Faux vol à la Jacaranda : une lettre de McCartney fait le buzz

Publié le 27 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Un visiteur a « volé » une lettre encadrée à la Jacaranda, club emblématique des Beatles à Liverpool. Heureusement, il ne s’agissait que d’une copie. L’incident, traité avec humour par l’établissement, relance la réflexion sur la mémoire, l’authenticité et la pédagogie autour du patrimoine musical des Beatles.


À Liverpool, la Jacaranda a une place à part dans la mythologie des Beatles. C’est dire si, lorsqu’un visiteur a été filmé en train de décrocher du mur une feuille présentée comme une lettre manuscrite de Paul McCartney, la nouvelle a fait bruisser la scène locale. Les faits se sont déroulés aux premières heures d’un samedi d’août : sur les images de CCTV, on aperçoit un homme s’étirer théâtralement pour attraper un cadre accroché à l’un des murs du club de Slater Street, puis repartir avec son butin. Dès le lendemain matin, l’équipe du lieu constate la disparition et remonte le fil des caméras de sécurité.

L’histoire aurait pu virer au mélo si la fameuse pièce n’avait été qu’une photocopie de l’original. C’est ce qu’a confirmé, mi‑amusé, le directeur général de l’établissement, Graham Stanley, expliquant que le document affiché n’était qu’une reproduction d’une lettre devenue célèbre, celle où un tout jeune McCartney propose à un batteur inconnu d’auditionner pour « le poste » au sein du groupe, quelques jours avant un départ décisif pour Hambourg. L’original, lui, s’était vendu « des années plus tôt » aux enchères pour environ 35 000 £. Autrement dit, aucun trésor inestimable n’a été arraché à un lieu de mémoire ; et à la Jacaranda, on a choisi d’en rire, promettant de réimprimer la page et de la remettre au même endroit.

Au‑delà de l’anecdote, l’épisode dit beaucoup du rapport singulier que Liverpool entretient avec sa mémoire musicale : un mélange d’attachement viscéral, d’autodérision et de pédagogie informelle.

Sommaire

Une lettre datée du 12 août 1960 : quelques lignes pour changer une trajectoire

Le document en question porte la date du 12 août 1960. À cette époque, les Beatles ne sont pas encore le phénomène planétaire qu’ils deviendront ; ils se cherchent un batteur en vue d’un engagement imminent à Hambourg. Le texte, concis et direct, répond à une petite annonce d’un batteur parue dans la presse locale et l’invite à passer une audition à la Jacaranda, en le prévenant qu’il devra être disponible rapidement pour un séjour de plusieurs semaines en Allemagne, avec frais couverts et rémunération hebdomadaire. La lettre se conclut en donnant un numéro à joindre au club de Slater Street et les noms de contact : un membre des Beatles ou Allan Williams, l’impresario qui, à l’époque, joue un rôle pivot dans les premiers engagements du groupe.

Ce bref courrier concentre un moment charnière. Quelques heures plus tard, l’itinéraire de la formation s’accélère : Pete Best est recruté, et, dès la mi‑août, John Lennon, Paul McCartney, George Harrison, Stuart Sutcliffe et leur nouveau batteur prennent la route d’Hambourg. L’Indra Club puis le Kaiserkeller deviennent leur école ; la scène, leurs bancs. Au rythme de sets interminables, parfois six ou sept heures par nuit, le groupe muscle son répertoire, rogne ses hésitations, apprend à tenir un public exigeant et bigarré.

Dans cette perspective, la lettre n’est pas un bibelot ; c’est un symptôme d’énergie et de débrouille propres à l’été 1960. Elle cristallise la bascule d’un groupe local, encore hésitant, vers le professionnalisme.

La Jacaranda : un laboratoire de la jeunesse liverpuldienne

Fondée en 1958 par Allan Williams, la Jacaranda n’était pas seulement un café musical ; c’était un foyer pour la jeunesse de l’époque, un creuset d’étudiants en art, de marins en escale et d’apprentis musiciens. Le sous‑sol, avec son comptoir et son intime petite scène, a vu défiler les Quarrymen, puis les formations embryonnaires qui deviendront les Beatles. Avant même la célébrité, le lieu propose à ces adolescents un espace où l’on joue, où l’on écoute, où l’on refait le monde.

