De leur rencontre en 1957 à la rupture en 1970, Lennon et McCartney ont formé un tandem mythique, moteur des Beatles. Unis par un lien profond, ils ont coécrit des chefs-d’œuvre avant que tensions, rivalités et trajectoires personnelles ne viennent fissurer leur entente. Leur relation, faite d’admiration, d’amitié et de conflits, reste le cœur battant de l’épopée Beatles.
Sommaire
- Naissance d’un duo mythique (1957-1960)
- L’ascension fulgurante et la complicité créative (1962-1965)
- Évolution artistique et premiers différends (1966-1967)
- Fractures et rivalités créatives (1968)
- Le début de la fin (1969)
- La rupture officielle et ses séquelles (1970)
Naissance d’un duo mythique (1957-1960)
Le 6 juillet 1957, John Lennon et Paul McCartney se rencontrent pour la première fois lors d’une fête paroissiale à Woolton, un quartier de Liverpool. Lennon, 16 ans, se produit alors avec son groupe de skiffle The Quarrymen sur la scène improvisée d’un jardin d’église. Dans l’assistance se trouve McCartney, tout juste 15 ans, invité par un ami commun, Ivan Vaughan. Quand vient le moment des présentations dans les coulisses, Paul dégaine une guitare et joue quelques tubes du rock américain, dont Twenty Flight Rock d’Eddie Cochran, en chantant toutes les paroles sans hésitation. John est immédiatement impressionné par l’aisance du jeune musicien. « Il *avait l’air bien, il chantait bien… il semblait être un excellent leader », se souviendra plus tard Lennon à propos de cette première impression. De son côté, McCartney est fasciné par le charisme frondeur de Lennon, qui mène sa bande avec humour et assurance. En quelques minutes de conversation, une complicité rare s’installe entre les deux adolescents. John, habitué à accorder sa guitare comme un banjo, laisse Paul lui montrer le bon accordage. Chacun reconnaît intuitivement le talent de l’autre. C’est le début d’un partenariat hors du commun.
Dans les jours qui suivent, Lennon est tiraillé. Devrait-il intégrer ce garçon talentueux dans son groupe au risque de voir son propre leadership remis en question ? Après réflexion, la réponse est oui : Paul McCartney est officiellement invité à rejoindre les Quarrymen. Lorsque Paul accepte (après avoir d’abord hésité quelques jours, surpris et flatté de l’offre), le tandem Lennon-McCartney se forme véritablement. Dès la fin des années 1950, les deux compères passent des heures ensemble à jouer de la guitare et à tenter de composer leurs premières chansons. Attablés dans la maison familiale des McCartney au 20 Forthlin Road ou dans la véranda chez la tante de John, ils grattent sur de vieux cahiers d’écolier des textes inspirés par leurs idoles américaines. Ils promettent alors de signer toutes leurs chansons du double crédit Lennon–McCartney, peu importe qui en sera l’auteur principal – un pacte d’alliance artistique qui scellera leur destin.
Un lien personnel profond unit aussi John et Paul : chacun d’eux a perdu sa mère à l’adolescence. Paul n’a que 14 ans quand sa mère Mary meurt fin 1956, et John a 17 ans lorsque sa mère Julia est fauchée par une voiture en 1958. Ces tragédies créent entre eux une compréhension tacite. « Chacun de nous savait ce que l’autre avait traversé… À cet âge-là on ne te permet pas de t’effondrer, surtout quand tu es un garçon », confiera plus tard McCartney en évoquant ce deuil commun. Incapables d’exprimer ouvertement leur chagrin à l’époque, ils trouvent dans la musique un exutoire et dans leur amitié un réconfort implicite. Cette amitié fusionnelle va devenir le socle émotionnel sur lequel le duo bâtira sa créativité. Dès leurs débuts, John et Paul forment un tandem à part : deux âmes sœurs musicales liées par des expériences de vie similaires et un même rêve de grandeur.
En 1960, les Quarrymen évoluent pour devenir The Beatles – un nom imaginé par Lennon, bientôt adopté par le groupe complet une fois George Harrison (un jeune guitariste recommandé par McCartney) et un certain Pete Best à la batterie embarqués dans l’aventure. Mais au cœur de ce nouveau groupe, c’est bien le binôme Lennon-McCartney qui donne le la. Ensemble, ils partent à Hambourg pour forger leur expérience sur scène au cours de nuits endiablées. Dans les clubs allemands, l’entente entre John et Paul fait merveille : l’union de leurs voix en harmonies vocales et l’énergie qu’ils dégagent transcendent les concerts. Tous deux frontmen, ils apprennent à se partager le micro et les acclamations, se renvoyant la balle sur des reprises de rock ‘n’ roll avec une jubilation évidente. Côté coulisses, ils partagent tout : les chambres miteuses à l’arrière des cinémas, les fous rires autour d’un plat de curry après le spectacle, et les rêves de réussite qu’ils nourrissent en secret. Lennon, plus âgé de deux ans, a le tempérament de chef de bande ; McCartney, plus poli et diplomate, tempère parfois les éclats de John. Très vite, ils développent un mode de communication bien à eux, fait de sous-entendus et de blagues complices. « Chacun finissait les phrases de l’autre », résumera un de leurs proches sur cette période. Solidaires face à l’adversité, ils sont, dès la naissance des Beatles, deux moitiés inséparables d’un même tout.
