« Drumming Is My Madness » : quand Ringo Starr fait parler la batterie

Publié le 21 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1981, Ringo Starr publie « Drumming Is My Madness » sur l’album Stop and Smell the Roses. Écrit par Harry Nilsson et enregistré avec Jim Keltner, le morceau met en avant la batterie comme moteur discret mais essentiel, reflet du style singulier de Ringo : groove stable, tempo naturel, fills sobres et humour en filigrane. Plus qu’une face B de « Wrack My Brain », la chanson devient une profession de foi : la folie de Ringo est rythmique, toujours au service de la chanson. Un manifeste modeste mais durable, célébré par les fans de son jeu unique.


Lorsqu’on lui demande, des années après la fin des Beatles, quel titre de sa carrière en solo illustre le mieux son jeu de batterie, Ringo Starr cite sans hésiter « Drumming Is My Madness ». La formule n’a rien d’un slogan vide : c’est l’un des rares morceaux où l’ex‑Beatle place au premier plan ce qui a toujours fait sa singularité — le groove qui sert la chanson, la pulse qui respire, l’art de ne jamais encombrer. Le titre apparaît en 1981 sur l’album « Stop and Smell the Roses », troisième piste d’un disque où Harry Nilsson, George Harrison, Paul McCartney, Ronnie Wood ou Stephen Stills viennent prêter plume, production ou instruments. Et s’il ne s’agira jamais d’un « hit » à la manière des années 1960, « Drumming Is My Madness » concentre en trois minutes et demie tout ce que Starr aime revendiquer : la batterie comme moteur discret, la joie d’un studio qui joue « entre amis », et ce sens du tempo qu’il dit tenir du battement du cœur.

Sommaire

  • 1981 : un contexte très précis dans la trajectoire de Ringo
  • Une chanson écrite par Harry Nilsson, pensée pour Ringo
  • Un binôme aux baguettes : Starr et Keltner, la complicité en studio
  • Un arrangement épais mais lisible
  • Le rôle de Van Dyke Parks, l’ami des textures
  • Enregistrement et calendrier : une séquence compacte
  • Ce que raconte la chanson du Ringo batteur
  • Une voix à son meilleur endroit
  • Une philosophie de batteur : servir la chanson
  • Le texte : une auto‑dérision qui cadre le propos
  • Une équipe de vétérans pour un son « Los Angeles »
  • Une place stratégique sur l’album
  • Face B, mais pas second rôle
  • Ce qu’en dit Ringo : le rythme comme battement du cœur
  • Réception et relectures critiques
  • Pourquoi cette « folie » importe encore aujourd’hui
  • Un mot sur les comparaisons… et leur limite
  • Ce que l’on entend en tendant l’oreille
  • Héritage et postérité dans l’œuvre solo
  • Une « folie » très raisonnable

1981 : un contexte très précis dans la trajectoire de Ringo

« Stop and Smell the Roses » paraît à l’automne 1981, trois ans après « Bad Boy » et quatre après « Ringo the 4th », deux albums mal reçus. Entre‑temps, John Lennon a été assassiné, laissant en suspens la perspective d’une participation aux sessions. Ringo se relance en sollicitant ses alliés historiques : George Harrison lui offre « Wrack My Brain » (qui deviendra le single), Paul McCartney amène « Private Property » et « Attention », Harry Nilsson apporte la chanson‑titre « Stop and Take the Time to Smell the Roses » et surtout « Drumming Is My Madness ». L’ensemble donne un disque mosaïque, où chaque collaborateur imprime sa couleur, et où Starr retrouve un cadre propice à réaffirmer une identité musicale parfois caricaturée.

Dans ce décor, « Drumming Is My Madness » remplit un rôle précis : dire au public que derrière le chanteur affable se tient un batteur au toucher unique. Le morceau est écrit par Harry Nilsson et produit par ce dernier, avec l’appui de l’ingénieur Rick Riccio. Il est enregistré à la fin de 1980 et finalisé au début de 1981, dans le même faisceau de sessions qui voient renaître l’appétit de jouer de Ringo après des années en demi‑teinte.

Une chanson écrite par Harry Nilsson, pensée pour Ringo

Harry Nilsson connaît Ringo depuis le début des années 1970. Ils ont partagé des nuits de studios, des éclats de rire et des excès — l’amitié musicale s’est bâtie au long cours. Avec « Drumming Is My Madness », Nilsson imagine un hymne bon enfant au plaisir de frapper les fûts : un texte à la première personne qui assume la dimension presque compulsive de la pratique (« la batterie est ma folie »), sans se départir de l’ironie tendre qu’on lui connaît. L’écriture épouse la personnalité publique de Starr : pas d’emphase inutile, des images simples, un humour à hauteur d’homme.

