Lorsqu’on écoute « I Saw Her Standing There », on entend bien plus qu’un simple titre de rock’n’roll. On perçoit toute l’électricité d’un groupe au sommet de sa jeunesse, l’énergie brute de quatre musiciens avides de conquérir le monde, et surtout, l’étincelle qui allait déclencher une véritable révolution musicale. Premier morceau du premier album des Beatles, Please Please Me, ce titre composé par Paul McCartney et John Lennon est une bombe sonore, taillée pour les scènes et immortalisée en une seule journée dans les studios d’Abbey Road.
Retour sur l’histoire de ce morceau emblématique, depuis sa naissance dans un salon de Liverpool jusqu’à son impact durable sur la musique populaire.
Sommaire
- Une chanson née dans un salon de Liverpool
- Un enregistrement foudroyant à Abbey Road
- Un classique instantané aux États-Unis
- Un morceau taillé pour la scène et la radio
- Un héritage rock indélébile
Une chanson née dans un salon de Liverpool
L’histoire de « I Saw Her Standing There » commence en septembre 1962, dans la maison de Paul McCartney, au 20 Forthlin Road, Allerton. C’est dans ce salon que Paul et John, assis sur un canapé, guitare en main, construisent ensemble l’ossature de ce qui deviendra l’un des morceaux les plus énergiques de leur répertoire.
« Je l’ai écrite avec John dans le salon de ma maison. Nous avons séché les cours et nous avons travaillé dessus à la guitare et un peu au piano. » (Paul McCartney, The Complete Beatles Recording Sessions, Mark Lewisohn).
Paul avait commencé à esquisser la chanson en revenant d’un concert à Southport, puis il l’a finalisée avec John lors de cette session d’écriture. Ce procédé de collaboration entre les deux artistes est typique de leur dynamique créative :
« Parfois, nous commencions une chanson de zéro, mais l’un de nous avait presque toujours une idée de départ, un titre ou un petit quelque chose en tête, et nous la développions ensemble. ‘I Saw Her Standing There’ était mon idée. J’avais le premier couplet, ce qui me donnait la mélodie, le tempo et la tonalité. Ensuite, il fallait compléter… C’était une coécriture, mon idée, et nous l’avons terminée ce jour-là. » (Paul McCartney, Many Years From Now, Barry Miles).
Le texte de la chanson est rédigé dans un cahier d’exercices de l’Institut de Liverpool, et une photographie capturée par Mike McCartney, le frère de Paul, montre les deux jeunes hommes en train de peaufiner les paroles, carnet en main et guitares en bandoulière.
Une modification cruciale du texte témoigne du perfectionnisme du duo. La phrase d’origine était :
« She was just seventeen, she’d never been a beauty queen. »
Mais Lennon la juge trop mièvre. Ils réfléchissent à une alternative et trouvent une ligne bien plus suggestive :
« She was just seventeen, you know what I mean. »
« Nous étions en train d’apprendre notre métier. John aimait certaines de mes phrases, mais pas toutes. Il aimait la plupart de ce que je faisais, mais il arrivait qu’il y ait une ligne qui le fasse grimacer, comme ‘She was just seventeen, she’d never been a beauty queen’. John s’est exclamé : ‘Beauty queen ? Beurk.’ Nous pensions aux concours de beauté de Butlin’s et nous nous sommes demandés ce que nous devrions écrire à la place. Nous avons trouvé ‘You know what I mean’. C’était parfait, car en réalité, on ne sait pas ce que je veux dire. » (Paul McCartney, Anthology).
Un enregistrement foudroyant à Abbey Road
Le 11 février 1963, les Beatles entrent en studio pour enregistrer l’essentiel de leur premier album en une seule journée. Parmi les morceaux capturés dans l’urgence figure « I Saw Her Standing There », alors intitulé « Seventeen ».
Le groupe enregistre neuf prises en matinée, mais seules trois sont complètes. Finalement, c’est la première prise qui est retenue. Dans l’après-midi, les Beatles ajoutent des clappements de mains pour accentuer l’énergie du morceau.
George Martin, en véritable magicien du studio, prend la décision d’ajouter le fameux compte à rebours de Paul – « One, two, three, FOUR! » – mais en utilisant celui de la prise 9, plus percutant. Ce détail, qui pourrait sembler anodin, devient l’un des moments les plus iconiques de l’histoire du rock.
John Lennon, lui, relativise sa contribution à la chanson, expliquant qu’il a surtout aidé Paul à peaufiner quelques paroles :
« C’est Paul qui a fait son travail habituel, ce que George Martin appelait un ‘potboiler’ (un morceau énergique et commercial). Moi, je l’ai seulement aidé sur quelques paroles. » (John Lennon, All We Are Saying, David Sheff).
Quant à la ligne de basse sautillante de McCartney, elle est directement inspirée de Chuck Berry et de son morceau « I’m Talking About You », que les Beatles reprennent d’ailleurs à la BBC.
« J’ai joué exactement les mêmes notes que lui, et ça collait parfaitement à notre morceau. Même aujourd’hui, quand j’en parle, peu de gens me croient. C’est pourquoi je pense qu’un riff de basse n’a pas besoin d’être original. » (Paul McCartney, Many Years From Now, Barry Miles).
Un classique instantané aux États-Unis
Alors que « I Saw Her Standing There » ouvre l’album Please Please Me au Royaume-Uni, il est lancé différemment aux États-Unis.
Le 26 décembre 1963, alors que la Beatlemania commence à s’installer outre-Atlantique, le titre devient la face B de « I Want To Hold Your Hand ». Ce choix stratégique expose le public américain à la puissance scénique du groupe, contrastant avec la ballade plus douce de la face A.
Résultat : le 45 tours se vend à plus d’un million d’exemplaires, propulsant les Beatles au sommet des charts américains. Dès janvier 1964, la Beatlemania explose définitivement.
Un morceau taillé pour la scène et la radio
Dès ses premières interprétations live, « I Saw Her Standing There » s’impose comme un moment clé des concerts des Beatles. Paul McCartney, porté par une section rythmique déchaînée, mène la danse avec un chant survolté.
Les Beatles enregistrent le morceau 11 fois pour la BBC, preuve de son importance dans leur répertoire. Deux de ces versions live seront publiées officiellement :
- Live At The BBC (1994) : version enregistrée le 16 octobre 1963 pour Easy Beat.
- On Air – Live At The BBC Volume 2 (2013) : captée le 7 septembre 1963 pour Saturday Club.
Parmi les versions live les plus marquantes, on trouve aussi celle enregistrée le 24 octobre 1963 en Suède, publiée sur Anthology 1 (1995).
Un héritage rock indélébile
Avec « I Saw Her Standing There », les Beatles livrent une leçon magistrale de rock’n’roll. En capturant l’énergie brute de leurs concerts et en injectant une dose de fraîcheur irrésistible, ils signent l’un des hymnes fondateurs du rock britannique.
Plus de 60 ans après, ce morceau reste un modèle de spontanéité et d’efficacité, souvent repris et toujours acclamé. Dès leur premier album, les Beatles imposent leur signature sonore : une combinaison explosive de jeunesse, d’insolence et de talent.
Et ce n’était que le début…