Le morceau « Dig It » occupe une place singulière dans l’histoire des Beatles. Inséré sur l’album Let It Be, il se distingue par sa nature improvisée et son statut d’ovni musical au sein du répertoire du groupe. Il s’agit d’une des rares compositions collectives des Beatles, signée par John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr, et elle reflète l’ambiance erratique des sessions de janvier 1969 qui devaient initialement aboutir à un retour aux sources du groupe.
Sommaire
- Une genèse dans la spontanité
- De longues sessions pour une brève apparition
- Un vestige du projet Get Back
- « Dig It », un réflexe musical plus qu’une chanson
Une genèse dans la spontanité
Le contexte dans lequel « Dig It » a vu le jour est celui des tumultueuses sessions de Get Back, projet qui devait marquer un retour à la pureté du rock’n’roll originel. Enregistré au début de l’année 1969, le titre émerge d’une jam session libre et improvisée, initiée par John Lennon sur une grille d’accords basique I-IV-V.
L’importance de cette composition réside avant tout dans son processus créatif : il s’agit d’un enregistrement spontanné, capturant l’énergie brute et désorganisée qui caractérisait ces sessions. Lennon en assume le leadership, scandant des paroles improvisées qui mêlent références culturelles et absurdités verbales :
« Like a rolling stone / Like the FBI, and the CIA / And the BBC, BB King / And Doris Day, Matt Busby… Dig it, dig it, dig it, dig it. »
Ces quelques vers, surréalistes et rythmés, résonnent comme un clin d’œil à l’air du temps et aux influences musicales et politiques de l’époque.
De longues sessions pour une brève apparition
Si la version présente sur Let It Be ne dure que 49 secondes, le titre a pourtant été enregistré sous plusieurs formes, parfois longues de plus de douze minutes. La première version, intitulée « Can You Dig It? », fut captée le 24 janvier 1969 et durait près de quatorze minutes. Lors de cette prise, Lennon termine la jam en prononçant cette phrase célèbre :
« That was ‘Can You Dig It?’ by Georgie Wood. And now we’d like to do ‘Hark The Angels Come’. »
Ces mots furent repris sur l’album Let It Be, servant de transition entre « Dig It » et le morceau titre Let It Be.
Deux jours plus tard, le 26 janvier, les Beatles enregistrèrent une version encore plus longue, dans laquelle Yoko Ono intervient au début avec un chant improvisé. John Lennon, en véritable chef d’orchestre du chaos, s’approprie le morceau en citant d’autres chansons, notamment « Like A Rolling Stone » de Bob Dylan et « Twist And Shout », titre emblématique de leurs débuts.
Cette session vit également la participation de Heather McCartney, la fille de Linda McCartney, qui improvisa quelques mots aux côtés de Lennon. Une autre prise, enregistrée le 28 janvier, voit John énumérer les titres des morceaux enregistrés durant les sessions de Let It Be, dans une litanie chaotique qui semble résumer l’expérience tumultueuse de cet album.
Un vestige du projet Get Back
L’intégration de « Dig It » sur l’album Let It Be doit beaucoup à la vision de Glyn Johns, l’ingénieur du son originellement chargé du projet Get Back. Dans sa première version de l’album, qu’il présente aux Beatles au printemps 1969, une version plus longue de « Dig It » y figure. Toutefois, lorsque Phil Spector reprend la production en 1970, il choisit de réduire drastiquement la durée du morceau, ne conservant qu’un extrait d’une cinquantaine de secondes.
Le film Let It Be, quant à lui, présente une version légèrement plus longue du morceau, offrant une meilleure idée du contexte improvisé de l’enregistrement. En 2021, la sortie de The Beatles: Get Back, la série documentaire de Peter Jackson, a permis de redécouvrir la genèse du morceau sous un nouvel angle, soulignant l’énergie brute et le chaos de ces sessions mythiques.
« Dig It », un réflexe musical plus qu’une chanson
Loin d’être un morceau structuré au sens classique du terme, « Dig It » est davantage une illustration du mode de fonctionnement des Beatles à cette époque. Fragmentaire, chaotique, mais aussi ludiquement subversif, le morceau incarne le climat créatif et les tensions qui prévalaient au sein du groupe en 1969.
Dans un certain sens, « Dig It » fonctionne comme une réponse ironique au chaos du projet Get Back : au lieu du retour aux racines rock prévu, il se mue en un exercice d’improvisation quasi dadaïste, dans lequel les Beatles semblent résumer leur histoire et leur état d’esprit de l’instant. Si ce titre demeure anecdotique par sa brièveté sur l’album final, il représente pourtant une période cruciale pour le groupe, celle de la fin d’une aventure musicale hors du commun.