Musicalement, la pièce est cadrée comme un mid‑tempo à l’assise large : un riff syncopé, un shuffle discret dans la grande caisse, une basse qui pose des repères nets, et des cuivres qui colorent sans étouffer. Nilsson place la voix de Ringo au centre, légèrement doublée par endroits, en laissant une fenêtre généreuse au travail de batterie.

Un binôme aux baguettes : Starr et Keltner, la complicité en studio

La signature sonore du titre vient aussi de la présence d’un autre batteur : Jim Keltner. Figure majeure des sessions LA depuis la fin des sixties, Keltner a souvent croisé la route des ex‑Beatles — de George Harrison à John Lennon — et compte parmi les partenaires les plus compatibles de Starr. Sur « Drumming Is My Madness », les deux batteries cohabitent et se répondent : Ringo assure la colonne vertébrale, le placement, l’élan ; Keltner ajoute des contre‑temps, des ghost notes, quelques roulements qui épaississent la texture.

À l’écoute, on distingue cette mécanique à quatre mains : les charlestons ne claquent jamais en même temps, les cymbales ride se partagent les mesures, les accents de caisse claire varient d’un couplet à l’autre. Cette écriture à deux évoque ce que Starr a souvent décrit comme l’équilibre recherché chez un batteur : tenir la chanson sans la verrouiller. Le résultat ne ressemble pas à une démonstration de virtuosité ; c’est une leçon de cohésion.

Un arrangement épais mais lisible

Autour du noyau rythmique, l’équipe rassemblée par Nilsson aligne des guitares (avec Dennis Budimir, Ritchie Zito, Fred Tackett), un piano (Jane Getz), une basse au son ferme (Dennis Belfield), et une section de cuivres qui fait beaucoup pour le relief du morceau : Jerry Jumonville au sax ténor, Jim Gordon au sax baryton, Bruce Paulson au trombone, Lee Thornburg à la trompette. On y entend aussi des percussions additionnelles (Joe Lala) et, détail étonnant, des touches de flûte par Rick Riccio, l’ingénieur du son.

L’arrangement a été pensé pour rester lisible : la guitare tient des appuis en contre‑temps, les cuivres interviennent en stabs précis, les fill‑ins de batterie restent brefs et signifiants. On retrouve la philosophie Starr : réduire le superflu, laisser la pulsation et la mélodie respirer. Le mixage privilégie un centre solide — basse et caisse claire — et une stéréo douce, sans effets datés. Le tout donne une matière chaleureuse qui n’écrase jamais la voix.

Le rôle de Van Dyke Parks, l’ami des textures

Plusieurs pressages et crédits détaillés de « Stop and Smell the Roses » attribuent la mise en forme d’« Drumming Is My Madness » à Van Dyke Parks pour l’arrangement. Le compositeur‑arrangeur, connu pour ses architectures harmoniques luxuriantes, intervient ici avec retenue : il organise le dialogue entre cuivres et guitares, épaissit certains refrains par des voicings serrés, et cale les ponts instrumentaux pour ne jamais faire dévier le morceau du cœur rythmique. Ce choix d’un arrangement très écrit, mais économe en effets, explique en partie pourquoi la batterie reste l’élément narratif majeur sans avoir besoin d’être bruyante.

Enregistrement et calendrier : une séquence compacte

Les sessions qui mènent à la version définitive s’étalent sur la fin de 1980 et les premières semaines de 1981. Harry Nilsson dirige la prise de son, Rick Riccio se charge de l’ingénierie, et l’on comprend, à lire les témoignages des participants, qu’il règne au studio une ambiance mêlant travail et camaraderie. La chanson est assumée comme un plaisir, un clin d’œil : on célèbre la batterie, on en joue à deux, on sourit au texte qui fait rimer la folie avec la discipline du tempo.

La sortie de l’album « Stop and Smell the Roses » est fixée au 27 octobre 1981 aux États‑Unis. Le single « Wrack My Brain », écrit et produit par George Harrison, paraît le même jour avec « Drumming Is My Madness » en face B. Le 45‑tours atteindra la 38e place du Billboard Hot 100, dernier passage de Ringo dans le Top 40 américain.

Ce que raconte la chanson du Ringo batteur

Pour Ringo Starr, « Drumming Is My Madness » est plus qu’une plaisanterie bien tournée. Il y entend un miroir de sa philosophie : « je joue pour la chanson », répète‑t‑il depuis toujours. Cette éthique se reconnaît dans plusieurs traits qui traversent le morceau : le charleston à peine ouvert qui frise ; la caisse claire posée en arrière du temps, créant un rebond confortable ; les fills courts et mélodiques qui annoncent les entrées de voix ou de cuivres. Rien n’est gratuit, rien n’éblouit pour impressionner ; tout organise la respiration générale.

