Anthology : comment George Harrison a défendu la vérité des Beatles

Publié le 28 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Trente ans après sa sortie, la série Anthology revient dans une version restaurée. L’occasion de redécouvrir George Harrison en garde-fou vigilant, refusant les simplifications et défendant une vérité nuancée sur l’histoire des Beatles. Un combat discret mais crucial pour préserver la musique au cœur du récit.


Trente ans après sa diffusion initiale, The Beatles Anthology revient au premier plan. Apple Corps a officialisé la ressortie de la collection musicale en versions 12 LP, 8 CD et numérique, restaurée et étendue à quatre volumes, avec un nouveau Anthology 4. Les informations publiées par le site officiel annoncent la date du 21 novembre pour les coffrets, et détaillent un corpus de 191 titres et des nouvelles notes signées Kevin Howlett. La page précise aussi que Free As A Bird et Real Love, deux singles liés à l’Anthology, profitent de nouveaux mixages produits par Jeff Lynne, fondés sur des vocaux de John Lennon dé-mixés.

Dans la foulée, la série documentaire des années 19951996 fait l’objet d’une restauration et d’une mise en ligne sur Disney+ avec un neuvième épisode inédit, ajout consistant à revenir sur la fabrication même du projet et sur les retrouvailles des trois Beatles survivants au milieu des années 1990. CinémaBlend a confirmé la date de disponibilité au 26 novembre et l’existence de ce « Episode 9 », tandis que MusicRadar insiste sur le volet éditorial : rééditions des trois doubles-albums d’origine, nouveau volume, et toujours pas de Carnival of Light au programme.

Ce retour de flamme remet au centre une question délicate : comment raconter l’histoire des Beatles sans céder ni au romanesque ni à la complaisance ? Une question qui, déjà au milieu des années 1990, avait trouvé en George Harrison son contradicteur le plus vigilant.

Sommaire

  • Harrison, volontaire… mais méfiant
  • La discussion « Two of Us » : une séquence, mille interprétations
  • « Dire tout » ou « dire vrai » : la querelle Smeaton–Harrison
  • Les « Threetles » au travail : une histoire de sons, pas d’effets
  • Rishikesh, le Maharishi et la ligne rouge
  • Le contexte de 2024–2025 change la donne
  • L’équilibre selon Harrison : leçon de montage
  • Anthology 2025 : ce qui change… et ce que cela nous dit d’Harrison
  • Harrison contre la « version courte » : pourquoi il refusait la facilité
  • Ce que raconte le « non » d’Harrison aux fans d’aujourd’hui
  • « La musique d’abord » : une cohérence avec son œuvre
  • En guise de conclusion : raconter sans trahir
    • Repères utiles pour situer l’actualité évoquée

Harrison, volontaire… mais méfiant

Surnommé le Quiet Beatle, George Harrison ne se jetait pas volontiers dans les bains de foule médiatiques. Lorsqu’il accepte, à contre-cœur, de participer à The Beatles Anthology, il le fait en posant une ligne rouge : raconter « correctement » l’histoire, c’est-à-dire sans sensationnalisme et sans mythes complaisants autour des pires passages de la saga. Joshua M. Greene, dans Here Comes the Sun: The Spiritual and Musical Journey of George Harrison, rapporte qu’Harrison a rapidement frictionné avec le réalisateur-scénariste Bob Smeaton sur l’inclusion de séquences jugées « pourries » — « s— », dira-t-il crûment — parce qu’elles entretenaient, selon lui, des légendes infondées.

Le point d’achoppement le plus célèbre touche le période Let It Be. Smeaton souhaitait montrer franchement les moments de tension qui avaient conduit à la dissolution du groupe ; Harrison redoutait, lui, que l’on recycle des scènes hors contexte et que le public prenne pour argent comptant des bruits persistantsnotamment sur le Maharishi Mahesh Yogi, la retraite de Rishikesh et les raisons de leur départ d’Inde. « C’est du n’importe quoi, tout ça », tranche Harrison, refusant de “donner de l’oxygène” à ces versions.

Cette méfiance n’est pas un caprice. Elle s’enracine dans l’expérience d’un musicien souvent minoré dans le tandem Lennon–McCartney, qui a longtemps dit s’être senti corseté artistiquement pendant certaines sessions — sentiment relayé de multiples façons dans les entretiens des années 1990 et dans The Beatles Anthology version livre. En clair : Harrison n’est pas contre montrer l’orage, mais refuse qu’on vende l’orage comme un spectacle autonome, déconnecté de la météo complète de l’époque.

