« Power To The People (Super Deluxe Edition) » : le coffret qui raconte l’activisme politique de John Lennon et Yoko Ono (1969‑1972)

Publié le 14 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 10 octobre 2025, « Power To The People (Super Deluxe Edition) » retracera l’activisme artistique et politique de John Lennon et Yoko Ono entre 1969 et 1972. Ce coffret de 12 disques, avec 123 titres dont 90 inédits, inclut les concerts One To One remixés, démos rares, sessions live et un livre de 204 pages. Supervisé par Sean Ono Lennon, il offre une restauration sonore immersive et une plongée dans la fusion musique-militance du couple.


Annoncé pour le 10 octobre 2025, « Power To The People (Super Deluxe Edition) » est un coffret de 12 disquesneuf CD et trois Blu‑ray audio – qui embrasse la période 1969‑1972, lorsque John Lennon et Yoko Ono ont fait de la création artistique et de la militance non violente un même geste. Le contenu est massif : 123 titres, dont 90 inédits ou jamais entendus sous cette forme. L’édition est supervisée par Sean Ono Lennon, avec l’équipe « Ultimate Collection » déjà couronnée de Grammy Awards pour ses restaurations et rééditions du catalogue Lennon. Un livre relié de 204 pages, conçu et édité par Simon Hilton, apporte un éclairage historique et iconographique, afin de replacer chaque enregistrement dans son contexte de fabrication et de réception.

Au‑delà d’un inventaire de démos, home recordings, sessions de jam, prises alternatives, mixes uniques et captations live, le coffret raconte une histoire : celle d’un couple d’artistes qui, de l’Europe à New York, relie la musique aux idées, mêle la culture pop à l’action citoyenne et s’expose aux controverses pour défendre une vision pacifiste du monde. Il s’agit moins d’un best of que d’une chronique du passage d’un musicien immense vers une posture publique assumée, avec ses sommets et ses angles vifs.

Sommaire

1969‑1972 : des Bed‑Ins à Madison Square Garden, un fil militant

Le fil du coffret court des Bed‑Ins de 1969 jusqu’aux One To One Concerts du 30 août 1972 au Madison Square Garden. À Amsterdam puis Montréal, au printemps 1969, John et Yoko transforment la chambre d’hôtel en scène : de « Bed‑In for Peace » en « Hair Peace/ Bed Peace », ils offrent au public et aux médias un dispositif qui, sous l’apparence de la légèreté, pose une question politique directe : que peut un geste non violent, répété, affiché, relayé par le monde ? Le 1er juin 1969, dans la chambre 1742 de l’hôtel Queen Elizabeth à Montréal, la communauté réunie autour d’eux enregistre « Give Peace A Chance » sous l’étendard Plastic Ono Band. Devenu hymne pacifiste, le titre ouvre, dans le coffret, la séquence qui mène aux années new‑yorkaises.

Le déménagement à Greenwich Village marque un tournant. À partir de 1971, Lennon et Ono s’installent au cœur d’une ville traversée par la contestation contre la guerre du Viêt Nam et les injustices sociales. Ils s’entourent du groupe Elephant’s Memory, s’ouvrent aux réseaux underground et donnent à leurs chansons une dimension plus frontale. L’album « Sometime In New York City » (1972) – dont le coffret propose une version remixée et réimaginée sous le titre « New York City » – fait entendre un songwriting à la première personne du pluriel : titres écrits au rythme de l’actualité, slogans transformés en refrains, sujets brûlants (droits civiques, féminisme, prisonniers politiques) traités sans détour. La colère et l’espoir s’y répondent, parfois au prix d’une réception critique polarisée.

Le récit aboutit aux One To One Concerts, deux shows (après‑midi et soirée) donnés le 30 août 1972 au Madison Square Garden, au bénéfice des enfants de l’établissement Willowbrook, alors sous les projecteurs pour ses conditions d’accueil indignes. Le coffret en propose la présentation la plus complète à ce jour : 31 titres captés l’après‑midi et le soir, entièrement remixés depuis les bandes multipistes pour restituer l’énergie du plateau John & Yoko/Plastic Ono Band avec Elephant’s Memory, épaulé par le batteur Jim Keltner et des invités de marque. John Lennon qualifiera ces concerts de « meilleure musique » jouée depuis les nuits du Cavern et les heures Hambourg ; ils seront aussi les derniers concerts intégralement donnés par John et Yoko ensemble.