L’ascension fulgurante et la complicité créative (1962-1965)
En 1962, les Beatles décrochent un contrat chez EMI-Parlophone et accueillent Ringo Starr à la batterie. La machine est lancée : en quelques mois, le quatuor de Liverpool devient un phénomène national puis mondial. Au cœur de la Beatlemania, Lennon et McCartney s’imposent comme un duo créatif prodigieux. Entre octobre 1962 et la fin de 1965, ils publient des dizaines de chansons à succès, propulsant les Beatles en tête des hit-parades de façon presque ininterrompue. Des premiers tubes comme Love Me Do, Please Please Me ou She Loves You jusqu’à Help! et Yesterday, la signature Lennon–McCartney apparaît sur des morceaux qui définissent l’air du temps. Si la foule hystérique qui hurle sous leurs fenêtres d’hôtel ne sait pas distinguer précisément qui écrit quoi, une chose est sûre : c’est bien l’alliance de ces deux jeunes hommes qui produit cette avalanche de mélodies inoubliables.
Le mode de fonctionnement de John et Paul pendant ces années de gloire est exemplaire de leur entente. En tournée, ils composent dans l’urgence, souvent à quatre mains. Le soir, après un concert exténuant, on les retrouve assis côte à côte dans la chambre d’hôtel, guitares acoustiques en bandoulière, en train de chercher ensemble un air ou quelques phrases de texte. « On écrivait beaucoup face à face, littéralement les yeux dans les yeux, chacun jouant de la guitare sous le nez de l’autre », racontera John Lennon de ces séances d’écriture itinérantes. Cette proximité physique et intellectuelle leur permet de pondre des chansons en un temps record. Pressés par les dates de studio, ils répondent au défi sans faillir : I Want to Hold Your Hand par exemple, hymne irrésistible composé en octobre 1963, jaillit en quelques heures un après-midi chez la famille d’une amie, alors qu’ils sont accoudés côte à côte au piano. Le titre deviendra le premier numéro 1 des Beatles aux États-Unis début 1964, ouvrant la voie à la « British Invasion » en Amérique. Jamais auparavant un tandem de songwriters n’a connu une telle productivité alliée à un tel retentissement populaire.
John et Paul ont, il est vrai, cette capacité rare de se stimuler mutuellement. Ils se lancent des idées, se corrigent l’un l’autre sans ego mal placé – du moins à ce stade. « Nous ne nous disputons jamais. Si l’un de nous n’aime pas un passage, l’autre acquiesce. Ça n’a pas tant d’importance. Je tiens à écrire une bonne chanson, mais je ne suis pas obstiné au point de me braquer sur chaque détail », expliquera McCartney en 1966 pour décrire la fluidité de leur collaboration. Un exemple célèbre illustre cette alchimie bienveillante : en 1962, alors qu’il travaille sur I Saw Her Standing There, Paul a initialement écrit un vers disant « She was just seventeen, never been a beauty queen » (« Elle n’avait que dix-sept ans, n’avait jamais été une reine de beauté »). Conscient que cette rime est faible, il la propose malgré tout à John, qui éclate de rire et le taquine : « Tu plaisantes avec cette ligne, pas vrai ? ». Tous deux conviennent en riant de la changer. C’est Lennon qui trouve alors la formule parfaite : « She was just seventeen, you know what I mean » (« Elle n’avait que dix-sept ans, tu vois ce que je veux dire »), une phrase à la connivence malicieuse qui restera dans la chanson définitive. Cet équilibre entre franchise critique et confiance réciproque permet aux deux auteurs de toujours tirer le meilleur l’un de l’autre. Chaque faiblesse passagère de l’un est rattrapée par l’inspiration de l’autre.
Au-delà de l’écriture, les deux compères partagent le micro en studio comme sur scène, faisant résonner leurs voix en harmonie. Le public, les médias, tout le monde les associe invariablement : on parle de « Lennon et McCartney » comme d’une entité unique. Ils apparaissent souvent collés l’un à l’autre lors des interviews, terminant mutuellement les phrases avec un humour complice. John, l’aîné à l’humour acide et à l’esprit frondeur, et Paul, le charmeur optimiste au sourire enjôleur, forment un contraste saisissant que la presse adore mettre en scène. Pourtant, l’équilibre est parfait. Musicalement, leurs styles se complètent comme les deux faces d’une pièce : Lennon apporte un côté brut, électrique, des compositions plus introspectives ou teintées de blues, tandis que McCartney excelle dans les mélodies raffinées, les ballades enjouées ou les pastiches de variété. « Paul apportait la légèreté, l’optimisme, quand moi j’allais toujours vers les notes tristes, les accords dissonants, le côté blues », analysera John plus tard en décrivant leur tandem. Cette combinaison d’ombre et de lumière produit une richesse sonore unique, où chacun vient enrichir le travail de l’autre. Parfois ils écrivent véritablement main dans la main, comme pour She Loves You (1963) dont ils composent le refrain accrocheur en chœur, ou We Can Work It Out (1965) où ils fusionnent deux contributions distinctes en un seul tube : Paul rédige les couplets d’un ton conciliant (« Try to see it my way… » / « Essaie de voir les choses de mon point de vue… »), pendant que John propose le pont au réalisme plus sombre (« Life is very short and there’s no time for fussing and fighting, my friend » / « La vie est très courte et il n’y a pas de temps pour se chamailler, mon ami »). À eux deux, ils offrent ainsi au morceau un équilibre entre optimisme et pragmatisme qui reflète parfaitement leur duo.
