Quand les Beatles n’étaient encore que des Beat Brothers : l’histoire de « My Bonnie »

Publié le 09 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En juin 1961, quatre jeunes musiciens anglais encore méconnus enregistrent pour la première fois un titre qui sera commercialisé. Loin d’imaginer la révolution qu’ils allaient provoquer dans l’univers musical, ces jeunes hommes, alors simplement accompagnateurs d’un chanteur britannique, participent à une session qui allait marquer un tournant décisif dans leur destin. Cette chanson, « My Bonnie », enregistrée en compagnie de Tony Sheridan, allait non seulement être leur premier enregistrement officiel, mais aussi jouer un rôle clé dans la rencontre avec Brian Epstein, l’homme qui allait les propulser vers la gloire.

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Hambourg : la forge des Beatles

Avant de devenir l’un des plus grands groupes de l’histoire du rock, les Beatles étaient une formation encore en rodage, se perfectionnant nuit après nuit dans les clubs de Hambourg. C’est dans cette ville portuaire allemande qu’ils font la connaissance de Tony Sheridan, un chanteur-guitariste britannique qui s’était déjà forgé une solide réputation sur la scène locale. Ensemble, ils se produisent au Top Ten Club, un établissement réputé où leur énergie brute et leur répertoire rock ‘n’ roll captivent le public, composé en grande partie de marins en escale.

C’est ainsi qu’ils attirent l’attention du producteur et chef d’orchestre allemand Bert Kaempfert, un homme d’influence qui voit en eux des musiciens prometteurs. Il leur propose d’accompagner Tony Sheridan sur un enregistrement, une opportunité inespérée pour ces jeunes artistes encore en quête de reconnaissance.

Une session historique en studio

Les 22 et 23 juin 1961, les Beatles – alors constitués de John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Pete Best – entrent en studio avec Tony Sheridan pour enregistrer « My Bonnie » et « The Saints », une version rock de « When The Saints Go Marching In ». La séance se déroule dans un cadre modeste : une scène d’école reconvertie en studio d’enregistrement à la Friedrich-Ebert-Halle de Hambourg.

Le choix de « My Bonnie » n’est pas anodin : cette chanson traditionnelle écossaise est particulièrement appréciée des marins fréquentant les clubs de Hambourg. L’arrangement proposé par Tony Sheridan est un savant mélange entre tradition et modernité : après une introduction en valse façon « Love Me Tender », le morceau bascule dans un rock effréné, emporté par les guitares incisives de George Harrison et Tony Sheridan. Ce dernier assure d’ailleurs le solo de guitare, qui sera inséré dans le mix final à partir d’une autre prise.

L’enregistrement comprend également deux introductions distinctes, l’une en anglais et l’autre en allemand, une initiative destinée à séduire le marché germanophone.

Une sortie discrète mais décisive

Paru en octobre 1961 sous le nom de « Tony Sheridan and The Beat Brothers » – un changement imposé par la maison de disques qui jugeait « The Beatles » trop difficile à comprendre pour le public allemand – le single rencontre un certain succès local, atteignant la 32e place des charts allemands. Ce modeste succès est suffisant pour permettre une sortie britannique, où le disque est cette fois crédité à « Tony Sheridan and The Beatles » lors de sa publication le 5 janvier 1962.

Mais l’impact de « My Bonnie » dépasse largement les classements. L’histoire veut qu’un jeune fan, Raymond Jones, se rende dans le magasin de disques NEMS à Liverpool et demande au propriétaire, Brian Epstein, un exemplaire de « My Bonnie » des Beatles. Intrigué par cette demande et par l’engouement grandissant autour du groupe, Epstein décide de se rendre au Cavern Club pour les voir jouer. Impressionné par leur charisme et leur talent brut, il devient leur manager peu de temps après, changeant à jamais leur destinée.

Un regard critique des Beatles sur leur première session

Si « My Bonnie » constitue une étape essentielle dans l’histoire des Beatles, les membres du groupe ne garderont pas un souvenir impérissable de cet enregistrement. John Lennon n’hésitera pas à qualifier la session de « terrible », estimant que le groupe se contentait d’accompagner Sheridan sans y apporter une réelle personnalité musicale. De son côté, Paul McCartney relativisera cette expérience, reconnaissant qu’il s’agissait avant tout d’une opportunité à saisir dans l’industrie musicale naissante.

Toutefois, en dépit de leur manque d’enthousiasme pour ce premier essai studio, les Beatles profiteront pleinement de cette expérience. En marge de leur collaboration avec Sheridan, ils enregistreront également deux morceaux en tant que groupe indépendant : « Ain’t She Sweet », avec John Lennon au chant principal, et « Cry for a Shadow », une composition instrumentale signée Lennon-Harrison, premier véritable témoignage de leur créativité en studio.

L’héritage de « My Bonnie »

Des décennies après son enregistrement, « My Bonnie » demeure un témoignage fascinant des débuts des Beatles, une relique précieuse d’une époque où le groupe cherchait encore sa voie. Ce n’est pas un chef-d’œuvre du rock, mais c’est une pièce essentielle du puzzle Beatles, celle qui permit leur découverte par Brian Epstein et mit en marche la machine qui allait les mener à la conquête du monde.

En 1995, la chanson sera intégrée à la compilation « Anthology 1 », permettant aux nouvelles générations de découvrir cette facette méconnue de la légende des Beatles. Avec le recul, « My Bonnie » apparaît comme un tournant décisif, une modeste étincelle qui, sans le savoir, allait allumer l’un des plus grands feux de l’histoire de la musique populaire.