Ce positionnement n’empêche pas le panache. Lors du pont, on entend Starr et Keltner se répondre, l’un dominant la pulsation, l’autre tressant de petites syncope sur les toms. Le propos de Nilsson — célébrer la batterie — trouve ainsi sa forme musicale : on entend la folie revendiquée, mais encadrée par une forme qui ne déraille jamais.

Une voix à son meilleur endroit

On réduit souvent Ringo à un timbre sympathique mais limité. « Drumming Is My Madness » rappelle qu’il sait placer sa voix. La mélodie reste dans une tessiture médiane, le grain légèrement voilé se marie aux cuivres, et quelques doublages lui donnent du corps sans surjouer l’effet. Le texte n’exige pas une démonstration ; il réclame de la présence et un sourire en coin, que Starr délivre avec son aplomb habituel.

Une philosophie de batteur : servir la chanson

Si Ringo Starr irrite parfois les tenants du technicisme, c’est qu’il se tient hors des compétitions de vitesse. Son jeu est celui d’un gaucher installé derrière un kit droitier, avec des voies de passage atypiques. Il privilégie l’assiette à la cascade, la cohérence à la performance. « Drumming Is My Madness » en est la démonstration en creux : tout y est dessiné pour que la pulsation raconte l’histoire, que les chœurs puissent flotter, que les cuivres puissent percer. Le batteur y est fondation, architecte du silence autant que du son.

Cette esthétique s’entend chez les Beatles : de « Ticket to Ride » à « Rain », de « Come Together » à « Something », Starr prouve que l’on peut signer un morceau par sa seule géométrie. En solo, il garde ce cap ; même quand il s’offre un titre « sur la batterie », il n’en fait pas un exercice d’ego.

Le texte : une auto‑dérision qui cadre le propos

Dans « Drumming Is My Madness », on entend l’humour de Nilsson et la distance de Ringo. La folie revendiquée n’a rien de tragique : elle signifie une obsession joyeuse, l’addiction au rythme. La simplicité des formules permet de garder la musique au premier plan. Cette légèreté n’empêche pas la justesse : le morceau dit, en clair, ce que Ringo répète depuis toujours — la batterie n’est pas un sport, c’est un métier d’assemblage au service d’une chanson.

Une équipe de vétérans pour un son « Los Angeles »

La liste des musiciens mobilisés explique la texture du morceau. Dennis Budimir, Ritchie Zito et Fred Tackett apportent chacun un grain de guitare différent : l’un plus ligne claire, l’autre plus tranchant, le troisième avec un grain légèrement country‑rock. Jane Getz articule le piano sur le backbeat, Dennis Belfield plante des appuis de basse très nets. La section de cuivres, qu’on retrouvera sur d’autres titres de l’album, dessine des réponses à la voix sans jamais la recouvrir. Le résultat est typiquement californien début eighties : chaud, serré, propre sans être aseptisé.

Une place stratégique sur l’album

Placée en troisième position sur « Stop and Smell the Roses », la chanson arrive juste après la face brillante de ses invités vedettes : George Harrison ouvre la marche en auteur‑producteur du single « Wrack My Brain », Paul McCartney s’exprime sur « Private Property ». L’entrée de « Drumming Is My Madness » recentre l’écoute sur Ringo : on retrouve son toucher, son sens de l’équilibre, sa bonhomie chantée. L’effet est habile : après deux titres où l’on reconnaît la patte d’anciens Beatles partenaires, on entend Starr « pour lui‑même ».

Face B, mais pas second rôle

Sur le marché des 45‑tours, « Drumming Is My Madness » paraît en face B de « Wrack My Brain ». Ce choix traduit une stratégie réaliste : la chanson de Harrison coche les cases du single radio, quand « Drumming… » joue davantage le rôle de carte de visite esthétique. Le public découvre ainsi, derrière le refrain entêtant du A‑side, une déclaration d’amour à la batterie qui, sans bouleverser les classements, marque la mémoire des amateurs de rythme.

Ce qu’en dit Ringo : le rythme comme battement du cœur

Interrogé sur ses titres favoris « de batteur » dans sa carrière solo, Ringo Starr cite de nouveau « Drumming Is My Madness », en insistant sur le plaisir de l’avoir gravé avec Harry Nilsson et Jim Keltner. Il y ajoute une notion qui lui est chère : le tempo naturel comme extension du cœur. La formule, loin d’être esotérique, renvoie à la pratique même du musicien : il mise sur une stabilité organique, un time interne qui n’a pas besoin d’être calé à la machine pour être fiable. Sur « Drumming… », cette assurance s’entend dans la façon dont la batterie ne presse jamais et ne traîne pas non plus ; elle porte.

