Michel Bussi – Les Ombres du monde

Par Yvantilleuil

Dans « Les Ombres du monde », Michel Bussi s’éloigne du polar classique afin de s’intéresser au génocide des Tutsi au Rwanda. À travers trois temporalités (1990, 1994 et 2024) il tisse une fresque familiale et historique où se mêlent mémoire et quête identitaire.

Le lecteur est tout d’abord invité à suivre les pas de Maé, une adolescente métisse passionnée de gorilles, qui se rend au Rwanda avec sa mère Aline et son grand-père Jorik, ancien militaire français. Ce voyage devient très vite le fil rouge d’une enquête intime et collective, nourrie par le journal d’Espérance, la grand-mère disparue dans les massacres de 1994.

En s’intéressant au génocide rwandais, Michel Bussi s’attaque ici à l’un des chapitres les plus sombres du XXe siècle. Du coup, le Rwanda devient un personnage à part entière, à la fois lieu de mémoire et de confrontation. L’auteur, fort de son passé universitaire en géographie politique, restitue avec précision les enjeux géopolitiques, les responsabilités françaises et les mécanismes de la haine ethnique.

Ne délaissant pas pour autant les techniques narratives du polar, l’auteur découpe son récit en chapitres assez courts et regroupés en sept actes, permettant ainsi d’insuffler pas mal de rythme à la narration, tout en alternant les époques avec fluidité. Ce va-et-vient temporel permet de juxtaposer les horreurs du passé avec les silences du présent. À cet instar, le journal d’Espérance permet d’établir un lien entre les générations, révélant progressivement les secrets enfouis et les blessures non cicatrisées.

Le lecteur suit d’une part le personnage de Maé, celle qui incarne l’innocence et la curiosité et qui met du coup le feu aux poudres en voulant aller observer les gorilles au Rwanda. Si sa quête lui permet de découvrir ses racines avec émotion, c’est surtout le journal intime d’Espérance qui permet de donner une voix aux victimes de ce génocide. Quant au père, qui fait un peu bande à part tout au long du récit, son passé de militaire au Rwanda permet toutefois d’offrir une perspective pour le moins intéressante sur l’implication française dans cette tragédie humaine.

À l’instar de Gaël Faye dans « Petit pays » et dans « Jacaranda », et auquel il fait d’ailleurs plusieurs fois référence à travers les goûts musicaux de son personnage principal, Michel Bussi s’attaque donc à cette page on ne peut plus sombre de l’Histoire. En cherchant à conserver les ficelles narratives du polar, il parvient certes à insuffler du rythme et à tenir ses lecteurs en haleine, mais au détriment d’une touche un peu trop romanesque qui a parfois tendance à diluer la gravité du propos. C’est certes parfaitement documenté et les faits relatés demeurent absolument édifiants, mais je n’ai pas retrouvé la proximité émotionnelle que j’avais en suivant les personnages de Gaël Faye.   

Bref, « Les Ombres du monde » est bien plus qu’un polar, car en invitant le lecteur à regarder l’Histoire en face, l’auteur de « Code 612. Qui a tué le Petit Prince? », « Nymphéas noirs » réussit le pari audacieux de mêler fiction et vérité, tout un livrant un cri contre l’oubli et un témoignage poignant.

Les Ombres du monde, Michel Bussi, Presses de la Cité, 576 p., 23,90 €

Elles/ils en parlent également : Aude, Matatoune, Sonia, Nath, Julie, Benjamin, Nath, Christophe, Marie, Eimelle, CultureVSNews