Les lunettes de John Lennon aux enchères : relique du lost weekend

Publié le 26 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Les célèbres lunettes rondes de John Lennon portées lors de son “lost weekend” seront mises aux enchères à Londres les 23 et 24 octobre 2025. Associées à une soirée légendaire au Troubadour avec Harry Nilsson, elles symbolisent une période à la fois chaotique et créative de la vie de Lennon. Estimées entre 200 000 et 400 000 dollars, elles rejoignent un marché très actif autour des reliques Beatles. Plus qu’un accessoire, elles incarnent un moment précis de l’histoire pop, mêlant excès, création et mémoire.


Le 26 septembre 2025, la maison Propstore a confirmé que les célèbres lunettes rondes de John Lennon, associées à son “lost weekend” (1973-1975, et non 1875), figurent au catalogue de sa Music Memorabilia Live Auction organisée à Londres les 23 et 24 octobre 2025. Estimées entre 200 000 et 400 000 dollars environ, ces montures à verres teintés – lunettes de vue, à l’armature métallique minimaliste – condensent l’une des périodes les plus commentées de la vie du musicien : dix-huit mois de dérive, d’excès, mais aussi de créativité accélérée, vécus loin de Yoko Ono et au plus près d’un petit cercle d’amis, au premier rang desquels le chanteur Harry Nilsson.

L’annonce a immédiatement fait grimper la température chez les collectionneurs. Elle arrive dans un marché où les objets personnels liés aux Beatles – et à Lennon en particulier – atteignent des sommets réguliers. Au-delà de la valeur marchande, la pièce intrigue parce qu’elle fige une image : le Lennon de Los Angeles, traits tirés, humour acide, verres fumés, qui enchaîne studios, fêtes et frasques avec une même intensité.

Sommaire

  • Un lot vedette d’une vente très médiatisée
  • Une provenance liée à une soirée devenue légendaire
  • Qu’était vraiment le “lost weekend” ?
  • Pourquoi ces lunettes comptent pour l’histoire des Beatles
  • Un marché bouillonnant pour les reliques lennoniennes
  • De Los Angeles à New York : trajectoire d’un regard
  • D’autres pièces phares au catalogue : un écosystème de la mémoire
  • Comment se déroule une vente de ce type ?
  • Les lunettes dans l’iconographie lennonienne : d’un mythe à l’autre
  • Un contrechamp : du scandale au travail
  • L’effet d’entraînement des enchères sur la mémoire collective
  • Au-delà de l’enchère : que “raconte” un objet pareil dans une exposition ?
  • Une actualité Beatles qui reste chargée
  • Ce que l’on peut raisonnablement attendre le jour J
  • L’essentiel, au fond

Un lot vedette d’une vente très médiatisée

La vente Propstore s’est imposée ces dernières années comme un rendez-vous clé pour les amateurs de pop culture. L’édition d’automne 2025 ne déroge pas à la règle : aux côtés des lunettes de Lennon, on trouve notamment des paroles manuscrites de Jimi Hendrix pour “Straight Ahead”, ainsi que le fameux chapeau blanc porté par Michael Jackson dans le clip de “Smooth Criminal”. L’ensemble s’inscrit dans une scénographie mêlant raretés, pièces iconiques et curiosités très ciblées.

Dans ce contexte, les lunettes de Lennon font figure de pièce narrative par excellence. Elles ne sont pas un costume de scène ni un instrument ; elles appartiennent à la sphère de l’intime, du quotidien. Leur teinte caractéristique, leur monture ronde dépouillée renvoient immédiatement à une silhouette, un regard, une époque. Pour un musée, une fondation ou un collectionneur privé, acquérir ce type d’objet, c’est investir dans une icône portable : une relique discrète mais immédiatement lisible, facilement exposable et chargée d’une forte valeur documentaire.

Une provenance liée à une soirée devenue légendaire

Selon la description du lot, John Lennon portait précisément ces lunettes le 12 mars 1974, lors d’une soirée au Troubadour, à Los Angeles, au cours de laquelle Lennon et Harry Nilsson – très alcoolisés – perturbèrent le spectacle des Smothers Brothers. La situation dégénéra ; le duo fut expulsé de la salle, et la mêlée aurait vu la femme de Tommy Smothers s’emparer des lunettes au milieu des coups et bousculades. L’épisode du Troubadour, maintes fois raconté, concentre la démesure et la vulnérabilité du “lost weekend” : autocombustion, humour bravache, regrets du lendemain.