La discussion « Two of Us » : une séquence, mille interprétations

Le nœud dramatique que brandissent tous les récits est devenu canonique : la discussion filmée entre Harrison et Paul McCartney autour de Two of Us. Harrison lâche sa phrase passée à la postérité — « Je jouerai ce que tu veux… ou je ne jouerai pas du tout si tu ne veux pas que je joue » — une formule que le montage du film Let It Be grave dans la mémoire du public. Les sources qui retracent la scène — analyses, archives critiques, encyclopédies de référence — la situent lors des répétitions de janvier 1969 et rappellent à quel point elle fut surexposée comme symbole d’une relation déséquilibrée. Michael Lindsay-Hogg, réalisateur de Let It Be, a d’ailleurs relativisé l’ampleur du « clash » dans des interviews récentes.

Pour Harrison, ressortir la scène sans la recadrer via d’autres images — les éclats de complicité, le travail d’arrangement collectif, les éclairs d’humour — revient à fabriquer un récit. C’est aussi pour cela que la restauration de 2024 de Let It Be et la série Get Back de Peter Jackson ont fait tant de bien : replacées dans un flux de travail plus large, les disputes cessent d’être l’unique grille de lecture.

« Dire tout » ou « dire vrai » : la querelle Smeaton–Harrison

Le désaccord entre Bob Smeaton et George Harrison tient en une dialectique simple : faut-il « tout montrer » (quitte à choquer ou décevoir) ou faut-il cadrer pour éviter que des rumeurs ne se re-légendent ? Smeaton plaidait une transparence qui assume les mauvais jours, jusqu’à inclure l’argument McCartney–Harrison et les supputations indiennes ; Harrison y voyait le risque d’entretenir des mythologies que sa propre expérience démentait. Les documents publiés au fil des ans confirment l’existence de frictions parfois âpres entre les Beatles et l’équipe de réalisation, Smeaton ayant reconnu que la fabrique du film l’avait frustré au point de songer à abandonner.

Ce conflit a une dimension éthique : Harrison ne conteste pas le droit de l’histoire à regarder le négatif ; il redoute les effets de loupe. En somme, montrer un accroc n’est pas mentir ; en faire la pièce maîtresse, c’est déséquilibrer la partition.

Les « Threetles » au travail : une histoire de sons, pas d’effets

La dimension musicale de l’Anthology, c’est aussi l’aventure des « Threetles »Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr — retournant en studio avec Jeff Lynne pour achever des démos de John Lennon. Free As A Bird puis Real Love entrent ainsi dans le répertoire officiel des Beatles en 19951996. Trente ans plus tard, Apple remet l’ouvrage sur le métier : les nouvelles versions de ces titres utilisent des séparations de sources plus fines et un travail vocal plus propre à partir des cassettes d’origine de Lennon. Les éléments publiés sur le site officiel insistent sur le rôle de Jeff Lynne et sur l’adjonction de Now And Then — le single de 2023 — dans la logique d’ensemble : une trilogie de chansons nées de maquettes de Lennon, complétées par les autres.

À l’écran, la série documentaire — restaurée et augmentée d’un épisode 9 — promet images d’archives et retours des protagonistes sur 1994–1995. MusicRadar écrit que l’épisode additionnel montre les coulisses des sessions et de la réunion des trois Beatles ; Cinemablend rappelle que Disney+ accueille désormais sous un même toit Get Back, Let It Be restauré, et Anthology, consolidant la plateforme comme hub des grands récits Beatles.

Rishikesh, le Maharishi et la ligne rouge

Au cœur des refus d’Harrison : la retraite de 1968 à Rishikesh auprès du Maharishi Mahesh Yogi et les rumeurs qui s’y attachent. Joshua M. Greene note, via des propos rapportés pendant le montage de l’Anthology, qu’Harrison s’oppose à ce que le film « donne la parole » à une version sensationnaliste des raisons du départ. Pour lui, évoquer ces on-dit revient à leur conférer une légitimité qu’ils ne méritent pas. « Si tu en parles, les gens penseront que c’est arrivé », aurait-il prévenu Smeaton. Le message est clair : tenir le cap d’un récit musical et spirituel, pas d’un catalogue de commérages.