À Liverpool, tout le monde ou presque a une histoire reliée à la Jacaranda : une première scène, un coup de foudre musical, un groupe monté sur un coin de table. Que cette feuille, dupliquée et encadrée, ait pu trôner des années au mur, sans attirer d’avidités particulières, dit aussi l’éthique de la maison : ici, le patrimoine n’est pas sous cloche. Il circule, il s’expose à hauteur d’œil, il se vit dans la continuité des concerts quotidiens. Lorsque, en 2024, une plaque commémorative a été dévoilée pour rappeler l’importance du club dans les débuts des Beatles, la foule rassemblée témoignait moins d’un culte du passé que d’une reconnaissance collective envers un lieu qui, six décennies plus tard, continue d’offrir leur chance aux jeunes artistes.

Un « vol » à la valeur surtout symbolique

Dans le récit de Graham Stanley, une évidence s’impose : l’équipe ne compte pas poursuivre l’auteur du geste. Le cadre soustrait n’abritait qu’une copie d’un document conservé ailleurs ; il sera remplacé à l’identique. La séquence a d’ailleurs été partagée avec humour auprès des habitués, comme une petite leçon sur la différence entre un original et sa reproduction, sur la valeur des archives et sur la manière d’exposer des reliques dans un lieu vivant.

On aurait tort, toutefois, de sous‑estimer la charge affective de cette page. Pour la Jacaranda et pour les fans, elle condense une histoire qui, en quelques lignes, relie l’annonce d’un batteur anonyme, l’audition à venir, l’appel téléphonique à passer au club, et l’horizon d’Hambourg. Si la feuille encadrée n’est qu’un tirage, elle fonctionne comme un médiateur : elle raconte, elle met en intrigue, elle ouvre la porte à la conversation avec le public.

De Bootle aux enchères : parcours supposé d’un original convoité

Selon le témoignage rapporté par le club, la lettre originale aurait été retrouvée, bien plus tard, dans un livre de cuisine acheté lors d’un vide‑grenier à Bootle, dans la banlieue nord de Liverpool. L’histoire possède la saveur de ces hasards qui parsèment la Beatlemania : des pièces dormantes ressurgissent dans des tiroirs, des greniers, des lots anonymes. Mis en vente, le document aurait atteint près de 35 000 £, une somme à la mesure de l’attrait pour les archives associées aux premières années du groupe.

Le marché des autographes, lettres et souvenirs des Beatles est, de longue date, soutenu par une demande internationale. Les pièces liées à l’année 1960, pivot dans l’itinéraire vers Hambourg, jouissent d’une aura particulière : elles éclairent la période de transition où le groupe, encore local, aiguise son identité. Une lettre où Paul McCartney évoque un engagement imminent et recense des contacts comme Allan Williams ne peut que susciter l’intérêt des collectionneurs, tant elle donne le sentiment d’entendre la voix du passé.

Allan Williams, l’ombre tutélaire des débuts

Impossible d’évoquer la lettre sans rappeler la figure d’Allan Williams, personnage central de la première carrière des Beatles. Propriétaire de la Jacaranda, organisateur de soirées, éclaireur infatigable, il ose, à l’été 1960, proposer à ses protégés le pari d’Hambourg. Sans lui, pas d’Indra, pas de Kaiserkeller, pas de soirées hors d’haleine qui forgeaient l’endurance scénique du groupe. Que son nom apparaisse dans le courrier n’a rien d’anecdotique : il signale un réseau de lieux, de personnes et d’opportunités qui structurent la petite économie musicale de l’époque.

Le geste du « voleur » involontairement comique rappelle ce travail souterrain. Il suffit d’un cadre, d’une signature, d’un numéro d’époque pour que surgisse tout un écosystème : clubs, agences, propriétaires, affichistes, chauffeurs, patrons de bars, promoteurs. À la Jacaranda, cette mémoire n’est pas seulement racontée ; elle est incarnée par les murs, par le bar en bois patiné, par les instruments suspendus, par les anecdotes échangées entre un concert et un dernier verre.