En 1964-65, au zénith de la Beatlemania, Lennon et McCartney sont comme les deux faces d’une même médaille d’or. Leur amitié est évidente, souvent qualifiée de fraternelle. On les voit faire les pitres ensemble dans le film A Hard Day’s Night, complices comme deux gamins espiègles. Ils partagent la vedette sans heurt : par exemple, lors du légendaire concert des Beatles au Shea Stadium de New York en 1965, John et Paul se renvoient mutuellement la blague des colliers à fleurs qu’on leur a lancés sur scène, éclatant de rire devant 55 000 spectateurs. Cette bonne humeur collective est le reflet d’une entente profonde. Nous savions que nous étions bons, dira Paul rétrospectivement. Et pourquoi l’aurions-nous nié ? Nous travaillions l’un avec l’autre, chacun sachant l’autre génial. Le monde entier fredonne leurs chansons, et le duo Lennon-McCartney est désormais synonyme de succès phénoménal. Pourtant, derrière l’euphorie générale, de subtiles différences commencent à poindre dans leur approche musicale et leurs aspirations personnelles. La suite de l’histoire montrera que même les amitiés les plus fortes sont mises à l’épreuve par le temps et le changement.
Évolution artistique et premiers différends (1966-1967)
1966 marque un tournant pour les Beatles et donc pour le tandem Lennon-McCartney. Éreintés par des tournées mondiales épuisantes et désireux d’évoluer musicalement, les quatre musiciens décident d’arrêter les concerts après un ultime show chaotique à San Francisco en août. Libérés de la pression de la scène, ils se replient dans le sanctuaire des studios d’enregistrement pour se consacrer pleinement à la créativité. Cet arrêt de la tournée coïncide avec un repositionnement des dynamiques internes du groupe. Paul McCartney, en particulier, s’affirme de plus en plus comme un moteur artistique. Curieux de tout, il se passionne pour les nouvelles techniques de studio, la musique expérimentale, la musique classique, et fréquente les cercles avant-gardistes de Londres. John, de son côté, traverse une période plus introspective. Il consomme beaucoup de LSD en 1966, ce qui l’éloigne temporairement de l’effervescence créative de Paul. Lennon tourne également un film (How I Won the War) à l’automne 66 et semble moins prolifique en composition pendant quelques mois. Pour la première fois, on sent pointer une légère désynchronisation entre les deux leaders : McCartney déborde d’initiatives quand Lennon, lui, paraît en retrait, plongé dans la psychédélique et la remise en question personnelle.
Pourtant, lorsque vient le moment d’enregistrer Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band à la fin de 1966 et début 1967, John et Paul parviennent à se retrouver sur la même longueur d’onde créative, au moins en apparence. L’album concept, souvent considéré comme le chef-d’œuvre des Beatles, est en grande partie impulsé par Paul – c’est lui qui imagine le concept de ce faux orchestre victorien et la fameuse pochette aux multiples visages. Lennon joue le jeu et contribue avec enthousiasme par des chansons marquantes (Lucy in the Sky with Diamonds, A Day in the Life en co-écriture avec Paul). Néanmoins, l’équilibre des contributions sur Sgt. Pepper révèle le glissement qui s’opère : McCartney fournit la majorité des idées neuves et apparaît comme le maître d’œuvre du projet, tandis que Lennon, moins productif à ce moment-là, suit le mouvement tout en apportant quelques éclairs de génie. Le leadership musical penche subtilement vers Paul, du fait de son abondance de compositions et de son intérêt pour l’expérimentation sonore. John, qui fut le leader naturel des débuts, ressent-il une frustration de cette inversion des rôles ? Peut-être pas encore explicitement, mais le germe d’une rivalité plus consciente est planté.
Malgré ces évolutions, la complicité entre les deux reste réelle et donne naissance à des moments de grâce collaborative. En 1967, ils signent ensemble l’une de leurs dernières grandes compositions à quatre mains : A Day in the Life, le morceau fleuve qui clôt Sgt. Pepper. John écrit les couplets rêveurs inspirés par l’actualité (« I read the news today, oh boy… »), tandis que Paul compose l’interlude pop au milieu (« Woke up, fell out of bed… »), et c’est McCartney qui a l’idée d’ajouter l’orchestre symphonique crescendo et l’accord final monumental. Le résultat, fusion des sensibilités des deux artistes, est époustouflant. Il démontre qu’en dépit de leurs approches divergentes, l’association de leurs talents produit toujours des étincelles uniques.
