souvent ignorés des cérémonies.
Plusieurs grands médias anglophones encensent l’album. Le Guardian parle d’un disque « mesuré, assombri et crépusculaire », notant que même les chansons d’amour y paraissent teintées de mélancolie sous la production sèche de Godrich. Le Los Angeles Times souligne le caractère plus intime et introspectif du disque, tout en relevant que McCartney reste parfois sur la réserve (« more intimate, but still cautious », titre leur critique) – comme s’il n’osait pas complètement se livrer. D’autres insistent sur la fraîcheur créative de l’album : « Voilà l’album qu’on attendait de McCartney depuis longtemps : un disque calme, aux nuances émotionnelles complexes – celui que des générations de critiques qui moquaient ses bluettes ensoleillées lui réclamaient », écrit par exemple un journaliste américain. Beaucoup saluent le pari réussi d’avoir fait un album sobre mais solide du début à la fin, sans titre faible.
Les références implicites aux Beatles et aux années 60 n’échappent pas aux connaisseurs, qui les apprécient sans doute d’autant plus qu’elles s’intègrent naturellement aux nouvelles compositions. *« Jenny Wren », *« English Tea », « Friends to Go » ou « A Certain Softness » sont disséquées par la critique, qui y décèle telle ressemblance harmonique avec tel classique de 1968, tel clin d’œil à une chanson offerte jadis à Cilla Black, ou telle ambiance rappelant Abbey Road. Plutôt que de le reprocher à McCartney, on y voit la preuve qu’il a su renouer avec l’inspiration de sa jeunesse, sans simplement se copier lui-même mais en mintant un style inimitable qui traverse le temps. Un critique souligne que malgré tous ces échos du passé, aucune chanson de Chaos and Creation n’atteint bien sûr la perfection des standards Beatles – « c’est une diversion intrigante plutôt qu’un ajout majeur au canon », tempère-t-il – mais que l’album a « un sens du propos, des mélodies en abondance et du charme à revendre ». Il note que McCartney semble y avoir trouvé « un style modeste et idiosyncratique avec lequel il pourrait tranquillement achever sa carrière », tant ce disque lui ouvre de nouvelles perspectives pour la suite.
En France, où l’album est distribué par Parlophone/EMI, l’accueil est également très favorable. La critique hexagonale, parfois sévère envers les anciens géants du rock, salue la sincérité et la qualité d’écriture de ces nouvelles chansons. Des magazines comme Télérama ou Les Inrockuptibles parlent d’un McCartney “réinventé”, évoquant la « douce mélancolie automnale » qui se dégage de l’ensemble. Le public français répond présent : l’album dépasse les 100 000 exemplaires vendus en France et reste classé 21 semaines dans les charts nationaux – une performance honorable pour un disque de rock mélodique dans un marché dominé alors par la variété et le hip-hop. Au Royaume-Uni, en revanche, la réception commerciale est plus discrète : Chaos and Creation ne fait qu’une apparition brève dans le top 10 (#10 à sa sortie) et quitte rapidement le classement, totalisant à peine 45 000 ventes sur le sol britannique en 2005. Aux États-Unis, l’album se classe #6 du Billboard dès sa première semaine (avec plus de 90 000 ventes), mais ne génère pas de tube radiophonique pour autant. Au final, grâce à l’addition des marchés internationaux, McCartney obtient un beau succès d’estime : 1,3 million d’exemplaires vendus dans le monde au printemps 2006, selon EMI. Un chiffre modeste comparé aux dizaines de millions des gloires Beatles, mais largement supérieur aux scores de ses albums précédents – signe que le bouche-à-oreille positif a joué en faveur de Chaos and Creation.
Avec le recul, cet album de 2005 est souvent considéré comme le point culminant de la “renaissance” artistique de McCartney entamée à la fin des années 90 (Flaming Pie en 1997 étant parfois cité comme le début de cette belle série). Des sites spécialisés ou des fan-clubs le placent régulièrement parmi les meilleurs albums solo de Paul, aux côtés des incontournables Band on the Run (1973) ou Ram (1971). Nombre de fans de longue date y voient la preuve que McCartney, même sexagénaire, pouvait encore se renouveler et offrir des chansons à la hauteur de sa légende. L’album a aussi gagné de nouveaux admirateurs plus jeunes, sensibles à la patte de Nigel Godrich : certains amateurs de Radiohead ou Beck ont découvert à cette occasion un McCartney différent de l’icône mainstream qu’ils imaginaient.
Impact dans la carrière de McCartney et anecdotes de la période
Dans la discographie pléthorique de Paul McCartney, Chaos and Creation in the Backyard occupe désormais une place à part. D’aucuns parlent d’“album de la maturité”, ou de « sommet tardif » dans sa carrière solo. Il se distingue par son unité de ton et par la profondeur de son contenu, et beaucoup estiment qu’il n’a pas d’équivalent direct dans ses autres travaux. En effet, c’est la première (et à ce jour la seule) fois que McCartney a travaillé intégralement avec Nigel Godrich. Cette collaboration ne se répétera pas : si l’entente artistique a été réelle, le processus éprouvant a sans doute dissuadé Paul de rempiler immédiatement avec le même producteur. Son album suivant, Memory Almost Full (2007), repartira dans une direction différente – plus énergique, avec un autre producteur (David Kahne) – comme s’il ne voulait pas se répéter. Chaos and Creation restera donc un coup unique, une parenthèse singulière dans sa discographie.
