Le poids d’une ère : analyse de Carry That Weight des Beatles

Publié le 27 septembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Lorsqu’on évoque le mythique album Abbey Road, on pense immédiatement à son célèbre medley, une suite de morceaux imbriqués qui, bien qu’individuellement distincts, forment un tout cohérent et magistral. Parmi eux, Carry That Weight occupe une place particulière, non seulement par sa fonction structurelle mais aussi par sa portée symbolique. Composé par Paul McCartney, ce morceau, intrinsèquement lié à Golden Slumbers, traduit les tensions qui agitaient les Beatles en cette fin de décennie mouvementée.

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Un chant du cygne voilé

Enregistré entre juillet et août 1969, Carry That Weight est une réflexion sur le fardeau grandissant que représentait le groupe pour ses membres. McCartney y exprime le poids émotionnel et financier des conflits internes et des tensions commerciales qui minaient l’existence des Beatles. Cette période est marquée par les querelles autour de la gestion d’Apple Corps et l’arrivée controversée d’Allen Klein, personnage clivant qui accentua les dissensions, en particulier entre McCartney et Lennon.

Dans une interview, McCartney expliqua : « Nous étions en pleine tourmente. Il y avait tellement de problèmes liés à Apple, à Klein, et au sein du groupe lui-même. J’essaie toujours de garder une attitude positive, mais parfois, la réalité est trop lourde à porter. » Ainsi, le titre résonne comme un aveu d’impuissance face à une situation devenue insoutenable.

Une composition porteuse d’héritage

Musicalement, Carry That Weight tisse un lien fort avec You Never Give Me Your Money, autre morceau du medley d’Abbey Road, dont il reprend des motifs mélodiques et harmoniques. L’introduction cuivrée, puissante et solennelle, révèle une ambiance pesante qui contraste avec l’aspect plus léger de Golden Slumbers. Le passage chanté par McCartney, doublé pour renforcer l’effet harmonique, illustre cette idée de lourdeur inexorable.

L’utilisation de références internes au sein de l’album confère à Carry That Weight un rôle central dans l’architecture du medley. La réapparition du thème de You Never Give Me Your Money accentue l’idée de continuité et d’interconnexion entre les morceaux. Cet effet de rappel, couplé à l’instrumentation ample incluant violons, trompettes et trombones, apporte une dimension presque cinématographique à la composition.

Un enregistrement sans Lennon

Si McCartney est la force motrice de Carry That Weight, il est rejoint en studio par George Harrison et Ringo Starr. John Lennon, absent lors des premières sessions en raison d’un accident de voiture en écosse, ne participa pas directement à l’enregistrement. Cette absence souligne d’autant plus la fracture qui s’opérait au sein du groupe.

Le 2 juillet 1969, McCartney, Harrison et Starr enregistrent 15 prises de Golden Slumbers/Carry That Weight. Paul est au piano et assure les voix guides, tandis que George joue la basse et Ringo la batterie. Par la suite, les overdubs s’ajoutent progressivement, avec des chœurs renforcés, des lignes de guitare et l’ajout d’une orchestration magistrale dirigée par George Martin le 15 août.

Un adieu en filigrane

La place de Carry That Weight dans la conclusion d’Abbey Road est hautement symbolique. Il ne s’agit pas seulement d’un segment du medley, mais bien d’un adieu en filigrane, une prise de conscience de la fin imminente d’une époque. Les paroles « Boy, you’re gonna carry that weight a long time » prennent alors une dimension prophétique. Le fardeau de la gloire, du succès et des conflits allait peser longtemps sur les épaules des membres du groupe, en particulier sur McCartney, qui endosserait le rôle du garant de l’héritage beatlesien après leur séparation officielle en 1970.

Ainsi, Carry That Weight ne se contente pas d’être un passage musical marquant, il est l’incarnation d’un moment de bascule dans l’histoire des Beatles. À travers sa structure, sa résonance thématique et son contexte de création, il symbolise à la fois la grandeur et le poids de l’héritage laissé par le groupe. Un fardeau que McCartney, Harrison, Starr et même Lennon, bien qu’absent lors de l’enregistrement, allaient porter pour toujours.