Cette intransigeance s’explique par l’itinéraire d’un Harrison pour qui la quête intérieure et la musique se sont entrelacées. À la différence de McCartney, porté par une énergie publique quasi inextinguible, Harrison a très tôt privilégié la retraite, la composition solitaire, le jardinage, les amis musiciens et la production cinématographique. Ce caractèrepudique, sarcastique, parfois désabusé — irrigue sa lecture de l’Anthology : montrer ce qui aide à comprendre la musique et la relation, écarter ce qui déforme.

Le contexte de 2024–2025 change la donne

L’histoire racontée par Let It Be a longtemps été gelée dans le regard du public faute d’accès officiel à l’œuvre depuis les années 1980. Sa mise en ligne en 4K sur Disney+ le 8 mai 2024, restaurée par l’équipe de Peter Jackson, a recalibré la perception : la caméra de Lindsay-Hogg ne documente pas seulement la désagrégation, elle capte aussi de longs pans de travail, de jeu et de tendresse ; replacée aux côtés de Get Back, l’œuvre reprend sa place de « court récit » au sein d’une « grande fresque ». Cette contextualisation rend plus facile la relecture des séquences conflictuelles que Smeaton voulait, en 1995, exhiber avec davantage de front.

Le calendrier de l’automne 2025coffrets le 21 novembre, streaming le 26 novembre, épisode 9 à la clé — ancre l’Anthology dans un écosystème éditorial où cohabitent restaurations, nouvelles éditions et nouvelles narrations. MusicRadar détaille l’ampleur de cette relance et souligne, non sans malice, que l’introuvable Carnival of Light demeure absent. Cinemablend, lui, insiste sur la dimension « hub » de Disney+ qui regroupe désormais Get Back, Let It Be et Anthology.

L’équilibre selon Harrison : leçon de montage

On peut résumer la position d’Harrison par une éthique du montage. Montrer la vérité ne signifie pas tout montrer ; trier, ordonner, hiérarchiser n’est pas censurer, c’est protéger le sens. Dans l’Anthology, Harrison voulait que le témoin soit la musique : les prises alternatives qui révèlent une écriture, les répétitions où s’affinent des idées, les riffs qui tournent et mutent d’un jour à l’autre, les récits qui éclairent une décision. Smeaton, en documentariste, défend le droit du public à voir le conflit ; Harrison, en musicien, défend le droit des chansons à primer.

Cette tensioncinéma versus discographie, drame versus processus — n’est pas un accident de parcours : c’est le cœur de tout récit musical. Et c’est précisément parce que l’Anthology 2025 remet l’œuvre et son laboratoire à disposition dans des conditions techniques très supérieures que la position d’Harrison gagne en lisibilité.

Anthology 2025 : ce qui change… et ce que cela nous dit d’Harrison

La partie musique annonce un Anthology 4 inédit, des mixages 2025 pour Free As A Bird et Real Love, et l’intégration éditoriale de Now And Then dans un ensemble qui, pour la première fois, fait du cycle « démos de Lennon complétées par les Beatles » un fil conceptuel. Apple met en avant l’approche Jeff Lynne et la technologie de séparation des sources vocales de Lennon, prolongeant l’outillage révélé au grand public avec Get Back puis le single de 2023. Le site officiel détaille aussi l’iconographie des coffrets et la révision des notes, signe que l’on recontextualise méticuleusement le matériel.

Côté écran, l’Episode 9 s’annonce comme un miroir tendu aux épisodes initiaux : les mêmes protagonistes, mais trente ans plus tard, face caméra, expliquant ce qu’ils ont voulu faire en 1994–1995. MusicRadar évoque précisément ces images en coulisses, et Cinemablend souligne que le public qui n’avait plus de magnétoscope pour revoir ses VHS d’antan peut redécouvrir l’Anthology dans une copie restaurée et unifiée au sein de Disney+. Dans cette architecture, le regard d’Harrison sur la vérité et la mémoire gagne en relief : restituer les zones grises, faire exister la nuance à côté de la légende.

Harrison contre la « version courte » : pourquoi il refusait la facilité

Quand Harrison refuse que l’on insiste sur certains moments noirs, il ne nie pas qu’ils aient existé ; il refuse qu’ils valent tout. La dispute autour de Two of Us est réelle, mais c’est une phrase au milieu d’une journée de travail, elle-même noyée dans un mois d’essais et de recherches ; Let It Be, ce n’est pas un procès-verbal de séparation, mais un atelier où les formes se cherchent, parfois désagréablement, parfois brillamment. Lindsay-Hogg lui-même a rappelé que ce conflit n’était pas une fracture décisive, et les images restaurées confirment que frictions et rire cohabitent plus qu’on ne le croyait.