D’ailleurs, loin de se voir comme des adversaires, John et Paul continuent à s’inspirer l’un l’autre. Un exemple célèbre de cette émulation réciproque se produit autour de deux chansons nostalgiques écrites fin 1966 : lorsque Lennon enregistre Strawberry Fields Forever, évocation onirique de son enfance à Liverpool, McCartney répond en composant Penny Lane, tableau lumineux de son propre quartier d’enfance. Initialement prévues sur le nouvel album, ces deux chansons jumelles sortiront finalement ensemble en single double face A début 1967. On y entend l’opposition complémentaire entre les deux hommes : à la rêverie psychédélique un brin mélancolique de John répond la peinture colorée et optimiste de Paul. Le succès critique est immense : le tandem vient de prouver qu’il peut fonctionner par dialogue musical, même lorsque chaque morceau porte principalement la patte de l’un ou de l’autre.
Cependant, en coulisses, des tensions larvées apparaissent. En août 1967, les Beatles subissent un choc personnel avec le décès soudain de Brian Epstein, leur manager historique et figure quasi fraternelle qui les encadrait depuis 1962. Orphelins de leur mentor, les quatre musiciens se retrouvent sans direction claire. Paul McCartney, refusant de laisser le groupe à la dérive, tente de prendre les choses en main : c’est lui qui pousse les Beatles à se lancer dans le film Magical Mystery Tour à l’automne 1967, une initiative plus ou moins improvisée pour occuper le terrain. John, encore accablé par la mort d’Epstein et un peu désabusé, se montre moins enthousiaste. Le film sera un semi-échec critique, ce qui creuse un peu plus le fossé entre un Paul volontariste et un John plus cynique sur ce projet. Lennon commence à ressentir que McCartney s’impose comme le « boss » du groupe par défaut. Des années plus tard, on apprendra qu’au cours de cette période, John bouillait intérieurement de voir Paul diriger les séances et orienter le style du groupe, tandis que lui-même se sentait moins central.
Malgré tout, en cette fin de 1967, l’affection mutuelle entre Lennon et McCartney demeure palpable. Ils partent ensemble en retraite spirituelle en Inde au printemps 1968 pour apprendre la méditation transcendantale, espérant se ressourcer après les folles années passées. Mais ce séjour en vase clos va paradoxalement précipiter de grands changements dans leur relation… Car si la décennie des Sixties a jusqu’ici vu leur amitié grandir au rythme de leur gloire, l’année 1968 sera celle où les fissures jusque-là minimes vont s’élargir et mettre à rude épreuve le duo légendaire.
Fractures et rivalités créatives (1968)
En 1968, la belle unité du tandem commence à se fissurer sous plusieurs coups de boutoir simultanés. D’abord, il y a l’éveil de Lennon à de nouvelles passions en dehors de son partenariat avec McCartney. Lorsqu’il rentre d’Inde, John est un homme transformé : il a rencontré l’artiste d’avant-garde Yoko Ono quelques mois plus tôt, et cette relation naissante devient très vite le centre de son univers. Yoko Ono s’immisce progressivement dans la bulle des Beatles – dès les séances d’enregistrement de l’Album Blanc (le double album The Beatles sorti en 1968), elle s’assied au côté de John en studio, une présence constante là où auparavant l’espace de création de Lennon et McCartney était strictement réservé aux quatre membres du groupe. Pour Paul, et pour les autres, la situation est déstabilisante. Jusqu’alors, John et lui formaient un binôme quasi exclusif lorsqu’il s’agissait de créer : même George et Ringo restaient un peu en retrait de ce tandem écrasant. Voir Lennon désormais inséparable de Yoko, y compris en studio, rompt le rituel sacré de leurs séances de travail en duo. C’est comme si John avait ouvert une porte qui était toujours restée close – celle de leur intimité artistique.
Parallèlement, l’Album Blanc révèle que Lennon et McCartney travaillent de moins en moins en binôme soudé. Chacun apporte ses chansons de son côté, et beaucoup de titres sont quasiment des morceaux solo enregistrés avec l’appoint des autres Beatles en simples accompagnateurs. Les styles des deux leaders divergent fortement sur ces quatre faces de vinyle : Lennon propose des pièces brutales ou avant-gardistes (Revolution 9 en collage sonore expérimental, Yer Blues en cri de désespoir électrique), pendant que McCartney explore le registre des ballades tendres (Blackbird) ou des pastiches éclectiques (Back in the U.S.S.R., Honey Pie). Il y a bien quelques collaborations ponctuelles, mais souvent minimalistes : par exemple, sur la chanson Ob-La-Di, Ob-La-Da de Paul, John contribue seulement en jouant un riff de piano exubérant en intro – d’ailleurs, anecdote révélatrice, Lennon n’aimait pas du tout cette chanson aux accents pop légers, qu’il qualifiait de « musique de grand-mère ». L’ambiance durant l’enregistrement de l’Album Blanc est tendue : les disputes éclatent fréquemment sur des détails d’arrangements, un perfectionnisme maniaque de McCartney exaspère parfois Lennon et Harrison, et inversement l’impulsivité de John irrite Paul. À un moment, exténué par les conflits, Ringo Starr claque même la porte pendant quelques jours – preuve que la discorde s’étend au-delà du seul duo Lennon-McCartney.
