Sommaire
- Une Face B d’Exception
- Une Expérimentation Sonore Audacieuse
- Une Écriture et une Atmosphère Psychedélique
- Une Performance Rythmique Magistrale
- Une Promotion Visionnaire et l’Avènement des Clips Vidéo
- Un Héritage Durable
Une Face B d’Exception
Sorti en 1966 en tant que face B du single « Paperback Writer », « Rain » s’est imposé comme l’une des plus grandes réussites cachées des Beatles. Bien que souvent éclipsée par les immenses succès du groupe, cette chanson est considérée par de nombreux fans et critiques comme une véritable perle, démontrant l’audace sonore et les expérimentations qui allaient marquer l’ère « Revolver » et « Sgt. Pepper’s ».
Loin d’être un simple complément au single principal, « Rain » offre une richesse musicale et une avancée technique qui témoignent de l’évolution créative du groupe. Elle incarne à la perfection la transition psychédélique amorcée par les Fab Four, entre explorations sonores et influences marquées par l’usage de substances hallucinogènes.
Une Expérimentation Sonore Audacieuse
Enregistrée les 14 et 16 avril 1966 aux studios Abbey Road sous la houlette du producteur George Martin et de l’ingénieur du son Geoff Emerick, « Rain » marque un tournant dans la manière dont les Beatles abordaient l’enregistrement en studio. L’un des aspects les plus remarquables de cette session est l’utilisation innovante de la vitesse d’enregistrement : la piste rythmique a été enregistrée à une vitesse plus rapide, avant d’être ralentie pour donner au morceau une atmosphère plus lourde et hypnotique.
Ce procédé avait déjà été expérimenté par le groupe lors de l’enregistrement de « Tomorrow Never Knows », mais « Rain » l’utilise d’une manière encore plus poussée. L’effet final confère à la chanson une profondeur sonore inédite à l’époque, renforçant le groove du morceau et mettant en avant la ligne de basse puissante de Paul McCartney et les frappes iconiques de Ringo Starr. Ce dernier, d’ailleurs, a souvent cité « Rain » comme l’un de ses moments préférés derrière la batterie.
Une Écriture et une Atmosphère Psychedélique
Bien que créditée au duo Lennon-McCartney, « Rain » est avant tout une composition de John Lennon, portée par une vision singulière et introspective. Le morceau joue avec les contrastes : le texte évoque la pluie et le beau temps comme de simples états d’esprit, une manière de signifier que la perception du monde dépend du regard que l’on porte sur lui.
Dans la lignée de « I’m Only Sleeping », « Rain » reflète l’influence croissante du LSD sur les compositions de Lennon, avec une thématique de détachement et une approche quasi mystique du quotidien. Paul McCartney a expliqué que l’idée centrale de la chanson était de renverser la vision traditionnelle de la pluie en tant qu’élément négatif : « Il n’y a rien de plus agréable que de sentir la pluie couler dans son dos », dira-t-il dans « Many Years From Now ».
Mais l’élément le plus fascinant du morceau reste sans doute l’utilisation du chant inversé. John Lennon, en pleine expérience psychédélique, aurait découvert cet effet par accident en écoutant une bande passée à l’envers. Fasciné par le rendu, il convainquit George Martin et l’ingénieur du son Geoff Emerick d’intégrer cette technique à « Rain ». Ainsi, à la fin du morceau, on entend la voix de Lennon jouer à l’envers, inaugurant un procédé qui sera repris sur « Tomorrow Never Knows » et plus tard sur « Strawberry Fields Forever ».
Une Performance Rythmique Magistrale
Si « Rain » est souvent saluée pour son audace sonore, la performance de Ringo Starr y est tout aussi remarquable. Son jeu de batterie est l’un des plus sophistiqués et puissants de toute sa carrière avec les Beatles. Il utilise notamment une technique inhabituelle consistant à commencer un break par la charleston au lieu de la caisse claire, ce qui apporte une fluidité et une dynamique particulière au morceau.
Dans plusieurs interviews, Ringo Starr s’est montré particulièrement fier de sa prestation sur « Rain », expliquant qu’il avait eu l’impression d’être « possédé » en jouant. Le résultat est une rythmique lourde, presque hypnotique, qui contribue à l’atmosphère envoûtante du morceau.
Une Promotion Visionnaire et l’Avènement des Clips Vidéo
Avec « Rain » et « Paperback Writer », les Beatles ont également innové dans leur manière de promouvoir leurs singles. Plutôt que de se produire en direct sur les plateaux de télévision, ils ont choisi de tourner plusieurs clips promotionnels, préfigurant l’ère des vidéoclips et, selon George Harrison, l’avènement de MTV.
Le 19 mai 1966, dans les studios Abbey Road, puis le 20 mai à Chiswick House à Londres, le groupe tourne plusieurs séquences destinées à être diffusées à la télévision, notamment aux États-Unis dans « The Ed Sullivan Show » et au Royaume-Uni dans « Ready, Steady, Go! ». Ces clips, réalisés par Michael Lindsay-Hogg, montrent les Beatles dans un environnement naturel, décontractés, loin de l’effervescence des concerts. Ils marquent une nouvelle façon d’approcher la promotion musicale, qui sera reprise et perfectionnée par d’innombrables artistes par la suite.
Un Héritage Durable
Si « Rain » n’a jamais bénéficié du statut de tube planétaire, elle reste une pièce maîtresse du répertoire des Beatles, admirée pour ses innovations techniques et son atmosphère unique. Son influence peut être ressentie chez de nombreux artistes psychédéliques et alternatifs, de Tame Impala à Radiohead, qui ont exploré à leur tour les possibilités offertes par le studio comme un véritable instrument de création.
Avec « Rain », les Beatles ne se contentaient plus d’écrire des chansons pop accrocheuses : ils repoussaient les limites du son, expérimentaient sans relâche et ouvraient la voie aux révolutions musicales à venir. Plus de cinquante ans après sa sortie, le morceau conserve toute sa puissance évocatrice et continue d’inspirer musiciens et auditeurs à travers le monde.