Ringo claque (encore) la porte à cause de « Polythene Pam »

Publié le 27 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1969, Ringo Starr quitte brièvement le studio après une remarque de Lennon sur « Polythene Pam », avant de revenir enregistrer une version brillante. Ce moment, peu connu, éclaire les tensions et la rigueur créative qui marquent la fin des Beatles. La chanson, insérée dans le medley d’Abbey Road, devient un rouage essentiel du chef-d’œuvre, révélant la maîtrise collective malgré les fissures.


Dans la mémoire collective, Ringo Starr incarne souvent la figure loyale et placide des Beatles. Au milieu des tensions qui traversent la fin des années 1960, il reste le batteur sûr, celui qui tient la pulsation pendant que le groupe se réinvente et se déchire à la fois. On sait qu’il a quitté le navire une première fois à l’été 1968, en plein White Album, avant de revenir quelques jours plus tard. Ce que l’on raconte moins, c’est qu’un an après, durant les sessions d’« Abbey Road », Ringo aurait de nouveau claqué la porte – brièvement – à la suite d’un accrochage autour d’un titre signé John Lennon : « Polythene Pam ».

L’épisode ne prend pas la forme d’une démission officielle, mais d’un coup de colère qui le tient éloigné du studio pendant un court laps de temps. Selon des témoignages d’époque, John Lennon se montre insatisfait d’une prise de batterie sur « Polythene Pam ». Ringo, piqué au vif, s’éclipse « pour quelques jours », puis revient et réenregistre la partie – au grand contentement de Lennon. Ce frottement dit beaucoup de la fin de parcours du groupe : une exigence devenue rugueuse, un perfectionnisme qui transforme la moindre mise au point en bataille d’ego, mais aussi une capacité intacte à finir le travail lorsque la chanson l’exige.

Sommaire

  • Retour à l’été 1968 : un premier départ lourd de sens
  • « Let It Be », « Get Back » : la crise à ciel ouvert avant l’atelier d’« Abbey Road »
  • « Polythene Pam » : un souvenir de Lennon, un relais dans le medley
  • Dans la cabine : une critique, une sortie, un retour
  • Comment sonne « Polythene Pam » ? Le pouls inquiet de Ringo
  • Les dates, l’atelier, la chaîne : comment le medley s’assemble
  • « Maxwell’s Silver Hammer », « Octopus’s Garden » : tensions et respirations
  • Lennon minimisera « Polythene Pam », mais la chanson tient son rang
  • De la colère à l’efficacité : ce que l’on entend de Ringo
  • Une « seconde fois » ? Les mots, les faits, et la nuance
  • Après « Abbey Road » : pas de rancune, juste des chemins qui se séparent
  • Ce que « Polythene Pam » raconte des Beatles
  • Épilogue : fissures et maîtrise

Retour à l’été 1968 : un premier départ lourd de sens

Pour mesurer la portée de ce « bis », il faut se souvenir du premier départ de Ringo Starr. Le 22 août 1968, épuisé par l’ambiance délétère des sessions du White Album et persuadé de « ne plus jouer assez bien », il quitte le studio. Paul McCartney prend alors la batterie sur « Back in the U.S.S.R. » et « Dear Prudence », preuve d’une fluidité forcée dans la répartition des rôles. Ringo s’envole pour la Sardaigne où, à bord d’un yacht prêté par Peter Sellers, il griffonne l’idée d’« Octopus’s Garden ». Lorsqu’il revient au début septembre, il découvre son kit fleuri et un message amical l’invitant à rentrer : une manière pour le groupe de reconnaître, sans fard, à quel point sa présence est indispensable.

Ce moment‑là laisse des traces. Il installe dans la conscience de Ringo une fragilité que les autres Beatles, souvent focalisés sur leurs propres combats, ne mesurent pas toujours. Il explique aussi la force symbolique de la seconde échappée : en 1969, l’orage n’est pas passé, il s’est simplement déplacé.