Entre John et Paul, le fossé se creuse sur le plan personnel autant qu’artistique. Lennon, à 28 ans, est en pleine remise en question existentielle, porté par son amour fusionnel avec Yoko Ono et son intérêt grandissant pour les causes pacifistes et la contre-culture. McCartney, 26 ans, reste quant à lui focalisé sur l’unité du groupe et la poursuite de l’innovation musicale dans un cadre plus classique. Il aspire toujours à ce que les Beatles fonctionnent « comme avant », alors que John a la tête ailleurs. « John s’éloignait vers un autre univers, et Paul, qui jusque-là avait été son compagnon, son âme sœur, lui apparaissait désormais comme conventionnel, presque fade », écrira plus tard le biographe Hunter Davies pour résumer ce moment charnière. Cette distance émotionnelle nouvelle entraîne inévitablement des frictions. McCartney, sentant le leadership de Lennon vaciller, tente de combler le vide : il propose énormément d’idées, dirige souvent les séances d’enregistrement pour tenir le navire Beatles à flot. Mais ce faisant, il adopte (sans vraiment le vouloir) une position quasi autoritaire qui braque John.
Lennon commence à mal vivre la mainmise de Paul sur la direction musicale. En privé, les deux hommes ont désormais des échanges plus âpres. Au cœur de 1968, selon des témoignages, ils auraient eu des engueulades mémorables en studio, chacun campant sur ses positions – du jamais vu quelques années plus tôt, quand l’un cédait spontanément devant l’avis de l’autre. Leur communication, autrefois si fluide, devient difficile. Et puis, il y a la blessure d’ego : John jalouse presque la facilité mélodique de Paul, tandis que Paul supporte mal que John dénigre certaines de ses compositions qu’il juge « trop sucrées ». La compétition artistique, qui avait toujours été un stimulant positif entre eux, prend une tournure plus négative. Ils commencent à se comparer, à s’opposer. Par exemple, lorsque McCartney propose Hey Jude à l’été 1968 – une chanson magistrale écrite pour réconforter le fils de John pendant son divorce d’avec Cynthia – Lennon reconnaît le génie du morceau mais s’agace (mi-sérieux, mi-taquin) que Paul n’ait pas écrit un tel chef-d’œuvre « pour lui ». Paul, de son côté, accepte de garder dans Hey Jude un vers un peu obscur (« The movement you need is on your shoulder ») uniquement parce que John le lui a fortement conseillé – preuve que malgré les tensions, il respecte toujours l’avis de son partenaire. Mais la connivence d’antan semble fragilisée : ils ne sont plus systématiquement dans la tête l’un de l’autre.
L’arrivée officielle de Yoko Ono au cœur de l’univers de John finit d’envenimer les choses à la fin de 1968. Non seulement Yoko est désormais présente physiquement aux côtés de Lennon en permanence, mais elle participe parfois à des enregistrements (elle chante des chœurs dissonants sur The Continuing Story of Bungalow Bill ou émet des cris stridents sur Revolution 9). Pour Paul, c’est presque un sacrilège – jusque-là, le monde Lennon-McCartney était un club fermé à deux. Soudain, il a le sentiment que John ne lui appartient plus en quelque sorte, que leur duo est envahi par une tierce personne qui ne parle même pas le « langage Beatles ». McCartney tente de rester courtois avec Yoko, mais l’irritation perce dans quelques regards en coin. L’idylle créative Lennon-McCartney des premières heures se fracture sous le poids de ces évolutions. Dans le microcosme du studio d’Abbey Road, on ne voit plus aussi souvent John et Paul plaisanter ensemble comme avant. Ils travaillent souvent chacun de leur côté, communiquant par l’entremise de George Martin ou de leurs assistants quand un désaccord survient. Cette année 1968, bien que fertile musicalement, porte en elle les germes de la séparation à venir. On a parlé d’un « divorce affectif autant que musical » pour décrire ce qui est en train de se jouer : Lennon et McCartney, jadis si unis, commencent à vivre une sorte de séparation émotionnelle, tout en continuant par devoir à coexister dans le même groupe.
Le début de la fin (1969)
L’année 1969 débute sous le signe d’un projet censé ressouder le groupe, mais qui met en lumière les fractures internes : le projet Get Back, qui deviendra plus tard l’album Let It Be. L’idée de Paul est de revenir aux sources en répétant de nouveaux morceaux « en live » comme au bon vieux temps, puis de les jouer en public lors d’un grand concert filmé. John, passablement désabusé, se laisse entraîner sans conviction débordante. Durant le mois de janvier, les Beatles – Yoko incluse dans l’ombre de John – se retrouvent à répétition quotidiennement dans un studio de cinéma à Twickenham. Très vite, les vieilles complicités semblent lointaines. John et Paul communiquent poliment, parfois par sarcasmes interposés, mais la tension est palpable. Devant les caméras, on assiste même à une scène douloureuse : Paul, frustré que George n’arrive pas à jouer une partie de guitare comme il l’entend sur Two of Us, se montre condescendant, et Harrison, à bout, réplique sèchement « Je jouerai ce que tu veux que je joue, ou je ne jouerai pas du tout si ça te plaît, mais arrête de me dire ce que je dois faire. » Lennon reste silencieux lors de cette altercation entre Paul et George, mais le mal est fait : le 10 janvier 1969, George Harrison claque la porte des Beatles, lassé d’être ainsi relégué au second plan par le duo dominant. John et Paul se retrouvent alors face à une situation inédite – l’un des « quatre » a réellement quitté le navire, du moins temporairement.