De l’audition à Pete Best, puis à Ringo : la valse des baguettes

L’été 1960 est hanté par une question très pratique : qui tiendra les baguettes pour le départ en Allemagne ? L’audition lancée par Paul McCartney le 12 août répond à l’urgence. Le choix finit par se porter sur Pete Best, qui rejoindra le groupe en vitesse, embarquant quelques jours plus tard pour Hambourg. Deux ans plus tard, à l’été 1962, au moment où le producteur George Martin initie des sessions d’enregistrement et que la machine s’apprête à s’emballer, Ringo Starr remplace Best ; le destin du groupe change d’échelle.

Entre ces deux dates, la batterie devient un marqueur de l’évolution du son des Beatles. L’allonge des sets hambourgeois, l’électricité des salles, l’introduction de morceaux plus rythmiques, tout concourt à solidifier le tempo. La lettre de 1960, prise isolément, n’annonçait pas ces bouleversements ; elle témoignait d’une préoccupation immédiate. Rétrospectivement, elle prend valeur de prologue.

Hambourg : l’école de la nuit

La première résidence à Hambourg a souvent été décrite comme l’école de la nuit pour les Beatles. À l’Indra puis au Kaiserkeller, le groupe apprend à survivre à des horaires extrêmes, à capter un public de passage, à se distinguer d’une concurrence féroce. Les sets s’enchaînent, parfois six ou sept de suite, avec des pauses courtes. La discipline scénique s’impose, le répertoire s’étoffe, la cohésion se renforce. Les mois suivants verront aussi naître des collaborations décisives, notamment l’accompagnement de Tony Sheridan, dont les enregistrements à Hambourg laisseront une trace discographique avant la signature chez EMI.

Tout cela est contenu en creux dans la lettre de Paul McCartney. S’y lit la perspective d’un voyage qui n’est pas seulement géographique : c’est un passage de l’amateurisme vers une forme d’artisanat professionnel. On y décèle un sens de l’organisation naissante, une attention aux conditions matérielles et à la logistique d’une tournée — salaires, dépenses, durée — autant de points qui feront, plus tard, la différence entre groupes éphémères et artistes capables d’endurer les exigences de la route.

Ce que l’épisode révèle de la culture Beatles aujourd’hui

L’affaire de la « relique » emportée puis révélée comme copie fonctionne comme un petit miroir tendu à notre temps. Elle montre d’abord la soif intacte d’objets tangibles dans une époque dominée par le numérique. Les fans veulent toucher, voir, photographier ; les lieux historiques affichent, encadrent, expliquent. Et la question de l’authenticité traverse tout : qu’est‑ce qui « fait » l’aura d’un objet ? La matière du papier ? L’encre originelle ? Ou la capacité de l’objet — même reproduit — à raconter et à connecter ?

La Jacaranda a tranché à sa manière : la reproduction n’est pas un mensonge, c’est un outil de médiation. En faisant le choix de l’accessibilité — du cadre au mur, à portée de main —, le club assume un risque calculé. Le petit larcin, parce qu’il n’emporte qu’une copie, rappelle que l’équilibre entre ouverture et protection est un art délicat. Les musées l’apprennent, tout comme les lieux de musique en activité : on ne préserve pas un patrimoine en le soustrayant entièrement à la vue, mais en l’exposant avec intelligence, en racontant ses contextes, en signalant ce qui est original et ce qui est reproduction.

Une pédagogie par le récit et l’humour

En décidant de ne pas poursuivre l’auteur et de partager l’histoire avec un sourire, la Jacaranda a opté pour une pédagogie douce. Le message adressé aux visiteurs tient en peu de mots : ici, on protège ce qui doit l’être, on encadre ce qui peut circuler, et l’on préfère expliquer plutôt que dramatiser. Le geste du « voleur », peu glorieux mais spectaculaire, devient un prétexte à revisiter un moment clé : cet août 1960 où le groupe, pressé par le temps, cherchait un batteur libre pour prendre la route d’Hambourg.

Dans un monde culturel volontiers tenté par l’exclusivité, l’épisode valorise une autre logique : celle de la diffusion et du partage. Réimprimer la lettre, la remettre au mur, et continuer à programmer des concerts sept soirs sur sept : voilà une manière de maintenir la mémoire vivante, sans la réduire à un fétiche.

