Sous les vagues d’Abbey Road : « Octopus’s Garden », l’évasion marine de Ringo Starr

Publié le 08 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Lorsqu’on évoque Abbey Road, dernier album enregistré par les Beatles en 1969, les compositions de Lennon et McCartney captent souvent l’attention. Pourtant, une chanson lumineuse et singulière s’invite dans le chef-d’œuvre : Octopus’s Garden. Cette composition de Ringo Starr, seulement la deuxième de sa carrière au sein des Beatles après Don’t Pass Me By, est une plongée dans un univers enfantin aux accents philosophiques, qui illustre autant l’évolution musicale du batteur que la complexité des dynamiques au sein du groupe à cette époque.

Sommaire

La genèse d’un rêve marin

L’histoire de Octopus’s Garden commence bien loin des studios londoniens. En août 1968, Ringo Starr, fatigué des tensions internes qui gangrènent les sessions du White Album, décide de s’éloigner temporairement du groupe. Il part en vacances avec sa famille en Sardaigne, où il profite de l’hospitalité de l’acteur Peter Sellers qui lui prête son yacht. C’est à bord de ce bateau que le capitaine lui raconte une anecdote fascinante sur les pieuvres, expliquant comment elles rassemblent des objets brillants pour créer des sortes de jardins sous-marins. Cette vision poétique séduit immédiatement Starr, qui voit dans cette histoire une métaphore de son propre désir d’évasion.

L’inspiration est immédiate : quelques accords de guitare, quelques bouffées de créativité et Octopus’s Garden commence à prendre forme. Ce morceau, conçu à la manière d’un conte enfantin, s’avère en réalité chargé d’un symbolisme profond, capté avec justesse par George Harrison, qui y voit une réflexion sur la sérénité intérieure et la quête de refuge face aux tempêtes extérieures.

De Let It Be à Abbey Road : l’évolution du morceau

La première trace officielle de Octopus’s Garden remonte aux sessions tumultueuses de Get Back en janvier 1969, projet qui donnera naissance à Let It Be. Pendant ces enregistrements filmés, Ringo Starr présente les prémices de la chanson à George Harrison et au producteur Glyn Johns. À ce stade, le morceau est encore embryonnaire, mais il suscite l’intérêt de Harrison, qui apporte son soutien à son ami et s’implique activement dans son développement.

Finalement, Octopus’s Garden est mis de côté durant ces sessions et ne sera travaillé en profondeur que quelques mois plus tard, lors des sessions d’Abbey Road. L’enregistrement commence officiellement le 26 avril 1969 aux studios EMI, sous la houlette de George Martin et de l’ingénieur du son Jeff Jarratt.

Une orchestration soignée pour une plongée onirique

L’arrangement du morceau témoigne d’un soin particulier, signe de l’évolution musicale de Ringo Starr et de l’investissement des autres membres du groupe dans sa réalisation. Dès la première prise, l’essence du morceau est en place, avec une structure mélodique claire et un travail harmonique précis.

Le 29 avril, Starr enregistre sa première piste vocale, qui sera toutefois réenregistrée ultérieurement pour une interprétation plus aboutie. Paul McCartney enrichit le morceau avec une ligne de piano qui apporte une touche de légèreté et de fluidité aux transitions. Le 17 juillet, il ajoute une nouvelle ligne de basse, tandis que Harrison et McCartney contribuent aux chœurs, donnant à la chanson sa texture finale.

L’un des éléments les plus marquants de cet enregistrement réside dans les effets sonores qui accentuent l’ambiance aquatique du morceau. Ainsi, des bulles sont créées en enregistrant le bruit de Ringo soufflant dans un verre d’eau, ajoutant un effet ludique et immersif à la chanson.

Le mixage final est réalisé le 18 juillet 1969. Fait intéressant, Octopus’s Garden est le seul titre d’Abbey Road à avoir été mixé en mono, alors même que l’album ne devait jamais sortir dans ce format.

Une échappée enchantée dans un contexte troublé

Si l’on perçoit Octopus’s Garden comme une chanson légère et enfantine, elle s’inscrit pourtant dans une période particulièrement difficile pour les Beatles. En 1969, les tensions entre les membres du groupe sont à leur paroxysme. John Lennon s’éloigne progressivement et se montre souvent désintéressé des compositions qui ne sont pas les siennes. Paul McCartney tente, tant bien que mal, de maintenir une cohésion, tandis que George Harrison se sent frustré par le manque de reconnaissance de ses talents de compositeur. Ringo, de son côté, bien que généralement en retrait des conflits, ressent profondément cette disharmonie et cherche un moyen d’y échapper.

Dans ce contexte, Octopus’s Garden apparaît comme une bulle de légèreté, une invitation à la sérénité et à la simplicité. George Harrison, qui a toujours accordé une importance à la spiritualité, est particulièrement touché par la symbolique du morceau et y voit une métaphore plus profonde qu’un simple conte marin. Selon lui, les paroles traduisent un besoin d’évasion psychique et une recherche de paix intérieure, loin des tempêtes extérieures.

Héritage et postérité

Depuis sa sortie en 1969 sur Abbey Road, Octopus’s Garden est devenue une chanson emblématique du répertoire des Beatles, souvent associée à l’univers enfantin et joyeux de Ringo Starr. Elle a été reprise sur plusieurs compilations, notamment Anthology 3 en 1996, où l’on peut entendre une version alternative issue des sessions d’enregistrement.

En 2006, la chanson est revisitée dans l’album Love, où la voix de Ringo est superposée à l’orchestration de Good Night, créant une nouvelle ambiance onirique.

Au fil des décennies, Octopus’s Garden a su conserver son charme intact. Elle illustre à merveille l’apport singulier de Ringo Starr au sein des Beatles : un mélange de candeur, d’humour et de sincérité, qui trouve ici une résonance universelle. Plus qu’une simple fantaisie aquatique, elle est une échappée vers un ailleurs où règnent la paix et la beauté, une oasis sous-marine dans l’océan tumultueux de la dernière année des Beatles.