You Can’t Do That : Un Cri de Jalousie Rock’n’Roll signé John Lennon

Publié le 01 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1964, alors que la Beatlemania envahissait le monde, les Beatles publiaient un single qui allait une fois de plus démontrer leur talent pour réinventer les codes du rock’n’roll. « You Can’t Do That », écrit par John Lennon, était initialement destiné à être la face A d’un single avant d’être relégué en face B au profit du plus commercial « Can’t Buy Me Love ». Pourtant, loin d’être un simple titre secondaire, cette chanson incarne l’âme rock du groupe et traduit à merveille les tourments personnels de son auteur.

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Un titre aux origines tumultueuses

John Lennon compose « You Can’t Do That » à une période charnière pour les Beatles. Le duo Lennon-McCartney, qui jusqu’alors écrivait en étroite collaboration, commence à évoluer vers une dynamique plus individuelle. Paul McCartney, inspiré par l’explosion de la musique soul et Motown, propose « Can’t Buy Me Love », qui s’impose rapidement comme un hit potentiel. Face à cette compétition, Lennon redouble d’efforts et livre un morceau brut, direct, ancré dans le rhythm and blues.

Musicalement, « You Can’t Do That » repose sur une structure de blues à douze mesures, teintée de soul américaine. Lennon revendique l’influence de Wilson Pickett et du son Stax, avec un riff marqué et une rythmique percutante portée par la cowbell (cloche à vache) que McCartney joue avec insistance. La chanson s’ouvre sur un accord de guitare sec, suivi de l’entrée immédiate de la batterie de Ringo Starr et de la basse pulsante de McCartney. George Harrison, quant à lui, apporte une nouveauté sonore avec sa Rickenbacker 12 cordes, qui deviendra l’une des signatures sonores du groupe sur l’album A Hard Day’s Night.

Mais au-delà de la musique, c’est surtout le texte qui frappe par sa violence émotionnelle. Lennon y exprime une jalousie maladive et une possessivité qui tranchent avec l’image lisse des Beatles de l’époque.

Un cri de jalousie et de frustration

« You Can’t Do That » se distingue par son texte à la fois simple et brutal. Lennon s’adresse directement à une femme, la menaçant de mettre fin à leur relation si elle ose parler à un autre homme :

« I told you before, you can’t do that »

Derrière cette ligne répétitive et autoritaire, on devine un Lennon en proie à ses propres insécurités. À l’époque, il est connu pour être possessif dans ses relations amoureuses et admettra plus tard avoir été un compagnon jaloux et parfois violent. Dans une interview de 1980, il reconnaît que plusieurs de ses chansons de jeunesse reflètent un comportement qu’il regrette.

Cette sincérité brutale donne à « You Can’t Do That » une intensité rare. Si les Beatles étaient souvent associés à des chansons d’amour légères et insouciantes, ce titre montre un autre visage du groupe : plus sombre, plus nerveux, plus proche du rock rebelle des origines.

Un tournant pour la guitare chez les Beatles

Un des éléments marquants de « You Can’t Do That » est la place accordée à la guitare solo. Habituellement, c’était George Harrison qui se chargeait des parties de lead guitar, mais ici, c’est John Lennon lui-même qui prend les devants. Il livre un solo minimaliste et un peu brouillon, qui tranche avec le style plus fluide et mélodique de Harrison.

Lennon justifie ce choix par une lassitude à jouer constamment de la guitare rythmique. Dans une interview donnée à Melody Maker en 1964, il explique :

« Je trouve ça ennuyeux de jouer tout le temps la rythmique, alors j’essaie toujours de me trouver quelque chose d’intéressant à faire. Sur ‘You Can’t Do That’, il n’y a pas vraiment de guitare rythmique et solo distinctes, car je trouve que le rôle du guitariste rythmique sonne trop mince sur les enregistrements. Je ne joue jamais de solos que George ne pourrait pas faire mieux. Mais j’aime bien en jouer de temps en temps, alors je le fais. »

Cette prise de liberté de Lennon est un avant-goût de ce qui viendra plus tard avec l’évolution musicale des Beatles, où chacun des membres du groupe repoussera les limites de son instrument et de son rôle.

Un succès scénique et télévisé

Si « You Can’t Do That » n’a pas eu la place d’un single en tête des classements, elle a néanmoins joué un rôle clé dans le répertoire live des Beatles en 1964. Le groupe l’a notamment interprétée sur scène en Australie et lors de leur tournée nord-américaine, souvent en deuxième position après « Twist And Shout ».

Le titre aurait également dû apparaître dans le film A Hard Day’s Night, au sein de la séquence du concert final filmée au Scala Theatre de Londres. Malheureusement, la chanson fut coupée au montage et ne figure pas dans la version finale. Néanmoins, la performance filmée fut offerte à The Ed Sullivan Show, qui la diffusa en exclusivité le 24 mai 1964.

Les Beatles l’enregistrèrent aussi quatre fois pour la BBC en 1964. La dernière de ces prestations, captée le 14 juillet 1964 à Broadcasting House, fut incluse sur On Air – Live At The BBC Volume 2, sorti en 2013.

Une influence sur Bob Dylan ?

Un autre aspect intéressant de « You Can’t Do That » est son influence présumée sur Bob Dylan. Bien que l’interaction entre les Beatles et Dylan soit plus documentée à partir de fin 1964, il est possible que ce titre ait inspiré le musicien américain. La chanson partage en effet certaines similitudes mélodiques et thématiques avec « Most Likely You Go Your Way (And I’ll Go Mine) », issue de l’album Blonde On Blonde (1966).

Dylan, qui à cette époque commençait à explorer un son plus électrique, aurait pu être intrigué par le mélange de blues et de pop des Beatles. Si cette influence reste une hypothèse, elle illustre bien la façon dont les Beatles et Dylan se sont mutuellement nourris artistiquement au cours des années 60.

Un titre qui annonce l’évolution des Beatles

Avec le recul, « You Can’t Do That » apparaît comme un moment charnière dans la carrière des Beatles. Il marque la fin de leur période la plus insouciante et laisse entrevoir une facette plus dure et plus personnelle de leur musique.

Quelques mois plus tard, Lennon livrera des chansons encore plus introspectives, comme « I’m A Loser » et « Help! », où ses tourments personnels deviendront encore plus évidents. Mais déjà, avec « You Can’t Do That », il impose une vision du rock’n’roll plus nerveuse, plus proche de l’urgence émotionnelle que l’on retrouvera plus tard chez des groupes comme les Rolling Stones ou The Who.

Si elle n’a pas atteint le statut de tube planétaire comme d’autres titres des Beatles, « You Can’t Do That » reste un morceau essentiel de leur discographie. Brut, puissant et sans concession, il capture à merveille l’énergie du groupe au sommet de sa jeunesse et de sa créativité.