« Let It Be », « Get Back » : la crise à ciel ouvert avant l’atelier d’« Abbey Road »

L’hiver 1969 met la crise sous les projecteurs. Le projet « Get Back » – qui deviendra « Let It Be » – expose les rivalités au grand jour, jusqu’à filmer le départ de George Harrison en janvier. Décennies plus tard, le travail de Peter Jackson dans le documentaire « The Beatles : Get Back » rééquilibrera l’image en montrant aussi la légèreté, les plaisanteries, l’invention collective qui subsistent malgré tout. Mais l’essentiel est là : au printemps, il faut rebâtir une méthode pour enregistrer un dernier album « comme avant », avec George Martin aux commandes, Geoff Emerick de retour à la console, et une discipline retrouvée.

Dans ce contexte, « Abbey Road » s’élabore comme un chantier d’orfèvre. La face A privilégie des morceaux autonomes et léchés, la face B se construit autour d’un medley ambitieux – une suite enchaînée que le groupe baptise provisoirement « The Long One » avant de trancher dans les collages. C’est au cœur de cette seconde face, où les chansons se télescopent avec une virtuosité calculée, que surgit « Polythene Pam », lancée à toute vitesse vers « She Came In Through the Bathroom Window ».

« Polythene Pam » : un souvenir de Lennon, un relais dans le medley

John Lennon réduira plus tard « Polythene Pam » à une vignette écrite par facilités, inspirée par un souvenir de Jersey et par des types croisés dans le Liverpool d’avant la célébrité. Peu importe, au fond, l’estime de l’auteur : insérée dans le medley d’« Abbey Road », la chanson joue à plein son rôle de relance. Après les miroitements de « Sun King » et le clin d’œil narquois de « Mean Mr. Mustard », elle bascule le cycle vers l’énergie brute, deux minutes d’électricité nerveuse, alignées sur la douze cordes de Lennon et le fil d’accords tiré par George Harrison.

Tout l’art du medley consiste à ménager des sutures invisibles. « Polythene Pam » en est une : elle propulse l’auditeur vers « She Came In Through the Bathroom Window » sans lui laisser reprendre son souffle. À l’échelle du disque, c’est un morceau ponctuation, un trait de charbon qui épaissit le dessin et le rend lisible de loin.

Dans la cabine : une critique, une sortie, un retour

C’est à la faveur de cette séquence qu’intervient le fameux accrochage. Au détour d’une prise, John Lennon juge la batterie de Ringo en‑dessous de l’intention. L’ingénieur Geoff Emerick, revenu pour « Abbey Road » après avoir quitté les sessions du White Album, garde le souvenir d’un échange sec ; Ringo encaisse, puis quitte le studio, irrité. Les images n’existent pas, mais le récit qui circule depuis des années en studio comme dans la littérature technique est cohérent : quelques jours d’absence, puis un retour, et une nouvelle prise qui scelle la version que l’on connaît.

Ce n’est pas seulement l’histoire d’une mauvaise humeur. C’est le symptôme d’une méthode qui s’est durcie. À la différence des années 1963‑1966, où la vitesse d’exécution et l’enthousiasme couvraient les imperfections, la période 1968‑1969 voit les Beatles recommencer, remonter, réenregistrer jusqu’à l’épuisement. L’exigence artistique y gagne, la convivialité pas toujours.

Comment sonne « Polythene Pam » ? Le pouls inquiet de Ringo

Si l’on prête l’oreille à la version publiée sur « Abbey Road », Ringo Starr ne joue pas à la manière d’un batteur vexé ; il joue comme un musicien qui a décidé de porter la chanson sur son dos. Le tempo est franc, le jeu serré sur la caisse claire et le tom grave, l’attaque tranchante. Là où la douze cordes de Lennon tisse un tapis d’allers‑retours, la batterie impose un pouls légèrement inquiet, presque pressé, qui prépare la déflagration du raccord avec « She Came In Through the Bathroom Window ».