Les photos de la soirée, l’aura du club, les témoignages croisés ont nourri la légende. Ici, la valeur de l’objet tient aussi à la documentation : on peut rapprocher les images, la datation, les détails matériels (teinte des verres, forme de pont, branches) pour ancrer la pièce dans un récit vérifiable. À la différence d’une guitare ou d’un blouson, souvent vus et rephotographiés, une paire de lunettes peut passer inaperçue. Lorsqu’elle refait surface avec un storytelling aussi précis, l’intérêt grimpe mécaniquement.

Qu’était vraiment le “lost weekend” ?

Le “lost weekend” – l’expression vient du film de Billy Wilder (1945) – désigne la période mi-1973 à début 1975 durant laquelle Lennon, séparé de Yoko Ono, vit d’abord à Los Angeles puis à New York en compagnie de son assistante et compagne, May Pang. On retient le chaos, les excès, les coups d’éclat. On oublie parfois que le musicien y a aussi produit et créé : il coproduit le disque “Pussy Cats” de Harry Nilsson, relance des sessions au long cours pour “Rock ’n’ Roll” (projet houleux démarré avec Phil Spector), compose et enregistre “Walls and Bridges” (sorti à l’automne 1974), qui lui offre son unique n°1 américain de son vivant en solo, “Whatever Gets You Thru the Night”, et scelle un pari avec Elton John qui le conduit à monter sur la scène du Madison Square Garden le 28 novembre 1974 – sa dernière grande apparition en concert.

Cette ambivalence – déraillement public, productivité artistique – explique l’obsession que suscite la période. Le “lost weekend” est un laboratoire de contradictions : l’homme, fragilisé, s’y confronte à ses limites ; l’artiste, lui, continue d’assembler des chansons, d’oser des arrangements, de renouer avec l’énergie brute du rock. Les lunettes, posées sur le pont de son nez, deviennent l’emblème visuel d’un repli autant que d’une exposition : elles masquent, elles révèlent.

Pourquoi ces lunettes comptent pour l’histoire des Beatles

Les Beatles s’étaient séparés officiellement au début des années 70, mais leur ombre structurait encore l’industrie et la culture populaire. Dans l’iconographie post-Beatles, les lunettes de Lennon participent de la métamorphose de l’artiste : du jeune homme en col mao à l’icône pacifiste des années 70, puis à la figure plus cynique et blessée du “lost weekend”, enfin au père et époux réconcilié, retiré des studios après la naissance de Sean (1975) avant le retour fulgurant de “Double Fantasy” (1980). Chaque paire, chaque teinte, chaque reflet accroché par l’objectif raconte un chapitre différent.

Les lunettes de la vente Propstore s’installent précisément au carrefour de deux récits : la chronique intime d’un homme qui se défait et se refait, et la chronique publique d’un ex-Beatle dont la moindre anicroche devient mythologie. Elles rappellent surtout la nature très concrète du travail de mémoire : faire de l’histoire pop, c’est comparer des images, trier des versions, dater des soirées, assembler des indices matériels.

Un marché bouillonnant pour les reliques lennoniennes

La fourchette d’estimation annoncée – près de 400 000 dollars en haut de plage – peut sembler vertigineuse. Elle s’inscrit pourtant dans une logique de marché. Ces dernières années, un costume sur mesure D.A. Millings & Son porté par Lennon en 1963 s’est envolé à 102 480 dollars lors d’une vente californienne. Une lettre manuscrite de 1962 adressée à Cynthia Powell, future épouse de Lennon, a franchi le cap des 70 000 livres en juillet dernier, dépassant nettement son estimation. Quant aux lunettes de l’ex-Beatle, elles constituent une catégorie à elles seules : une paire vendue fin 2019 à Londres a atteint environ 137 500 livres ; une autre, aux verres bleutés, a changé de mains à 40 000 livres à l’été 2024. La pièce Propstore voyage donc dans une zone de prix cohérente avec l’iconicité du modèle, l’état et la documentation associée.

Ce mouvement reflète un appétit plus large pour les objets personnels des artistes, surtout lorsque ces objets condensent une image publique forte. Les guitares s’arrachent, les costumes et les paroles aussi ; mais les accessoires – lunettes, montres, bijoux – exercent une attraction particulière parce qu’ils touchent à l’intimité. Ils portent la trace de l’usage quotidien, cette patine que l’on ne peut pas fabriquer.

De Los Angeles à New York : trajectoire d’un regard

Entre 1973 et 1975, Lennon passe de fêtes éprouvantes à des sessions de studio où tout ne tourne pas rond, puis à une reconquête plus calme de sa vie privée. May Pang raconte un homme tantôt enthousiaste, tantôt difficile, qui aspire à la stabilité tout en courant après l’urgence. Les lunettes – instrument banal, nécessaire à la vue – deviennent au fil des photos un marqueur d’humeur. On les voit parfois fumées, parfois plus claires, parfois cassées. Elles disent l’épuisement, mais aussi la volonté de se dérober. Dans la symbolique pop, elles jouent le rôle du masque, sans l’effacer totalement : elles laissent passer le regard, ce qui les rend d’autant plus fascinantes.

