Ce qui m’épuise dans ce monde, depuis toujours, c’est son non-sens et le sentiment que la plupart des gens ne le voient pas.
L’impression d’être seule à me battre contre des moulins à vents.
Pour un questionnaire de la mutuelle, je dois dire à quel point je suis d’accord avec l’affirmation Je considère que c’est très grave si je fais une erreur au travail. Et je trouve que ça n’a absolument aucun sens de répondre à cette question de façon standardisée. Déjà, ça dépend de l’erreur. Si à cause de moi un livre arrive avec trois jours de retard, effectivement ce n’est pas très grave. Si je fais perdre à la librairie un marché de 50 000 euros, c’est un peu plus problématique. Ensuite, il y a des boulots où si tu fais une erreur, tu peux littéralement tuer des gens. Donc, c’est pas mal de se concentrer un peu et de juger que c’est grave de faire une erreur.
Je n’en peux plus de devoir répondre à des questions vagues en cochant des cases qui ne signifient pas grand-chose. Je n’en peux plus de ne correspondre à aucune solution protocolisée.
Le non-sens neurotypique à son paroxysme, c’est quand même la secrétaire du centre de santé en Espagne qui n’a pas pu me prendre rendez-vous avec la psychiatre parce que je n’avais qu’un nom de famille. Le médecin généraliste avait décidé que je devais aller voir un psychiatre. Je devais revenir quinze jours après pour avoir la date de mon rendez-vous. La case Urgent était cochée sur chacun de mes formulaires, j’étais dans une telle souffrance que je préférais mourir que de supporter ça pendant quinze jours, même si on m’assurait que la psychiatre allait me guérir magiquement (
Alors, bien sûr, c’est un exemple extrême, mais tellement frappant sur ce que fait ce monde aux personnes qui ne rentrent pas dans les cases. Et bien évidemment, il y a des gens qui contournent ces cases, comme le monsieur à l’accueil qui, me voyant mourir sur place, m’a dit Viens, je vais téléphoner à l’hôpital tout de suite et te prendre le rendez-vous avec la psychiatre. Oui, heureusement qu’il y a des personnes qui sont encore humaines et s’adaptent. Ça fait vraiment très longtemps que je serais morte si elles n’existent pas. Mais tout de même, ce cadre tellement rigide, ces cases dans lesquelles il faut rentrer à tout prix, ces petites croix à tracer sur des questionnaires simplistes, ça m’épuise totalement.