Harrison savait aussi le pouvoir performatif du recadrage : « si tu en parles, les gens penseront que c’est arrivé ». Cette prudence ne vient pas d’une forme de puritanisme ; elle procède d’une intuition artistique : les Beatles ne sont devenus planétaires ni par leurs querelles, ni par leurs postures, mais par une suite de chansonsquatre individus ont trouvé, ensemble, des solutions musicales que personne n’avait encore inventées. In fine, c’est cela que Harrison voulait préserver : le droit de la musique à dominer le mythe.

Ce que raconte le « non » d’Harrison aux fans d’aujourd’hui

Si l’on replace la position d’Harrison dans le moment présent, au milieu des inédits et des restaurations, on y voit une éthique de spectateur : regarder sans pleurer au mélodrame, entendre les voix sans préjuger de qui a « gagné » ou « perdu » la bataille de l’ego. Les rééditions et la mise en ligne systématique offrent un terrain propice à cette maturité : Get Back a adouci la légende noire des sessions, Let It Be en 4K la resitue, et Anthology en version 2025 promet la synthèse. La voix d’Harrisonprudente, précise, anti-sensationnaliste — y sonne plus pertinente que jamais.

« La musique d’abord » : une cohérence avec son œuvre

On ne comprendra jamais Harrison si l’on ne voit pas que sa réserve dans l’Anthology prolonge sa façon d’écrire et de jouer. Economique et mélodique à la fois, sa guitare cherche toujours la note juste, pas l’effet. Son refus de « faire du bruit » avec des scandales contrefaits ressemble à ces silences qui précèdent ses phrases de slide : un espace pour que l’oreille se réveille. Raconter la période 1968–1970 avec exactitude, ce n’est pas effacer la fatigue, ni gommer la désillusion ; c’est laisser la lumière sur les processus : écrire, répéter, essaimer des idées, échouer, recommencer.

Quand Anthology 4 met l’accent sur des prises et des démos qui clarifient l’atelier Beatles, il prolonge — sans le dire — la vision d’Harrison : éduquer l’oreille plutôt que chatouiller l’œil. Et lorsque Free As A Bird et Real Love reviennent en mixages 2025, adoucis par une technique qui sépare mieux les sources de Lennon, on mesure ce que les trois survivants avaient tenté en 1994–1995 : rendre audible un chant fragile, honorer un ami sans le dissoudre dans un effet spécial.

En guise de conclusion : raconter sans trahir

Raconter les Beatles est un exercice piégé. L’amour que le public leur porte appelle le romanesque, mais les chansons réclament la nuance. Au milieu des années 1990, George Harrison a servi de garde-fou. Il n’a pas demandé qu’on édulcore ; il a exigé qu’on calibre. Anthology 2025, en réarticulant musique, images et mémoire, donne raison à cette exigence. La scène « s— » existe, les rumeurs existent, mais elles ne doivent plus régir le sens de l’œuvre. L’histoire gagne quand elle accepte d’être complète.

Dans une époque où l’on consomme volontiers des clips de querelles sur les réseaux, l’héritage d’Harrison rappelle l’essentiel : la musique d’abord. Et si le public redécouvre, cet automne, Anthology sous sa meilleure lumière, c’est parce que la machine à mythe a été contrainte de ralentir, au profit d’une écoute plus juste. George ne pouvait pas offrir plus beau service aux Beatles — et aux fans — que cette leçon de mesure.


Repères utiles pour situer l’actualité évoquée

La collection musicale Anthology restaurée et étendue à quatre volumes — avec Anthology 4, nouvelles notes, 191 pistes et mixages 2025 de Free As A Bird et Real Love — est annoncée pour le 21 novembre en 12 LP et 8 CD, avec versions numériques, selon le site officiel des Beatles. La série documentairerestaurée et augmentée d’un Episode 9 — est attendue sur Disney+ au 26 novembre. Le retour de Let It Be en 4K a eu lieu le 8 mai 2024.

Enfin, pour contextualiser la scène McCartney–Harrison autour de Two of Us, on se souviendra que les archives et analyses s’accordent à dater la séquence des sessions de janvier 1969, et que Lindsay-Hogg a minimisé la gravité du différend dans des entretiens ultérieurs — une lecture que les restaurations et Get Back ont renforcée.