Ce grain‑là, compact et efficace, est typique de Ringo : pas de démonstration, pas de creux superflu, une conduite qui laisse exister le chant et les guitares tout en tenaillant la phrase. La musique dit ce que les biographies résument : Ringo sait jouer pour la chanson, quitte à avaler son orgueil lorsque l’un des auteurs veut un autre accent, une autre couleur.

Les dates, l’atelier, la chaîne : comment le medley s’assemble

L’été 1969 voit se succéder prises et overdubs aux EMI Studios de St John’s Wood. Les composites du medley sont mis à plat en fin de mois afin de tester en vraie grandeur l’enchaînement des chansons, les balancements de dynamique, les fondus. C’est là que « Polythene Pam » trouve sa vitesse définitive et sa place dans la chaîne ; c’est là aussi que d’autres fragments – « Her Majesty », par exemple – sont décrochés du ruban et relégués ailleurs pour ménager l’équilibre d’ensemble.

Dans la cabine, l’équipe technique joue un rôle déterminant. George Martin veille aux proportions, Geoff Emerick et ses collègues garantissent l’intelligibilité d’un puzzle sonore où la moindre transition compte. La basse de Paul McCartney et la douze cordes de Lennon s’imbriquent, Harrison cisèle ses réponses, Ringo plaque le cadre rythmique. On ne se parle pas toujours avec chaleur, on produit pourtant une musique d’une exactitude redoutable.

« Maxwell’s Silver Hammer », « Octopus’s Garden » : tensions et respirations

Dire qu’« Abbey Road » n’est que conflit serait caricatural. Le disque sait ménager des espaces de détente et d’humour. La fantaisie de « Octopus’s Garden », portée au chant par Ringo et largement arrangée par George Harrison, apporte une respiration bienvenue. À l’inverse, « Maxwell’s Silver Hammer », raffinée jusqu’à la maniaquerie par Paul McCartney, occasionne des frictions bien documentées : John s’y ennuie, George soupire, Ringo se plie à la tâche. Entre ces pôles, le groupe trouve encore les ressorts d’une complémentarité : ce qui agace l’un ravit l’autre et chacun, in fine, joue sa partie.

Dans ce paysage, la brève défection de Ringo sur « Polythene Pam » prend sens. Elle n’invalide pas l’entente musicale, elle signale simplement que le seuil de tolérance est désormais bas : une remarque de travers peut faire déborder le vase. La discipline collective, pourtant, l’emporte.

Lennon minimisera « Polythene Pam », mais la chanson tient son rang

Avec le recul, John Lennon n’accorde pas à « Polythene Pam » une place de choix. Il la considère comme une ébauche amusée, une note de journal transformée en chanson lors d’un séjour en Inde, loin d’un grand sujet à la « A Day in the Life ». C’est ici que le médiumn du medley fait sa démonstration : détachée, la pièce semble mineure ; insérée dans la suite, elle devient névralgique, un cliquet sans lequel la mécanique perd de sa présence.

Il y a, au cœur d’« Abbey Road », une science du montage qui rend justes des chansons « moyennes » et sublimes des chansons « fortes ». « Polythene Pam » relève de la première catégorie ; elle n’en est pas moins indispensable à la ligne dramatique qui conduit à « Golden Slumbers / Carry That Weight / The End ».

De la colère à l’efficacité : ce que l’on entend de Ringo

Revenons à Ringo. Si l’on admet qu’un accrochage a bel et bien eu lieu, la trace qu’il laisse est paradoxale : c’est la tenue du jeu de batterie. Pas de débordement, pas de cymbales envahissantes, pas de comblement intempestif de l’espace. Au contraire, une ligne d’accompagnement qui resserre le morceau et canalise l’énergie de Lennon. Cette façon d’absorber une critique pour la transformer en résultat musical est typique de Ringo Starr.

Son style, souvent mal compris parce qu’il refuse la sur‑virtuosité, se reconnaît à cette capacité d’articuler la phrase des autres. Sur « Polythene Pam », il ne marque ni son territoire ni son nom ; il sert l’enchaînement, il prépare la porte suivante. On peut y voir une leçon de musicien : perdre une bataille d’ego pour gagner une prise.