La valeur des documents : au‑delà des enchères

Que l’original ait, un jour, atteint 35 000 £ sous le feu des enchères n’épuise pas la question de sa valeur. Dans le champ des Beatles, les documents des débuts — lettres, affiches, contrats, programmes — ont une double importance. Ils renseignent, d’abord, les chercheurs et historiens sur des aspects très concrets : dates, interlocuteurs, tarifs, itinéraires. Ils nourrissent, ensuite, l’imaginaire collectif : ils mettent une écriture, une tournure, un détail administratif au service d’un récit qui, sans eux, resterait trop lisse.

La Jacaranda, en exposant la copie d’une lettre, situe sa mission à la croisée de ces deux attentes. Le texte encadré n’a pas la texture de l’original, mais il conserve la formulation et la sobriété qui en font une fenêtre sur 1960. Le public, informé, peut se déplacer du document vers le lieu : de la feuille vers la scène du sous‑sol, des mots vers le son qui s’est cristallisé ici.

L’attachement d’une ville à ses lieux de mémoire

L’enthousiasme suscité par la Jacaranda s’explique aussi par la manière dont Liverpool a mis en récit ses lieux. De Mathew Street à Penny Lane, des docks réaménagés aux églises de quartiers, la ville a tissé une cartographie où l’on passe de sites institutionnels — musées, maisons gérées par des organismes de patrimoine — à des lieux de vie encore en activité, comme la Jacaranda. Cette coexistence oblige à repenser la médiation : on n’explique pas un club vivant comme on met en scène une maison figée. À l’un, on demande de jouer et d’accueillir ; à l’autre, de conserver et d’interpréter.

C’est dans cette tension fertile que s’écrit l’actualité des Beatles à Liverpool. L’épisode du cadre « volé » et aussitôt remplaçable en fournit une miniature : la mémoire n’est pas seulement l’affaire de coffres et d’alarmes, elle tient à un contrat tacite entre un lieu et son public. On vient à la Jacaranda pour écouter des groupes, pour boire un verre, pour retrouver des amis, et, en prime, on croise une histoire qui se raconte sans se prendre au sérieux.

Une histoire qui continue de s’écrire sur scène

Le rappel final de Graham Stanley ne doit pas être perdu de vue : la Jacaranda demeure avant tout un club vivant, un des plus célèbres grassroots venues du pays, qui programme des concerts sept soirs par semaine et offre à de jeunes musiciens leurs premières expériences sur scène. Le passé n’y est pas un décor figé, mais une ressource qui se rejoue chaque soir, lorsque des artistes, parfois pour la première fois, s’installent derrière un micro, s’accordent, et donnent à la salle cette électricité légère qui relie 1958 à aujourd’hui.

Dans cette perspective, la lettre de Paul McCartney, qu’elle soit originale ou reproduite, n’est qu’un jalon. Elle rappelle que l’ADN de ce lieu, et plus largement de Liverpool, tient à la circulation des opportunités : une annonce, un coup de fil, une audition, un engagement, un voyage, une rencontre. Les grandes épopées commencent souvent par une feuille blanche et un rendez‑vous griffonné.

Un clin d’œil, une leçon

L’épisode du « larcin » à la Jacaranda aurait pu donner lieu à une indignation stérile. Il offre au contraire un clin d’œil révélateur. On y voit un club qui connaît la valeur de son passé, mais refuse d’en faire une relique intouchable ; une équipe qui préfère l’humour à la plainte ; un public qui s’éveille à la nuance entre original et copie. On y retrouve, surtout, le fil d’une histoire commencée en 1960 et jamais interrompue : celle d’une ville pour qui la musique n’est pas un musée, mais un présent à vivre, à raconter et à transmettre.

Au mur, très bientôt, la lettre reviendra, encadrée et explicative. Elle continuera de faire rêver les curieux, d’alimenter les conversations et de relier, par‑delà les générations, l’instant où un batteur inconnu fut invité à tenter sa chance et l’instant où, ce soir, un jeune groupe montera sur la petite scène du sous‑sol. Entre les deux, il y a un même élan : celui d’aller voir, d’écouter, de jouer. Et c’est peut‑être là, dans ce mouvement, que se cache l’essence du mythe Beatles — pas dans la vitrine d’un commissaire‑priseur, mais dans le souffle d’un lieu qui respire encore.