Le cœur sonore du coffret : une restauration haut de gamme et des mixages immersifs

La direction artistique et technique du projet est assurée par Sean Ono Lennon, entouré du mixeur et ingénieur Paul Hicks et de l’ingénieur Sam Gannon. L’objectif affiché est de préserver la sensation live des concerts tout en affinant le rendu, piste par piste, à partir des sources originales. Les Blu‑ray audio offrent des versions en HD stéréo, 5.1 et Dolby Atmos, afin de restituer l’espace des salles et la matière des instruments. La masterisation, assurée à Abbey Road Studios, vise un équilibre entre fidélité et clarté : voix au premier plan, section rythmique tenue, bois et cuivres (notamment chez Elephant’s Memory) mieux détourés qu’auparavant.

Le travail ne se limite pas aux concerts. La période 1969‑1972 recèle une foule de bandes privées ou alternatives : démos au St. Regis à l’automne 1971, esquisses au harmonium, maquettes enregistrées à la maison, prises live sur scènes new‑yorkaises et émissions télévisées, sans oublier le « Live Jam » de 1971 avec Frank Zappa and The Mothers au Fillmore East, ici élargi et remixé. En assemblant ces matériaux, le coffret privilégie une écoute narrative : l’oreille passe d’un espace à l’autre, suit la mue d’une écriture, entend la circulation des idées d’une piste à l’autre.

« Come Together » 1972 : un avant‑goût inédit qui dit tout

Pour accompagner l’annonce, les ayants droit proposent un extrait inédit capté lors du One To One : une version live de « Come Together », jouée avec Elephant’s Memory et Jim Keltner. On y entend Lennon s’approprier un classique des Beatles dans un contexte new‑yorkais plus âpre : la basse est épaisse, la guitare initiale serrue le groove, la voix pousse sur le premier couplet, l’ensemble respire mieux qu’auparavant grâce au remix. Cette prise a valeur de programme : faire redécouvrir ces concerts au‑delà du souvenir et des documents déjà connus, avec un son qui tienne la distance en 2025.

« New York City » : relire « Sometime In New York City » à l’aune d’aujourd’hui

Point sensible de cette période, « Sometime In New York City » est un disque engagé jusqu’à l’os, composé et enregistré au contact des événements. Sa réception avait été chahutée : on lui reprochait ses slogans, son actualité brûlante, le ton péremptoire de certains morceaux, la rudesse du son. En proposant une version remixée et réimaginée sous le titre « New York City », le coffret assume l’héritage tout en recontextualisant le projet. Non pour réécrire l’histoire, mais pour rendre aux chansons leur vitalité
originale : guitares au grain retravaillé, voix et projections clarifiées, sections rythmiques resserrées. On retrouve les thèmes centraux – droits civiques, anticonscription, féminisme – et la co‑signature artistique John/Yoko qui fait du disque un document sans équivalent sur l’Amérique du début des années 1970.

Packaging et contenus : quand l’objet prolonge l’idée

Autant que l’audio, l’objet a été pensé comme une mise en scène de la période. Le coffret 9 CD/3 Blu‑ray prend place dans un étui 10 pouces avec titre en argent et couverture lenticulaire : l’effet 3D mêle les visages de John et Yoko, image‑totem de leur duo public. Le livre de 204 pages revient sur les Bed‑Ins, la campagne « War Is Over! (If You Want It) », la migration de Tittenhurst Park vers Greenwich Village, le travail avec Elephant’s Memory, les répétitions des One To One et les enjeux politiques du moment. Des documents complémentaires – affiche « newsprint », cartes postales, autocollants, répliques de billets de concert, backstage pass et invitation aftershow – complètent l’écrin, donnant à sentir l’écosystème visuel qui accompagnait la musique et les actions du couple.

L’édition vinyle suit la même logique de pluralité : un double LP transparent exclusif boutique et une version 180 g noire, toutes deux hybrides (meilleurs moments des deux shows), accompagnées d’un livret et d’une affiche. Une édition 2 CD propose les 31 titres des deux sets, tandis qu’un CD simple rassemble un « best of » des concerts. L’ensemble des versions physiques déclinent la même direction artistique, signée Sean Ono Lennon, Simon Hilton et Liz Hirsch.

Willowbrook, Greenwich Village, St. Regis, Fillmore East : une géographie sonore reconstituée

L’un des apports majeurs du coffret est de réunir dans un même cadre des enregistrements dispersés. La cartographie de la période s’en trouve lisible. On suit Lennon et Ono au St. Regis à New York à l’automne 1971, où s’élaborent des démos intimistes (échos de reprises des Everly Brothers et de l’âge d’or du rock’n’roll). On bascule au Fillmore East au printemps 1971 pour le dialogue avec Frank Zappa, dont le Live Jam élargi éclaire mieux les enjeux d’improvisation et de friction entre univers. On gagne ensuite Greenwich Village pour les sessions avec Elephant’s Memory, avant d’aboutir aux répétitions des One To One, documentées ici par des photographies de Bob Gruen et des bandes issues des multitracks.