La paire du Troubadour s’inscrit dans ce théâtre. La nuit du 12 mars 1974, c’est le Lennon funambule qui s’expose : brillant et imprudent, drôle et violent, adulé et recalé à la porte d’un club. Depuis, le club a changé, la ville aussi ; mais la scène – lunettes perdues dans une bousculade – demeure.

D’autres pièces phares au catalogue : un écosystème de la mémoire

Si les Beatles dominent l’imaginaire, la vente rappelle que la mémoire populaire est chorale. Les paroles de travail de Jimi Hendrix pour “Straight Ahead” ouvrent une fenêtre rare sur la fabrique d’un titre du guitariste, mots biffés, ajouts, hésitations figés dans l’encre. Le fedora blanc de Michael Jackson convoque une autre grammaire de l’icône : le geste, la chorégraphie, le cinéma du clip. D’autres ensembles, consacrés par exemple à Oasis, mettent l’accent sur une histoire récente déjà devenue patrimoine, des affiches aux guitares réparées après casse.

La richesse d’un tel catalogue tient dans la conversation que ces pièces engagent entre elles. Elles dessinent une cartographie des gestes : écrire, jouer, casser, porter, perdre. Elles disent surtout que la culture pop ne se résume pas à des disques ou des classements ; elle s’ancre aussi dans des objets qui ont traversé des salles, des coulisses, des valises, des déménagements.

Comment se déroule une vente de ce type ?

La Music Memorabilia Live Auction de Propstore se joue en deux temps : une séance en salle – ici à l’hôtel The Cumberland, à Londres – où se mêlent collectionneurs, représentants d’institutions, passionnés, et une plateforme en ligne pour enchérir à distance. Chaque lot est présenté avec un dossier détaillant origine, matériaux, dimensions, état de conservation, photographies et, lorsque c’est pertinent, correspondances ou papers de provenance. Sur des pièces sensibles comme des lunettes, la question de l’authenticité se règle par un faisceau d’indices : photographies d’époque, recoupement des témoignages, expertise du fabricant ou du modèle, cohérence des traces d’usure.

Pour les pièces emblématiques, la communication joue un rôle déterminant. Une exposition préalable permet d’en approcher la matérialité, d’observer les détails (le légèrement de teinte, la rigidité de la branche, la marque sur le pont), bref, de reconnecter la rumeur à la matière. Les estimations, elles, ne sont jamais que des baromètres : la salle et la conjoncture font le reste.

Les lunettes dans l’iconographie lennonienne : d’un mythe à l’autre

La lunette ronde n’est pas née avec John Lennon. Mais l’association est telle que le simple mot “Lennon” a fini par désigner un modèle. Elle a été un accessoire d’identité autant qu’un outil de vision. Dans les années Beatles, des lunettes plus claires apparaissent ici et là ; dans la séquence pacifiste (début 70), on les voit souvent fumées, presque lunettes de soleil ; au “lost weekend”, elles deviennent l’ombre derrière laquelle le musicien cherche un angle mort de lui-même ; au moment de Double Fantasy, elles reviennent plus propres, plus lisses, comme si l’homme avait trouvé sa focale.

La paire mise en vente raconte cette oscillation. Elle n’est pas la plus célèbre – des images de 1969-1971 ont sans doute fixé l’icône – mais elle est, à bien des égards, la plus humaine. Ce ne sont pas des lunettes de photo-shoot ; ce sont des lunettes qui ont vécu, perdues, récupérées, conservées, racontées. C’est pour cela qu’elles attirent : elles promettent un contact direct avec une nuit, une ville, une peau.

Un contrechamp : du scandale au travail

On raconte mille fois la cuvée des frasques : beuveries, colères, expulsions. Il ne s’agit pas de les minimiser, mais de les recontextualiser. Au même moment, Lennon écrit, arrange, enregistre. “Walls and Bridges” tient debout : le disque est varié, inventif, souvent bouleversant ; “#9 Dream” surnage comme un fragment de sommeil mis en chanson ; “Whatever Gets You Thru the Night” embrase les ondes. Et c’est précisément parce que l’homme oscille que les objets de cette période nous parlent : ils portent la contradiction, qui est la forme même de la vérité biographique.

Les lunettes sont un outil. Elles ne transforment pas le monde ; elles permettent de le voir. Et c’est peut-être ce que Lennon cherchait, au milieu de ces mois instables : un faisceau net à travers lequel avancer.

