Depuis que je suis enfant, j’ai appris à ne compter que sur moi-même.
Parce qu’à la maison, exprimer une demande, exprimer mes besoins, laisser voir mes émotions, c’était la quasi certitude de se voir opposer un refus, de créer un drame, de voir tourner en ridicule ce que je ressentais.
Vers 6 ans, j’ai arrêté de parler pendant quelques jours. Les adultes me houspillaient pour que je parle, me faisaient du chantage (tu n’auras pas le droit de jouer aux Barbies tant que tu ne parleras pas). J’ai refait des épisodes de mutisme sélectif à 18 ans, et là on me disait que si je ne recommençais pas à parler, je n’aurais plus d’argent de poche.
Vers 8 ans, j’ai déboîté sans le faire exprès la tête d’une de mes Barbies. Je n’ai pas osé le dire à ma mère car je savais qu’elle allait me le reprocher. Alors, j’ai caché la Barbie, en craignant pendant des semaines que ma mère tombe dessus, ce qui bien sûr à fini par arriver, et ça a fait un drame comme je m’y attendais.
Un jour, dans un supermarché, je devais avoir une quinzaine d’années, je répétais à ma mère que j’avais très faim. Elle a menacé de me gifler devant tout le monde, « aussi grande que tu sois ». En réalité, je faisais une crise d’hypoglycémie, j’y étais sujette régulièrement, mais je ne savais pas comment ça s’appelait. Quand par contre, il y avait des choses que je refusais de manger, plus jeune, et il y en avait assez peu, ma mère me hurlait dessus, me pinçait le nez jusqu’à ce que j’ouvre la bouche pour respirer et me mettait la fourchette dans la bouche, ou. elle me coinçait dans un coin en me criant dessus jusqu’à ce que j’avale ce qui était sur la fourchette qu’elle avait en main.
À 11 ans, j’ai été harcelée à la plaine de vacances. J’en ai parlé à mes parents. Ma mère m’a dit quelques jours après « Ça ne m’étonne pas que tu n’aies pas d’amis à la plaine ».
Et tous les « Tu ne vas quand même pas pleurer pour ça », « Tu ne vas pas recommencer », « Arrête de pleurer comme un bébé », et le ton qui va avec, qui dit à quel point ce que je ressens est ridicule.
Alors quand je suis tombée malade, non je n’en ai pas parlé à ma famille. Oui, j’ai géré ma troisième décompensation psychotique seule dans un pays étranger, dans une langue qu’au début je maîtrisais mal. Tout le monde voyait bien qu’il y avait un problème, bien sûr, mais est-ce ce que je pouvais demander de l’aide, exprimer ce que je ressentais ? Pouvais-je espérer être soutenue et consolée ? Absolument pas. Souvent, les gens ne comprennent pas pourquoi j’ai évité le plus possible d’en parler à mes parents, comment je m’en suis sortie sans l’aide de ma famille. En réalité, ma réaction, c’était juste une question de survie, de préservation de mon intégrité psychique (enfin, de ce qu’il en restait). Je n’avais absolument pas le choix de faire autrement si je ne voulais pas être détruite.
Donc, oui, je me suis débattue quasiment toute seule dans ce monde pendant de longues années. Et quand, un jour j’ai entendu une psychologue dire « Si vous demandiez de l’aide (à des professionnels) vous même, c’est que ça n’allait pas si mal que ça », j’ai vraiment eu envie de hurler. Il y a une bonne façon de crever, c’est ça ? Il faut être dans le déni sinon c’est que ce n’est pas si urgent ? J’ai fait comme je pouvais avec le peu d’armes que j’avais, désolée si ça ne correspond pas aux schémas de vos bouquins. J’ai un instinct de survie assez développé, c’est vrai, mon kiné me faisait encore remarquer il y a deux jours que je ne lâchais jamais rien. Et je me demande parfois à quoi bon.
Mais vient quand même un moment où on a besoin de se reposer sur quelqu’un. On a besoin qu’on arrête de nous mettre dans une case (tu es forte, tu es courageuse, tu ne vas pas si mal que ça si tu réagis de telle ou telle façon). On a besoin de lâcher les armes et de les confier à une autre personne.