101° La canular n'est plus ce qu'il était.

Publié le 12 juin 2007 par Jacques De Brethmas

Le 30 octobre 1938, dans l’émission « Mercury Theatre on the air », sur CBS, un présentateur encore inconnu, un certain Orson Welles, fait une adaptation de « La Guerre des mondes » de son presque homonyme H. G. Wells, avec tant de réalisme qu’il transforme New York en chaos et que plus d’un million de New Yorkais partent en exode au milieu de la nuit, pour fuir une attaque de Martiens à laquelle ils ont cru. Le président Roosevelt est réveillé en pleine nuit, et déclenche l’alerte militaire. Les réservistes sont rappelés dans les ports, et il faudra trois heures à l’armée pour comprendre qu’il s’agit d’un canular. L’armée restera néanmoins en alerte trois jours, en réalité pour secourir les réfugiés bloqués sur les routes, les stations-service étant à sec et inaccessibles aux livraisons… Certains fuyards mettront deux jours à rentrer chez eux. Le résultat avait peut-être dépassé les espérances de Welles, mais il y avait dans l’aventure une véritable dimension médiatique.

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On ne va pas faire le tour du monde des canulars, mais dans les années 60, en France, Francis Blanche faisait une émission de canulars qui fit couler beaucoup d’encre. L’un des plus croustillants fut de se faire passer pour le directeur de l’école de garçons Sautereau, et de proposer à la directrice d’une école de filles huppées des week ends de détente à la compagne pour que « ces jeunes gens et ces jeunes filles puissent apprendre ensemble les choses de la vie ».

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En 2003 à Prague, les étudiants de la Faculté du Film décident de faire une étude sur l’impact de la publicité. Du 15 mai au 2 juin, tous les médias participent à une campagne pour un supermarché extraordinaire, « Astrid Hoffmanova » qui leur permettra enfin de " vivre leur rêve tchèque".

Le 2 juin, tout Prague se dirige vers Lethany, une banlieue du nord-est en reconstruction, qui comporte d’immenses friches industrielles et des terrains vagues. Au lieu dit, dans une morne plaine boueuse, ils découvrent une façade d’hypermarché en décor de théâtre. Morale : « Méfiez vous de la publicité » ! C’est ce que les Allemands appellent une « histoire tchèque » un peu sur le ton dont nous parlons des « histoires belges ». Sauf que celle-là est bien vraie.

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Le 14 décembre 2006, la RTBF, la radiotélévision belge francophone interrompt le cours de ses émissions pour annoncer que « La Flandre fait cessession, proclame son indépendance et abandonne la Wallonnie à son sort ». On a frisé l’apoplexie dans le gotha belge, le canular allant jusqu'à dire que le roi s'apprêtait à quitter le pays.

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A la même époque, Gérald Dahan a piégé Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy en se faisant passer pour un diplomate canadien. Avec peu de résultat…

La semaine dernière, une petite chaîne de télévision privée hollandaise en mal de notoriété annonce le « Big Donor Show », au cours de laquelle une malade condamnée organise un concours pour choisir entre plusieurs prétendants à la greffe celui qu’elle sauvera par le don de ses organes. L’émission connaît un fort audimat et ce n’est qu’à la fin que le présentateur annonce qu’il s’agit d’une mise en scène destinée à promouvoir le don d’organes.

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Vous en penserez ce que vous voudrez, mais je trouve qu’à l’inverse du vin, le canular ne bonifie pas en vieillissant. Plus rien n’arrête les hypnotiseurs. Au hasard d’un zap, je suis tombé cette semaine sur NT1, une chaîne de la TNT, sur une émission intitulée « Ça va se savoir ». Cette émission, qui s’avère une adaptation du « Jerry Springer Show » est produite en Belgique. Elle met en scène des déchirements familiaux ou des affaires de voisinage encore plus sordides que chez Bataille et Fontaine, avec en prime un présentateur qui me flanque des boutons tant je le trouve obséquieux et odieux, un certain Simon Monceau, et des scènes de déballage putride de pure fiction au point que les génériques de début et de fin annoncent clairement qu’ils sont incarnés par des comédiens.

Le niveau de culture, d’humanisme et de simple bon goût des médias baisse dangereusement. Certains hommes politiques en usent avec cynisme. Que sera la France d’après ?