Cette géographie n’est pas décorative. Elle raconte la circulation des idées : les slogans des affiches deviennent des refrains, les articles de la presse militante se transforment en couplets, les rencontresactivistes, journalistes, artistes – nourrissent les formes. Lennon et Ono travaillent en temps réel sur une actualité qui les met aussi en jeu personnellement, qu’il s’agisse des démêlés administratifs autour des tentatives d’expulsion ou des combats pour des causes concrètes.

Un avant‑propos de Yoko Ono et la voix de Sean Ono Lennon

L’édition se distingue par son appareil éditorial. Dans le préface, Yoko Ono revient sur le sens des One To One Concerts : un geste de politique locale (« Grassroots Politics ») et un aboutissement artistique ; elle rappelle aussi qu’il s’agit des derniers concerts intégralement donnés avec John. La parole est également donnée à Sean Ono Lennon : le producteur décrit son émotion à l’écoute de documents inédits du fonds familial, et souligne le soin apporté à la restauration : préserver l’électricité du live, nettoyer sans aseptiser, remonter des séquences sans en gommer l’aléa qui fait le prix du concert.

Un agenda éditorial : RSD 2025, précurseur et jalons

Le coffret s’inscrit dans un agenda plus large de rééditions et de projets autour de cette période. Au printemps 2025, un EP vinyle Record Store Day centré sur le One To One« Power To The People – Live at the One To One Concert, New York City, 1972 » – avait d’ores et déjà donné un avant‑goût de la restauration opérée : on y découvrait des versions inédites de « Well Well Well », « Cold Turkey » et « Don’t Worry Kyoko » aux côtés d’un « Instant Karma! » remixé. La parution d’« Ode to Meadow » en 2016 et, plus généralement, les récentes rééditions de Yoko Ono et de John Lennon sur support haute définition ont progressivement préparé l’oreille à ce type de travail archivistique.

La matrice Lennon/Ono : une œuvre où l’art et la vie tiennent ensemble

Si « Power To The People » retient autant l’attention, c’est qu’il met en évidence la matrice de l’œuvre Lennon/Ono : une conception de l’art comme pratique publique, une éthique de la non‑violence et une volonté d’agir ici et maintenant. Cette posture a été parfois déformée par les caricatures ; elle apparaît ici dans sa complexité. Les chansons n’ont pas vocation à solder un débat, mais à ouvrir des espaces d’écoute et de parole. Les gestes médiatiques – Bed‑Ins, affiches, performances – dialoguent avec des morceaux qui, même lorsqu’ils empruntent à la pancarte, conservent une dimension musicale exigeante.

On comprend ainsi pourquoi cette période reste fondatrice pour la suite : les projets postérieurs de Yoko Ono, qu’ils soient discographiques ou expositionnels, prolongent cette façon de lier l’intime et le collectif. Le retour de Lennon en 1980 avec « Double Fantasy » prendra une autre tournure, plus domestique, mais la trace de ces années new‑yorkaises demeure lisible dans sa manière de concevoir la voix et l’adresse au public.

Une mémoire remise en circulation, sans fétichisme

Le risque des coffrets de cette ampleur est de se transformer en sanctuaire. Ici, le parti pris est différent : réactiver une mémoire en la rendant écoutable aujourd’hui, sans fétichiser l’archive. La remise à niveau sonore, l’éditorialisation précise du livre, le choix d’extraits inédits pertinents font de « Power To The People » un outil de compréhension autant qu’un plaisir d’écoute. L’auditeur peut y suivre un enchevêtrement : celui d’un couple d’artistes qui se mesure au monde et ajuste, au fil des jours, sa façon de chanter, d’écrire, de répondre.

Une boîte noire pour une décennie décisive

En rassemblant 123 titres – dont 90 inédits – et en proposant une édition haute définition des One To One Concerts, « Power To The People (Super Deluxe Edition) » s’impose comme la référence documentaire sur la période 1969‑1972 du duo Lennon/Ono. Le 10 octobre 2025, à l’orée du 85e anniversaire de John Lennon, ce coffret ne se contente pas de célébrer un héritage : il ré‑articule le lien entre chanson, image et engagement, et rend à ces œuvres leur fonction première : faire entendre, faire voir et faire réfléchir. Dans une époque où la musique est à nouveau sommée de réagir au monde, cette boîte ne sonne pas comme une capsule du passé, mais comme une leçon d’usage du présent.