Cet épisode provoque chez Lennon et McCartney une prise de conscience brutale. Quelques jours après le départ de George, John et Paul ont une franche discussion lors d’un déjeuner à la cantine, pensant être à l’abri des micros (sans savoir qu’un enregistreur caché capte leurs propos). Dans cet échange privé, les deux vieux amis se disent leurs vérités. Paul avoue à John qu’il se sent parfois seul à tirer le groupe en avant et qu’il aimerait plus d’implication et de feedback de sa part et de celle de George. Lennon, lui, surprend Paul en exprimant un regret qu’il gardait enfoui : « Mon seul regret concernant nos anciennes chansons, c’est que, par peur, je t’ai laissé les emmener dans une direction que je ne voulais pas. » John admet ainsi qu’il n’a pas osé à l’époque s’opposer à certaines idées de Paul qui ne lui convenaient pas, par inhibition ou pour éviter le conflit. Il enchaîne en exhortant McCartney à écouter davantage ses suggestions à l’avenir – et à l’inverse, de le laisser, lui John, rejeter librement les propositions de Paul quand elles ne lui plaisent pas. « À un moment, aucun de nous ne pouvait plus rien dire sur tes arrangements, parce que tu rejetais tout en bloc », reproche-t-il amicalement mais fermement à Paul durant cette conversation. Ces confidences révèlent l’ampleur de la frustration accumulée de part et d’autre. Lennon reconnaît s’être souvent effacé devant Paul, et McCartney prend conscience que son perfectionnisme a pu être vécu comme de l’entêtement tyrannique par ses partenaires. En filigrane, chacun admet que leur relation s’est déséquilibrée.
Malgré ces tensions mises à nu, John et Paul parviennent à garder le cap professionnellement. Après le retour de George Harrison (rassuré par la promesse qu’on ne l’empêchera plus de faire entendre ses compositions), les Beatles achèvent le projet Let It Be dans un climat un peu moins orageux, en se retranchant dans leur propre studio d’Apple Corps. Le 30 janvier 1969, ils réussissent même un dernier éclat de complicité scénique lors du fameux concert impromptu sur le toit de l’immeuble Apple à Londres. Sous un froid glacial, John et Paul se tiennent côte à côte, chantant en chœur comme au bon vieux temps sur Get Back ou Don’t Let Me Down. À plusieurs reprises, ils échangent des sourires entendus lorsque la police tente d’interrompre le spectacle. Ce jour-là, le lien unique entre les deux artistes est encore visible, presque intact le temps d’une demi-heure de rock’n’roll en plein air. Mais ce baroud d’honneur sera le chant du cygne des Beatles unis. En interne, la cassure reste profonde.
Au printemps 1969, un nouvel élément vient envenimer la relation Lennon-McCartney : le différend sur le management du groupe. Les Beatles, après la mort d’Epstein, ont besoin d’un nouveau manager pour redresser leurs affaires financières chaotiques. John (soutenu par George et Ringo) veut confier les rênes à Allen Klein, un impresario américain rusé qui a su le charmer. Paul, lui, se méfie de Klein et préférerait engager son beau-père Lee Eastman, avocat new-yorkais, ou du moins quelqu’un de confiance dans son orbite familiale. Ce désaccord vire à l’âpre conflit personnel entre John et Paul. Lennon considère que McCartney essaye d’imposer sa famille aux commandes pour servir ses propres intérêts, tandis que Paul voit dans l’enthousiasme de John pour Klein une trahison naïve pouvant mettre en péril leur héritage artistique et financier. Cette fois, il ne s’agit plus de musique ou d’ego créatif, mais d’argent et de contrôle – un cocktail explosif. La fracture est consommée lorsque, en mai 1969, malgré l’opposition de McCartney, les trois autres Beatles officialisent l’embauche de Allen Klein comme gestionnaire. Paul, furieux et se sentant mis à l’écart, cède à contrecœur. Cet épisode laisse des traces difficiles à effacer entre Lennon et McCartney : la confiance fraternelle de jadis est entamée, remplacée par la suspicion.