L’impact de cet album se mesure aussi à l’aune de la confiance retrouvée de McCartney dans les années qui ont suivi. Fort de ce succès critique, il s’est montré plus aventureux dans ses choix ultérieurs. On peut voir dans Chaos and Creation le précurseur de sa démarche sur l’album New (2013), où il collaborera avec de jeunes producteurs (Mark Ronson, Giles Martin, etc.) pour mixer son style avec des sensibilités modernes. De même, son travail plus récent avec Kanye West ou avec le producteur Greg Kurstin (Egypt Station, 2018) témoigne d’une envie de dialogue intergénérationnel probablement confortée par l’expérience réussie avec Godrich.
En termes d’héritage, Chaos and Creation in the Backyard a montré qu’il était possible, pour un artiste de la trempe de McCartney, de surprendre encore et de se renouveler sincèrement passé 60 ans. Cet album a souvent été cité en exemple pour d’autres vétérans de la pop cherchant un second souffle. Il prouve que la prise de risque – accepter la critique d’un producteur pointilleux, se mettre en danger artistiquement – peut être payante, y compris lorsqu’on a déjà tout prouvé. À ce titre, Chaos a renforcé le respect de la communauté musicale pour McCartney : on ne parle plus seulement du « légendaire ex-Beatle », mais aussi du créateur toujours pertinent.
La période de promotion de l’album a également été riche en moments mémorables. Quelques semaines avant la sortie, McCartney a profité de l’énorme concert caritatif Live 8 (juillet 2005) pour revenir sur le devant de la scène mondiale – il y a chanté des classiques des Beatles devant des millions de téléspectateurs, rappelant qu’il était toujours une figure majeure du rock. S’il n’y a pas interprété de nouvelles chansons ce jour-là, il a en revanche présenté en avant-première « Follow Me » lors d’un autre événement marquant : le festival de Glastonbury 2004. En clôturant son concert par ce titre inconnu du public, il a suscité la curiosité sur son prochain album, un an avant sa sortie. Par la suite, une vaste tournée américaine baptisée US Tour 2005 a été lancée dès l’automne, coïncidant parfaitement avec la sortie du disque. McCartney y intégra plusieurs nouveaux morceaux (Fine Line, Jenny Wren, English Tea…) au milieu de ses classiques, prenant le pari que ces chansons introspectives sauraient toucher l’audience des stades.
Pour promouvoir l’album d’une manière plus intime, Paul a également organisé un concert privé exceptionnel aux studios Abbey Road le 28 juillet 2005, intitulé Chaos and Creation at Abbey Road. Dans le mythique studio 2 où les Beatles ont enregistré tant de chefs-d’œuvre, McCartney, détendu et blagueur, a joué quelques titres du nouvel album ainsi que des pépites de son répertoire devant un petit public chanceux. La performance, filmée par la BBC, alterne chansons et anecdotes : on y voit McCartney raconter son processus créatif, jouer de divers instruments en direct (allant jusqu’à enregistrer un mini morceau en multi-instrumentiste sous les yeux du public), et revisiter avec tendresse ses jeunes années. Ce mini-concert documentaire, diffusé à la télévision et édité plus tard en DVD, a contribué à humaniser l’image de Paul et à illustrer concrètement la philosophie de Chaos and Creation in the Backyard : un homme-orchestre dans son atelier musical, faisant dialoguer le présent et le passé.
Parmi les petites anecdotes liées à l’album, on notera que Jenny Wren a valu à McCartney une nomination surprise aux Grammy, mais aussi que ce titre a été édité en single sur un vinyle collector de couleur rouge rubis très prisé des collectionneurs. Deux faces-B inédites issues des mêmes séances, « Comfort of Love » et « Growing Up, Falling Down », sont parues en complément du single Fine Line, offrant aux fans un aperçu supplémentaire du foisonnement créatif de l’époque. Par ailleurs, le titre « Anyway » a amusé certains observateurs par sa ressemblance harmonique avec le standard « People Get Ready » de Curtis Mayfield – une convergence peut-être fortuite, mais que Paul, grand amateur de soul, a reconnue avec le sourire lorsqu’on lui a fait remarquer la similitude.
En rétrospective, Chaos and Creation in the Backyard s’affirme comme un album clé de la carrière solo de Paul McCartney. Son ton introspectif et sa réalisation soignée en font une œuvre à part, qui a non seulement séduit la critique lors de sa sortie, mais a su vieillir avec élégance. Près de vingt ans plus tard, écouter cet album revient à entrer dans le jardin secret d’un artiste légendaire, à un moment où celui-ci a choisi de baisser la garde et de laisser parler son cœur d’auteur-compositeur. Chaos and Creation in the Backyard restera sans doute comme le témoignage que, même dans la pleine maturité, Paul McCartney a su trouver en lui le chaos fertile de la création et le transformer en chansons d’une belle sincérité.