Réception et relectures critiques

À sa sortie, « Stop and Smell the Roses » ne redonne pas à Ringo la fortune commerciale de ses meilleurs jours solo (« Ringo » en 1973, « Goodnight Vienna » en 1974). Mais le disque, souvent réévalué depuis, apparaît comme une charnière : celle d’un musicien qui, après une période compliquée, recompose un entourage, se réconcilie avec le studio et réaffirme sa fonction : tenir un groupe. Dans cette lecture, « Drumming Is My Madness » fait figure de profession de foimodeste, efficace, fidèle à ce que Ringo a toujours défendu.

Au fil des années, la chanson réapparaît régulièrement dans les entretiens du batteur comme un repère de son jeu. Elle n’est pas devenue un standard de ses tournées — les All‑Starr Band privilégient les titres à large reconnaissance —, mais elle reste citée comme exemple quand il s’agit d’illustrer ce que Starr entend par « jouer pour la chanson ».

Pourquoi cette « folie » importe encore aujourd’hui

En 2025, à l’heure où l’on redécouvre les archives Beatles et où la culture du remix fait surgir des détails enfouis, « Drumming Is My Madness » rappelle une évidence : la batterie n’a pas besoin de pyrotechnie pour raconter. Dans un catalogue où l’on célèbre à juste titre l’ingéniosité harmonique de McCartney et la fibre poétique de Lennon, Ringo incarne la science de la forme. Ici, il emporte la pièce par la seule tenue du temps, épaulé par un compagnonKeltner — qui comprend le langage commun des batteurs : laisser la chanson parler.

On comprend, dès lors, pourquoi Starr aime tant ce titre‑là. Il condense une vie de musiciens : des clubs de Hambourg aux studios californiens, des sessions Beatles aux albums en solo, la même ligne directrice — la musique d’abord, l’ego ensuite. Et si la batterie est sa « folie », c’est une folie domptée par l’écoute, l’économie et le goût du collectif.

Un mot sur les comparaisons… et leur limite

Comparer « Drumming Is My Madness » à des « morceaux de batteur » plus spectaculaires — ceux de Ginger Baker, Keith Moon ou John Bonham — n’a guère de sens. Ringo ne joue pas cette partie‑là. Son territoire, c’est le placement. Dans le morceau, le deux et le quatre (la caisse claire) tracent une autoroute pour les cuivres et la voix. Les micro‑décalages entre les deux kits créent un balancement qui donne l’illusion d’une section vivante — à l’opposé des séquences rigides qui s’imposeront dans la décennie. C’est en cela que le morceau vieillit bien : il reste organique.

Ce que l’on entend en tendant l’oreille

Quelques détails valent l’écoute au casque. Le charleston n’est pas uniformément ouvert : son souffle varie de couplet en refrain, accentuant le relâchement de la voix. La caisse claire est tendue sans être claquante, avec une queue courte qui libère l’espace pour les vents. Les toms de Keltner interviennent en réponse aux chœurs, comme un contre‑chant rythmique. Le piano de Jane Getz est économe, souvent réduit à des octaves et des appuis de main gauche qui densifient la basse. Ces choix cumulés expliquent pourquoi, même avec une orchestration fournie, le morceau paraît aéré.

Héritage et postérité dans l’œuvre solo

Dans la discographie de Ringo Starr, « Drumming Is My Madness » occupe une niche claire. Il n’a pas la notoriété de « Photograph » ou de « It Don’t Come Easy », n’a pas non plus la charge affective de « I’m the Greatest ». Mais il demeure l’un des titres manifestes de son jeu. À ce titre, il rejoint des pièces comme « King of Broken Hearts » ou « Never Without You » où la batterie dit autre chose que la simple mesure. Il raconte un rapport au rythme qui aura fait école chez des batteurs pour qui la sobriété constitue un horizon plus exigeant qu’il n’y paraît.

Une « folie » très raisonnable

« Drumming Is My Madness » n’a jamais eu besoin d’un palmarès pour compter. Dans l’itinéraire de Ringo Starr, il fait office de note d’intentionla batterie au service de la chanson, la joie d’un studio peuplé d’amis, la recherche d’un time qui tient tout. Si Ringo l’aime, c’est qu’il s’entend dedans : on y entend l’enfant des clubs de Liverpool, le professionnel des studios californiens, l’aîné qui, au fil des décennies, n’a jamais cessé de privilégier ce qui fait une bonne chanson. Son cœur donne la mesure ; la folie, elle, reste musicale — et c’est très bien ainsi.