Deux poèmes d’Edith Bruck

Par Etcetera

« Pourquoi aurais-je survécu ? » est une anthologie poétique de l’écrivaine Edith Bruck, rassemblant des textes publiés ces quarante dernières années.
Clarté et limpidité de cette poésie rendent son impact d’autant plus direct. La grande lisibilité et apparente simplicité de ces textes les rendent accessibles à tous lecteurs, universels, sans distinction de classe sociale, de culture ou d’âge.

Cette année 2025 marque le 80e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale et de la libération des camps de concentration, aussi cet article s’inscrit dans l’hommage aux victimes et la mémoire de ce qu’ils ont vécu.

Note pratique sur le livre

Éditeur : Rivages poche
Année de publication : 2022
Traduit de l’italien par René de Ceccatty, également auteur de la préface.
Nombre de pages : 122

Quatrième de couverture

Née en 1931 en Hongrie, Edith Bruck a été déportée avec sa famille en avril 1944. Ayant survécu aux camps de concentration, elle s’installe en Italie dont elle adopte la langue. Dès 1959, elle publie des récits inspirés de sa déportation, implacables, mais dépourvus de haine, qui lui vaudront, outre l’amitié de Primo Levi, les plus grands prix et une reconnaissance internationale. Son œuvre poétique (publiée de 1980 à nos jours) constitue une véritable autobiographie en vers, en écho à son témoignage.

*
Deux poèmes

(Page 35)

Nous

Pour nous les survivants
c’est un miracle chaque jour
si nous aimons, nous aimons dur
comme si la personne aimée
pouvait disparaître d’un moment à l’autre
et nous aussi.

Pour nous les survivants
le ciel ou est très beau
ou est très laid, les demi-mesures
les nuances
sont interdites.

Avec nous les survivants
il faut se montrer précautionneux
parce qu’un simple regard de travers
ce qu’il y a de plus banal
va s’ajouter à d’autres terribles
et toute souffrance
fait partie d’une UNIQUE
qui palpite dans notre sang.

Nous ne sommes pas des gens normaux
nous avons survécu
pour les autres
à la place d’autres.
La vie que nous vivons pour nous rappeler
et nous nous rappelons pour vivre
n’est pas qu’à nous.
Laissez-nous…
Nous ne sommes pas seuls.


*
(Page 108)

Compagne de vie

Personne n’est plus fidèle
que la mémoire
elle ne nous abandonne jamais
pas même vieux, au contraire
elle augmente avec nous et le corps
même se souvient du mal.
Il conserve les traces
du froid, des coups
avec une douleur qui se promène
des genoux au dos,
du cou aux mains,
aux pieds dans la neige avec les sabots.
On n’a de trêve ni physique ni morale,
pour une fois on peut compter
sur la fidélité absolue
comme sur personne.
Elle ne nous oublie
même pas dans le rêve.
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