Enregistrée le 13 octobre 1968 et publiée sur le White Album des Beatles en novembre de la même année, « Julia » est une chanson à part dans le répertoire du groupe. À la fois douce et déchirante, elle est l’unique titre où John Lennon chante et joue seul, révélant une sensibilité et une vulnérabilité rarement exposées avec autant de sincérité. Ce morceau, qui se déploie dans un dépouillement absolu, est un hommage poignant à la mère de Lennon, fauchée tragiquement par un accident de la route en 1958, mais aussi une déclaration d’amour voilée à Yoko Ono.
Sommaire
- Un chant du deuil et de l’amour
- Une écriture inspirée par Kahlil Gibran
- Enregistrement : l’ultime empreinte du White Album
- Une confession éternelle
Un chant du deuil et de l’amour
Derrière la douceur apparente de « Julia », c’est un océan d’émotions qui déferle. John Lennon, marqué à jamais par la perte de sa mère Julia, met en musique ses souvenirs et ses regrets. Pourtant, ce n’est pas une simple lamentation : il y a dans cette chanson un apaisement, comme si l’écriture et l’interprétation du morceau constituaient une forme d’exorcisme.
Le choix du fingerpicking acoustique confère à la chanson une fluidité hypnotique. Lennon a perfectionné cette technique lors du séjour des Beatles en Inde en 1968, sous la guidance du chanteur folk Donovan. Ce dernier se souvient : « John était un bon élève. Il a écrit « Julia » et « Dear Prudence » en s’inspirant du picking que je lui avais enseigné. »
Mais « Julia » est aussi le témoignage d’un amour grandissant pour Yoko Ono. La phrase « Ocean child calls me » est une référence directe à son prénom, Yoko signifiant enfant de l’océan en japonais. Lennon a lui-même confié : « Julia, c’était ma mère. Mais c’était aussi Yoko, un mélange des deux. » Cette fusion des figures féminines de sa vie donne à la chanson une profondeur supplémentaire, oscillant entre passé et présent, entre douleur et rédemption.
Une écriture inspirée par Kahlil Gibran
Lennon, grand amateur de littérature, puise également son inspiration dans les écrits du poète libanais Kahlil Gibran. L’ouverture de « Julia », « Half of what I say is meaningless; but I say it so that the other half may reach you », est directement tirée du recueil Sand And Foam. D’autres vers de la chanson font écho à cet ouvrage, comme « When I cannot sing my heart, I can only speak my mind », une réécriture de la phrase de Gibran : « Quand la vie ne trouve pas un chanteur pour exprimer son cœur, elle produit un philosophe pour exprimer son esprit. »
Ce choix littéraire renforce l’atmosphère contemplative de la chanson et témoigne de la quête spirituelle de Lennon, alors en pleine introspection après l’expérience indienne et sa rencontre avec Yoko Ono.
Enregistrement : l’ultime empreinte du White Album
Alors que les tensions s’accumulent au sein des Beatles, « Julia » est la dernière chanson à être enregistrée pour l’album. Le 13 octobre 1968, Lennon se retrouve seul en studio, sous l’œil attentif de Paul McCartney qui observe la session depuis la cabine de contrôle. Lennon enregistre trois prises, superposant sa voix et sa guitare, dans un effort minimaliste qui n’enlève rien à la richesse émotionnelle du morceau.
Quelques mois plus tôt, une première version de la chanson avait été mise en boîte lors des sessions de Esher, dans la maison de George Harrison. Contrairement à la version finale, cette démo laissait entendre des harmonies et même quelques sifflements en guise de conclusion, des éléments qui seront finalement écartés au profit de l’épure absolue que l’on connaît aujourd’hui.
L’héritage de « Julia » s’étend bien au-delà du White Album. Elle a refait surface sur Anthology 3 sous la forme d’une prise alternative, laissant entendre les échanges entre Lennon et McCartney. Elle a aussi été réimaginée sur l’album Love, où sa mélodie s’entremêle à des éléments sonores tirés d’autres morceaux des Beatles, accentuant son caractère onirique et intemporel.
Une confession éternelle
Avec « Julia », John Lennon ne chante pas seulement pour sa mère ou pour Yoko, il se livre comme jamais auparavant. Cette chanson marque un tournant dans son écriture : à partir de ce moment, son art devient plus introspectif, plus personnel, annonçant les grandes ballades de sa carrière solo comme Jealous Guy ou Mother.
Derrière sa simplicité apparente, « Julia » est un bijou d’émotion et de sincérité. Un adieu, un hommage, un renouveau. Une chanson qui, plus de cinquante ans après sa sortie, continue de résonner avec la même force, entre douleur et beauté, entre passé et présent, entre deuil et amour éternel.