Malgré ces turbulences, John et Paul réussissent un ultime miracle musical ensemble à l’été 1969 avec l’album Abbey Road. Sachant probablement qu’il s’agit là de leur dernière œuvre commune, ils mettent de côté – provisoirement – leurs différends pour boucler ce disque dans la dignité. Les séances d’enregistrement de Abbey Road se déroulent dans une atmosphère plus sereine que celles, acrimonieuses, de Let It Be. Lennon et McCartney, sans redevenir les meilleurs amis du monde, coopèrent du mieux possible. On les voit encore plaisanter en studio pendant l’enregistrement des chœurs de Octopus’s Garden, ou travailler ensemble sur l’enchaînement des morceaux qui composeront la fameuse suite du medley final en face B. Le résultat, sorti en septembre 1969, est un album somptueux salué par la critique – un testament artistique qui bénéficie clairement de la collaboration de tous. Sur la chanson I Want You (She’s So Heavy), John apprécie que Paul propose une ligne de basse hypnotique magistrale qui porte le morceau. Sur le medley Golden Slumbers/Carry That Weight/The End, c’est Lennon qui, malgré ses réserves initiales, accepte de contribuer en y intégrant deux de ses compositions courtes (Mean Mr. Mustard et Polythene Pam) et en harmonisant sa voix avec celle de Paul une dernière fois. L’ultime morceau enregistré par les Beatles, justement intitulé The End, offre même un symbole émouvant : après un duel de solos de guitare où John et Paul se répondent (aux côtés de George) comme au bon vieux temps, McCartney conclut en chantant cette phrase définitive : « And in the end, the love you take is equal to the love you make » (« Et à la fin, l’amour que tu reçois est égal à l’amour que tu donnes »). Beaucoup y verront après coup un message sur l’histoire même des Beatles, et peut-être sur l’affection indéfectible liant John et Paul sous les débris des disputes.
Pourtant, derrière la façade de ce baroud d’honneur harmonieux, le cœur du duo est déjà ailleurs. Le 20 septembre 1969, lors d’une réunion de travail, John Lennon annonce froidement à ses trois comparses : « Je quitte le groupe. » Cette déclaration – qu’il qualifiera de « divorce » – tombe comme un couperet. McCartney, sous le choc, tente de retenir John en lui suggérant de ne pas prendre de décision hâtive ou au moins de garder la nouvelle secrète quelque temps. Lennon accepte de ne pas ébruiter son départ immédiat, en partie poussé par Allen Klein qui négocie encore des contrats au nom du groupe. Mais pour John, intérieurement, l’aventure Beatles est bel et bien terminée ce jour-là. Il se sent soulagé, libéré d’un poids : l’association Lennon-McCartney, qu’il juge maintenant étouffante et source de conflits incessants, ne le fait plus vibrer. Paul, lui, vit cette décision comme un drame personnel. En privé, il est abattu ; le groupe qu’il aime plus que tout est en train de s’effondrer, et avec lui la plus belle collaboration de sa vie.
Les derniers mois de 1969 sont étranges et tendus. Officiellement, rien n’est annoncé, mais chacun sait que plus rien ne sera comme avant. John, déjà absorbé par ses projets avec Yoko Ono (ils sortent le single Give Peace a Chance sous le nom Plastic Ono Band), ne communique presque plus avec Paul. McCartney, blessé d’être mis à l’écart, se réfugie dans sa ferme en Écosse avec sa nouvelle épouse Linda pour panser ses plaies et composer en solo. Le duo légendaire n’échange plus les idées ni les rires complices d’antan ; il échange à peine quelques paroles polies lors des formalités administratives.
La rupture officielle et ses séquelles (1970)
En avril 1970, la fracture entre Lennon et McCartney devient officielle et publique, marquant la fin d’une ère. Las d’attendre un impossible revirement et irrité par les manigances d’Allen Klein qui retardent la sortie de son album solo, Paul McCartney prend tout le monde de court : le 10 avril 1970, il diffuse à la presse un communiqué annonçant qu’il se « sépare des Beatles » et n’envisage pas de travailler de nouveau avec John. Le choc pour le public est immense. En une journée, le rêve des millions de fans s’écroule, et le tandem Lennon-McCartney entre dans la légende du passé. John Lennon, lorsqu’il apprend que Paul a rendu la nouvelle publique sans le consulter, entre dans une colère noire. Il fulmine de voir McCartney récolter la sympathie du public en passant pour celui qui « quitte » le groupe, alors que lui-même avait pris la décision en premier dans l’ombre. Cette rancœur va envenimer encore davantage leur relation dans les mois qui suivent.
Commence alors une période de tensions post-séparation particulièrement acerbes entre les deux ex-partenaire autrefois si proches. Sur le plan légal, Paul engage une action en justice fin 1970 pour dissoudre officiellement les liens contractuels des Beatles – essentiellement pour se libérer de la gestion de Klein. John, se sentant trahi, le vit comme un affront personnel. Les avocats se mêlent de ce qui était autrefois une affaire de cœurs et de musique entre deux amis. Par médias interposés, Lennon et McCartney se lancent aussi des piques venimeuses.
