Mettre les choses à plat

Publié le 19 juillet 2025 par Lana

Si je veux avancer, il est temps de mettre les choses à plat et de les nommer. Ne pas minimiser, ne pas relativiser sans cesse. Bien sûr qu’il y a toujours pire, et alors ?

Donc, vivre dans une famille où je ne peux pas exprimer mes émotions, mes besoins affectifs, où ils sont sans cesse moqués et tournés en dérision, où l’on me fait comprendre que je ne suis pas capable de grand-chose, où on ne m’a jamais dit je t’aime mais bien, un jour, je te hais, oui c’est de la maltraitance, même si je n’ai jamais manqué de rien au niveau matériel et si les seuls coups étaient des gifles de temps en temps. Au fil des années, ça brise la confiance en soi, ça isole et ça fait douter de la légitimité de ce que l’on ressent.

Avoir une relation où il y a de la violence psychologique et sexuelle, même si elle a été courte, ça laisse des traces. Et mon connard de psychiatre de l’époque a beau eu me dire que tous les hommes n’étaient pas comme ça quand je lui ai dit que je ne pouvais plus être touchée sans trembler (oui, il a vraiment dit ça!), et j’ai beau être sortie de la haine que j’ai ressenti envers cet homme pour passer à l’indifférence, ça a beau être arrivé à un nombre incalculable de femmes, c’est vrai, mais ça a quand même existé.

Les années de folie, de souffrance extrême, de solitude absolue face à une réalité indicible et incommunicable, ça au moins je n’ai jamais remis en cause leur effet dévastateur.

Et l’hôpital psychiatrique, là aussi je n’y suis pas restée longtemps, mais être dans un état de vulnérabilité totale et se sentir piégée dans un système qui a tout pouvoir sur ton corps, ton esprit et ta liberté, et bien ça aussi ça marque.

Le suicide de ma meilleure amie. Alors oui, elle habitait loin, non on ne se voyait pas toutes les semaines, mais n’empêche qu’on communiquait beaucoup et que c’était à l’époque mon amie la plus proche. Pleurer la soirée après avoir appris la nouvelle, aller travailler le lendemain et demander mon après-midi pour pleurer dans mon lit, puis recommencer ma vie comme si de rien n’était.

Être toujours d’humeur égale, ces dernières années, ne jamais pleurer, à cause des médicaments, m’en plaindre à ma psychiatre, mais rien n’est fait. Ne pas trouver ça normal, dire qu’un jour je vais avoir le contrecoup.

Perdre le travail que je faisais depuis vingt ans, être licenciée d’une façon sale, comme une ligne qu’on supprime d’un fichier Excel. En trouver un autre deux semaines après.

Et toutes ces années, j’ai avancé malgré tout, sans m’arrêter, parce que la vie est dure, c’est comme ça. Et les gens me pensaient forte, courageuse, limite insensible. Et j’avais beau répéter que je n’étais pas courageuse, ils ne voulaient rien entendre. J’ai commencé à avoir des douleurs chroniques, j’ai continué à avancer malgré tout, parce que c’est ce que j’ai toujours fait, jusqu’à n’être plus qu’en mode survie, jusqu’à en perdre la tête.

Et toutes ces années, à la souffrance ajouter toutes ces phrases qui en remettent une couche:

-Tu ne vas quand même pas pleurer pour ça ?

-Pourquoi tu t’enfermes dans un ghetto? (en parlant des forums internet où j’allais le soir pour partager mon vécu sur la maladie mentale, un endroit où enfin je n’étais plus seule)

-Je ne suis pas inquiet, vous êtes une malade en bonne santé.

-Attendez que ça passe.

-À ta place, je me serais déjà foutue en l’air.

Et d’autres, tant d’autres phrases de ce type, tant de soignants maltraitants, de secrétaires qui me mettent des bâtons dans les roues, être confrontée à un système absurde, me battre, sans cesse me battre pour être entendue, crue, soignée. Ne jamais m’exprimer comme c’est attendu, soit pas assez clairement, soit trop bien, soit de façon trop détachée.

Et depuis toujours, ne pas me sentir de ce monde. Me voir reprocher celle que je suis. Et voir valoriser des qualités qui ne sont que des façades.

Maintenant, les choses sont à plat. Mais je sais que le chemin sera long. J’ai déjà de précieuses alliées, des personnes qui me sauvent littéralement la vie, et c’est une chance extraordinaire pour laquelle je suis très reconnaissante. Mais je sais aussi que le système étant ce qu’il est, rien ne sera facile. Les gens étant ce qu’ils sont, préférant juger à la hâte plutôt que d’essayer de comprendre, ce chemin sera remplis de changements et de bouleversements.

Mais c’est le seul chemin possible si je veux rester en vie.