Sylvia Plath – La Cloche de détresse

Par Yvantilleuil

« La Cloche de détresse », initialement publié en 1963, puis réédité soixante ans plus tard dans cette traduction révisée, est le premier et unique roman de Sylvia Plath, qui mit fin à ses jours dans la maison londonienne qu’elle partageait avec son mari et leurs deux enfants, seulement un mois après la parution de son roman, à l’âge de 31 ans.

La détresse dont il est question dans ce récit clairement autobiographique enveloppe progressivement une jeune femme nommée Esther Greenwood dans l’Amérique de McCarthy, en 1953. La jeune Américaine de dix-neuf ans vient pourtant de remporter un concours de poésie organisé par un magazine de mode et se retrouve invitée pour un séjour à New York, parsemé de mondanités et de cocktails somptueux. Alors qu’elle évolue au milieu de ce chaos new-yorkais, elle a cependant régulièrement l’impression de se déplacer dans l’œil de la tornade, là où le silence règne de façon irréelle, totalement indifférent à la réalité virevoltante qui l’entoure…   

« La Cloche de détresse » invite à partager la descente aux enfers de cette jeune fille qui plonge progressivement dans une dépression absolue et qui termine finalement prisonnière de cette cloche de verre invisible qui l’isole petit à petit du reste du monde. Le contraste entre ce personnage qui semble comme prisonnière d’un mauvais rêve et l’autrice qui parvient à restituer ce mal-être avec un certain recul, s’avère aussi déstabilisant que judicieux.   

Le ton cynique du récit, parsemé d’un humour assez sombre et corrosif, permet d’ailleurs à l’autrice de raconter cette dépression tout en pointant du doigt cette société patriarcale qui contribue à l’étouffer. Cette jeune fille rêvant de liberté et débordante d’aspirations se retrouve en effet très vite asphyxiée par cette Amérique des années 1950 qui cherche à enfermer les femmes sous cloche, dans un espace restreint visant à réduire leurs libertés. Cet avenir de femme au foyer sans perspectives, qui brise immédiatement tout rêve d’indépendance et transforme volontiers les femmes qui veulent devenir écrivaines en simples dactylos, contribue indéniablement à la briser…

Remise dans le contexte de l’époque, cette révolte caustique concernant la place de la femme dans l’Amérique des années 1950 s’avère pour le moins courageuse et explique probablement que l’autrice, déjà célèbre pour sa poésie (couronnée d’un prix Pulitzer en 1981) au moment de la parution de l’ouvrage, l’ait publié sous le pseudo de Victoria Lucas.

Outre une critique de la société patriarcale des années 1950, ce roman propose également une plongée assez effrayante dans les pratiques médicales et psychiatriques totalement aberrantes et inhumaines de cette époque où les femmes un peu trop rebelles, voire non conformes, se retrouvaient très vite enfermées et éventuellement « soignées » à coups d’électrochocs…

« La Cloche de détresse » est finalement l’histoire d’un tueur en série nommé dépression, qui enferme ses victimes sous cloche, les torture quotidiennement et les asphyxie progressivement jusqu’à ce que leur détresse devienne trop grande… le récit d’un assassin au mode opératoire tellement ignoble qu’il aura été jusqu’à éliminer l’autrice de l’ouvrage…

La Cloche de détresse, Sylvia Plath, Denoël, 320 p., 19,90 €.

-> Une petite perche pour ceux qui en auraient éventuellement besoin: Le numéro de la ligne d’écoute du Centre de Prévention du Suicide – Le 3114 pour la France – Le 0800 32 123 pour la Belgique