L’exemple le plus cuisant de cette guéguerre apparaît dans leurs chansons respectives. En 1971, John sort Imagine, sur lequel figure How Do You Sleep?, un morceau au vitriol directement adressé à Paul. Lennon y règle ses comptes sans détour, moquant le côté doucereux de son ancien partenaire et lui assénant des paroles cruelles : « The only thing you done was Yesterday, and since you’re gone you’re just another day » (« La seule chose que tu aies faite, c’est Yesterday, et depuis que tu es parti tu n’es plus qu’un Another Day »). La référence à Yesterday – la ballade mondialement célèbre de McCartney – et au single Another Day que Paul vient de publier en solo est cinglante. Entre les lignes, John accuse Paul d’être artistiquement fini sans lui. McCartney, blessé, répondra aussi en musique mais de façon plus subtile. Dans sa chanson Too Many People sortie la même année, il glisse une allusion à John : « You took your lucky break and broke it in two » (« Tu as pris ta chance inouïe et tu l’as brisée en deux »), critique voilée de la décision de Lennon de rompre les Beatles. Il fustige aussi « too many people preaching practices » (« tant de gens prêchant des pratiques ») – que beaucoup interprètent comme une moquerie de la tendance de John et Yoko à se poser en donneurs de leçons pacifistes. Loin des harmonies vocales d’antan, les deux songwriters communiquent désormais par chansons interposées, et c’est un échange amer.
Cette acrimonie s’étale aussi dans les interviews. Lennon, provocateur, déclare au fil de 1970-71 des phrases dures sur Paul (« Il a toujours voulu me diriger comme il dirigeait les autres Beatles », « Son dernier album c’est de la musique pour grand-mère » etc.). McCartney, généralement plus mesuré en public, laisse malgré tout filtrer sa peine et son agacement, décrivant John comme instable et manipulé par Yoko sur le plan des affaires. La presse se régale de ce feuilleton désolant où les deux ex-amis se renvoient des reproches à distance. Le mythe du duo soudé en prend un coup, et les fans assistent, impuissants, à la déchirure de leurs idoles autrefois unies comme les doigts de la main.
Avec le temps pourtant, la colère brute s’atténue. Vers le milieu des années 1970, Lennon et McCartney entament une lente réconciliation informelle. Affranchis de leurs obligations communes, ils connaissent des succès solo mais aussi des moments de doute qui les ramènent l’un vers l’autre sur le plan émotionnel. En 1974, alors que John traverse une brève séparation avec Yoko et vit une période de fête un peu folle à Los Angeles, Paul et lui se revoient amicalement à plusieurs reprises en Californie. Un soir de cette année-là, ils jament même ensemble sur quelques vieux rock’n’roll dans le studio d’un ami (même si aucune réunion musicale sérieuse n’en découle). Ce simple fait de rejouer côte à côte témoigne que l’affection profonde n’a jamais complètement disparu. « Nous étions comme des frères – et comme dans toute fratrie, il y a des périodes où l’on se fâche », dira plus tard McCartney pour relativiser ces années de querelles.
Hélas, le destin ne leur laissera pas l’occasion d’une véritable retrouvaille créative. Le 8 décembre 1980, John Lennon est assassiné à New York, à l’âge de 40 ans. La nouvelle plonge Paul dans un chagrin indescriptible. Malgré les rancœurs passées, il vient de perdre « son ami et partenaire de toujours », une moitié de lui-même avec qui il a grandi et changé le visage de la musique. Plus tard, McCartney confiera que l’un de ses grands regrets est de ne pas avoir pu dire explicitement à John, avant ce tragique soir de 1980, à quel point il l’aimait comme un frère. Au-delà des disputes, l’amour fraternel était resté, tapi sous les orages d’ego.
Avec le recul, l’histoire de John Lennon et Paul McCartney apparaît comme celle d’une relation unique au monde, faite de créativité fulgurante, d’admiration mutuelle, de jalousie parfois, de conflits intenses et de réconciliations manquées, mais surtout d’un lien humain d’une force rare. « Nous étions en quelque sorte comme un couple marié qui ne couchait pas ensemble », a un jour résumé Paul avec tendresse et lucidité. Deux adolescents de Liverpool réunis par le rock’n’roll qui, pendant une décennie magique, ne faisaient qu’un esprit et ont écrit à quatre mains parmi les plus belles chansons de leur siècle. Qu’ils aient été alliés ou rivaux, fâchés ou réconciliés, leur duo demeure le cœur battant de la légende des Beatles.
Aujourd’hui encore, la fascination persiste autour du mystère Lennon-McCartney. Comment deux personnalités si différentes ont-elles pu être si complémentaires ? Comment une amitié créative aussi puissante a-t-elle pu survivre à tant de pressions, avant de succomber aux forces centrifuges de la gloire ? Il n’existe sans doute pas de réponse simple. Ce qui reste, ce sont les chansons – des dizaines de morceaux signés en tandem, qui continuent de faire vibrer des générations entières. John Lennon et Paul McCartney ont prouvé que l’union de deux esprits pouvait engendrer un phénomène culturel planétaire, plus grand que la somme de ses parties. Leur histoire, faite de passion et de tumultes, d’amour fraternel et de rivalité, aura marqué à jamais la musique populaire. Et dans le sillage de leurs souvenirs partagés « plus longs que la route qui s’étend devant eux », elle laisse une empreinte indélébile : celle d’un duo légendaire, dont la complicité et les tensions ont façonné l’épopée des Beatles et l’imaginaire de millions de fans à travers le monde.