L’effet d’entraînement des enchères sur la mémoire collective

Chaque adjudication spectaculaire réactive un pan de mémoire. Lorsque la paire Sotheby’s s’est envolée en 2019, on a reparlé du look de 1966 ; lorsqu’un autre modèle a été cédé en 2024, la presse a exhumé des anecdotes de studio. La mise en vente des lunettes du Troubadour a le même impact : elle réveille le récit du “lost weekend”, fait revenir sur la table les figures de May Pang et d’Harry Nilsson, réinscrit la scène du club dans une histoire plus vaste – celle des années 70 californiennes, de leur liberté et de leurs naufrages.

Cet effet d’entraînement n’est pas qu’une agitation médiatique. Il alimente une recherche : de nouvelles images circulent, des datations se précisent, des éléments de provenance sont consolidés. Les ventes, parfois, rectifient l’histoire en remettant en avant des documents oubliés.

Au-delà de l’enchère : que “raconte” un objet pareil dans une exposition ?

Concrètement, une paire de lunettes s’expose mieux qu’une relique trop volumineuse. On la met en vitrine, on l’accompagne d’un tirage photo de la soirée, d’un texte de salle qui replace le 12 mars 1974 dans la chronologie, on suggère une écoute – “Whatever Gets You Thru the Night”, “#9 Dream”, un extrait de “Pussy Cats” – et l’on obtient une station d’exposition dense mais lisible. L’objet, sans être “spectaculaire”, aimante. Il invite à ralentir, à regarder, à se souvenir que les Beatles n’ont pas disparu en 1970 : ils ont continué de vivre, d’aimer, de se tromper, de créer, parfois de chuter.

C’est pour cela que les musées, les collections privées et les fondations se disputent ce type de pièces : elles humanisent les légendes. Elles offrent un grain au récit, une pointe de fragilité. Et l’on sait bien que chez Lennon, la fragilité est souvent le sésame de l’émotion.

Une actualité Beatles qui reste chargée

Cette mise aux enchères s’inscrit dans une année où les Beatles occupent plus que jamais l’agenda culturel. Le projet au long cours de Sam Mendes – quatre films, chacun vu à travers le regard d’un membre du groupe, avec une sortie annoncée pour avril 2028 – entretient une attente considérable. Le casting pressenti – Harris Dickinson en Lennon, Paul Mescal en McCartney, Barry Keoghan en Starr, Joseph Quinn en Harrison – témoigne d’un pari : refaire entendre l’histoire sans l’embaumer. D’ici là, les rééditions, les archives ouvertes et les ventes de memorabilia continueront d’alimenter un dialogue permanent entre les fans et l’œuvre.

Ce que l’on peut raisonnablement attendre le jour J

Que feront les lunettes du Troubadour sous le feu des enchères ? Les estimations donnent une fourchette, pas une prédiction. Mais plusieurs facteurs jouent en leur faveur : la provenance qui croise un épisode documenté ; la rareté d’objets aussi personnels, directement liés à un moment clés de la biographie ; la lisibilité iconographique du modèle ; la santé actuelle du marché pour les Beatles ; et la capacité de Propstore à mettre en récit ses lots.

À l’inverse, les incertitudes habituelles demeurent : concurrence d’objets vedettes au sein de la même vente, calendrier des enchères internationales, fluctuations monétaires, stratégie des principaux enchérisseurs. Mais le signal envoyé par le marché – costumes, lettres, lunettes précédemment adjugés – indique que l’intérêt est là, profond, durable.

L’essentiel, au fond

Les lunettes du “lost weekend” ne disent pas tout de John Lennon. Elles ne peuvent pas. Mais elles racontent juste assez : un regard qui vacille, un soir qui déborde, une période où la vie privée et la légende se mêlent dangereusement. Elles nous ramènent à ce que l’on aime chez les Beatles : la musique, bien sûr, mais aussi les vies qui l’ont rendue possible, avec leurs accidents, leurs comebacks, leurs revirements.

À l’heure où l’on redécouvre, disque après disque, archive après archive, l’ampleur du legs du groupe, ces objets concrets nous rappellent que la mémoire n’est pas un mausolée : c’est un chantier vivant. Et si, le 23 ou le 24 octobre prochain, ces lunettes franchissent un cap symbolique, ce ne sera pas seulement une victoire du marché ; ce sera un épisode de plus dans la longue conversation que nous entretenons, collectivement, avec John Lennon – son œuvre, ses excès, ses contradictions. Un regard de plus à travers des verres teintés, et la sensation, un instant, de s’en approcher.