Quatrième de couverture :
Sitôt mariée à Candre, un riche aristocrate, Aimée découvre sa nouvelle demeure. Là, elle passe ses journées seule, enfermée, épiée par les domestiques. Son monde s’écroule lorsqu’elle apprend un secret sur son mari. Tout devient menaçant : les murs hantés, les cris d’oiseaux incessants, les regards invisibles. Jusqu’au jour où apparaît Emeline… Aimée brûle alors les interdits à la recherche de la vérité.
Permettez-moi d’expliquer d’abord pourquoi j’ai lu ce roman. J’ai décidé de tester la nouvelle formule d’abonnement proposée par la librairie Au Temps Lire à Lambersart, d’abord sous forme de test réservé aux trente premiers clients inscrits et j’en fais partie. J’ai dû répondre à un questionnaire concernant mes goûts et j’ai choisi la formule mixte « trois romans grand format, trois romans en poche ». Quand je suis allée récupérer mon premier livre, celui-ci était emballé dans une enveloppe en kraft, avec un marque-page et une petite carte du libraire qui avait choisi cet ouvrage, avec une référence à un de mes centres d’intérêt : les romans où la maison a son importance. Et je dois dire que ce petit carton m’a motivée parce que le nom de Cécile Coulon était associé pour moi à un mauvais souvenir de lecture de Le roi n’a pas sommeil, un roman qui m’avait laissée à l’époque sur le bord du chemin avec un fort sentiment d’incompréhension (et pourquoi j’avais l’impression d’être la seule ou presque à ne pas comprendre et ne pas aimer ???) Et j’ai bien fait de rester motivée, ce roman m’a beaucoup plu, après un abandon décevant.
On est donc au 19è siècle, dans le Jura, mais on pourrait se croire dans un conte plus ancien, plus moyenâgeux, avec le personnage de la jeune fille protégée, son père sage ancien soldat revenu de la guerre handicapé, son mari noble et pieux, un serviteur qui hante les lieux et ne parle pas et la mère de celui-ci, qui a aussi élevé le maître comme son fils à la mort de sa mère. Aimée, élevée avec son cousin Claude, qui se destine lui aussi à devenir soldat, est donc mariée à Candre Marchère, un aristocrate pieux qui mène son domaine avec l’assentiment discret d’Henria, qu’on pourrait qualifier de gouvernante. Celle-ci a un fils, Angelin, muet et bizarre, malmené par les autres serviteurs. En arrivant au domaine Marchère, Aimée est impressionnée par la maison, par la forêt qui l’entoure et par le fantôme d’Aleth, la première épouse de Candre, morte de la tuberculose dans un sanatorium. La référence à Rebecca de Daphné du Maurier est évidente, inévitable mais Cécile Coulon ne se contente pas d’un « copié-collé », elle est bien plus fine. Le lecteur suit Aimée, qui ne quittera plus le domaine, dans sa difficile découverte des relations sexuelles et de la vie conjugale auprès d’un mari qui semble très prévenant mais reste mystérieux. Pour distraire sa femme, Candre fait venir de Genève Emeline Lhéritier, une prof de flûte rigoureuse. De façon très pudique, l’autrice nous fait comprendre une relation de compréhension et d’intérêt entre les deux femmes. C’est grâce à son cousin Claude et à Emeline qu’Aimée va oser percer les secrets de Candre et du domaine et les révélations ne sont pas du tout celles auxquelles on s’attendait (en tout cas, je me suis laissé surprendre).
J’aime beaucoup les correspondances du récit, le choix des noms, le titre des différentes parties, les références, le mélange des genres, l’écriture simple et attrayante, le rythme du récit, le thème de la condition des femmes dans des temps reculés et les diverses figures féminines du roman. Voilà une narration fine et bien menée qui me réconcilie avec l’autrice !
« Le domaine Marchère lui apparaîtrait nettement, comme un paysage après la brume. Une fois le brouillard des sapins levé sur la colline, Aimée retiendrait dans sa gorge un hoquet de surprise : jamais elle n’aurait vu un lieu pareil, jamais elle n’aurait pensé y vivre.
Une bâtisse de pierre et de bois, aussi large qu’un couvent, aussi haute qu’une église, trônait au cœur du paysage. »
« Le château se fondait dans la végétation, comme s’il était né de la forêt, protégé par elle sans qu’elle le dévore, habillé par ses feuilles et ses plantes grimpantes, bourdonnant d’abeilles, et pourtant étincelant et propre comme les costumes de Candre. Elle imaginerait un oeil géant, de lumière et de verdure, tandis que la voiture s’arrêterait devant l’escalier, usé, vestige des caprices de Jeanne Marchère. Un oeil immense posé sur elle, aux cils de vantaux plats, aux cernes de vitres impeccables. Elle ne saurait en ces lieux quoi répondre aux silences de la forêt. »
« Son propre sexe était un territoire sauvage, caché entre ses cuisses musclées par des jeux d’extérieur ; son sexe était un trait tiré droitement sous son ventre et elle n’imaginait pas qu’il faudrait bientôt écarter cette ligne pour y construire un enfant. Candre serait bientôt cet homme, cet ouvrier du corps. Il faudrait lui ouvrir son lit, ses bras, ses jambes, le trait deviendrait une fente chaude jusqu’à ce que l’avenir se dessine à la surface de son nombril. »
« Elle apprenait la flûte à de jeunes élèves de première et deuxième année qui n’étaient point nombreuses. Les petites de familles bourgeoises se succédaient, envoyées là par leurs parents pour qu’elles sachent divertir les invités, lors de soirées mondaines ou de repas familiaux. Les jeunes femmes capables de maîtriser un instrument, en général le piano ou la flûte, trouvaient plus facilement un mari. De bonnes élèves feraient de bonnes épouses et, la plupart du temps, une fois mariées, elles abandonneraient l’instrument, poussant, à leur tour, leurs enfants à apprendre la musique, comme on apprend à multiplier des chiffres, à monter à cheval, à lire à haute voix des romans moraux. »
Cécile COULON, Seule en sa demeure, Proche, 2024 (L’Icononclaste, 2021)