Une « seconde fois » ? Les mots, les faits, et la nuance

Faut‑il parler d’une « démission » ou d’une « seconde fois » où Ringo aurait « quitté » les Beatles ? Le choix des mots compte. En 1968, il s’agit d’un départ net, assumé, avec une absence suffisamment longue pour être mémorable dans les chronologies. En 1969, l’éloignement consécutif à la remarque de Lennon ressemble davantage à une pause courroucée, à la manière de ces escarmouches de fin de parcours qui ponctuent toutes les formations sous tension.

La nuance ne vise pas à minimiser l’événement ; elle permet de situer la réalité au plus près du travail en studio. Les Beatles finissent « Abbey Road » parce qu’ils savent, malgré tout, fermer les plaies le temps d’une session. Et Ringo, précisément parce qu’il occupe le poste le plus exposé aux remarques – celui qui soutient tout – , incarne cette résilience un peu muette qui tient les œuvres debout.

Après « Abbey Road » : pas de rancune, juste des chemins qui se séparent

L’année 1970 voit Ringo Starr accompagner John Lennon sur son album « Plastic Ono Band », aux côtés de Klaus Voormann. Difficile d’imaginer une collaboration si la blessure de 1969 avait été autre chose qu’un agacement passager. La séparation des Beatles ne se résume pas à un clash unique ; c’est un faisceau de décisions esthétiques, juridiques, personnelles, qui convergent. L’incident « Polythene Pam » n’est qu’un indice parmi d’autres – révélateur, certes, mais pas déterminant à lui seul.

La suite de la carrière de Ringo le confirme : on le retrouvera régulièrement aux côtés de ses anciens partenaires, au studio comme sur scène, dans un mélange de fidélité et d’indépendance qui ressemble bien à ce qu’il a toujours été au sein du groupe.

Ce que « Polythene Pam » raconte des Beatles

Lorsqu’on relit l’histoire des Beatles à l’aune d’un titre bref comme « Polythene Pam », on mesure combien l’intendance du studio – prises, remarques, retouches, absences, retours – tresse la légende au moins autant que les coups d’éclat. La grandeur d’« Abbey Road » tient à son équilibre : un son somptueux, une écriture aboutie, des caractères difficiles, mais encore l’envie collective d’offrir un grand disque.

Que Ringo ait craqué brièvement sous la pression d’une remarque de Lennon et soit revenu fermer la boucle dit la même chose, au fond, que l’énorme respiration de « The End » : derrière l’art, il y a des hommes. Et si « Polythene Pam » a réellement mis le feu aux poudres le temps de quelques jours, elle a surtout permis à Ringo Starr de rappeler, en musicien, pourquoi sa place dans le groupe n’a jamais tenu à un solo ou à une démonstration, mais à une science de la song qui, une fois posée sur bande, ne se discute plus.

Épilogue : fissures et maîtrise

Faire d’une brève échappée un symbole de la fin des Beatles serait tentant. Ce serait aussi passer à côté de ce que l’épisode « Polythene Pam » révèle avec le plus de clarté : la maîtrise que le groupe conserve, en 1969, de son propre langage. Même fatigués, même écharpés, ils savent encore fabriquer un enchaînement où une ritournelle de Lennon trouve son impulsion dans la batterie de Ringo et se jette dans le chant de McCartney.

Dans une histoire saturée de mythes, c’est peut‑être la leçon la plus utile : les Beatles ne doivent pas leur grandeur uniquement à la magie, mais à la persévérance au travail, à la précision artisanale des sessions, et à cette manière obstinée de revenir à la table de mixage après un accrochage. « Polythene Pam » n’est ni une relique ni un sommet, mais elle a tenu debout un moment clé du medley. Cela suffit à justifier qu’on la réécoute, non pour épier les coulisses d’un conflit, mais pour entendre comment quatre musiciens fatigués ont réussi, une fois encore, à faire tenir une chanson.