Dig A Pony : L’ultime bravade rock de John Lennon au sein des Beatles

Publié le 09 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

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Un titre aux accents énigmatiques

Parmi les morceaux qui composent Let It Be, Dig A Pony occupe une place singulière. Ce titre, essentiellement l’œuvre de John Lennon, demeure l’un des rares morceaux inédits qu’il a apportés aux sessions tumultueuses de janvier 1969. Alors que Across The Universe, son autre contribution majeure à l’album, avait été enregistré bien avant, Dig A Pony naît en pleine désagrégation du groupe et capte l’esprit fougueux mais désabusé de Lennon en cette fin de parcours collectif.

Dès les premières mesures, Dig A Pony se distingue par son introduction hachée, suivie d’un groove lancinant porté par la basse rythmique de Paul McCartney et la guitare mordante de George Harrison. Le tout est soutenu par une batterie précise de Ringo Starr et enrichi par les nappes d’orgue électrique du claviériste Billy Preston, dont la présence fut décisive durant ces sessions.

Un poème absurde ou un manifeste amoureux ?

John Lennon lui-même n’a jamais dissimulé le caractère absurde des paroles de Dig A Pony. En 1972, il déclarait sans ambages : « C’était littéralement une chanson de non-sens. On prend des mots, on les assemble et on voit s’ils ont un sens. Certains en ont, d’autres non. »

Pourtant, derrière cette apparente légèreté, certaines références intriguent. Le vers « I pick a Moondog » semble renvoyer à l’un des noms de scène précoces des Beatles, Johnny and The Moondogs. Autre clin d’œil plus direct, « I roll a stoney » pourrait être une allusion à Mick Jagger et aux Rolling Stones, contemporains et amis des Fab Four.

Mais au-delà des jeux de mots et des références cryptiques, une évidence se dégage : Dig A Pony est avant tout un hymne à Yoko Ono. Le morceau portait initialement le titre All I Want Is You, une phrase répétée en boucle dans le refrain et qui traduit une obsession amoureuse. Lennon, alors en pleine fusion créative avec Yoko, composait presque exclusivement sous son influence.

Des sessions chaotiques au sommet d’Apple

L’histoire de Dig A Pony est intimement liée aux sessions désordonnées du projet Get Back, qui deviendra plus tard Let It Be. Dès le début du mois de janvier 1969, Lennon répète la chanson à plusieurs reprises aux Twickenham Film Studios. Il la joue d’abord seul, puis progressivement, le groupe se l’approprie. Ces sessions filmées montrent un groupe fragmenté, où tensions et lassitude transpirent.

Lorsque les Beatles décident de quitter l’atmosphère pesante de Twickenham pour s’installer dans les sous-sols des bureaux d’Apple, Dig A Pony prend forme plus concrètement. Le 21 janvier, le groupe commence à enchaîner les prises, peaufinant progressivement l’arrangement. Le lendemain, plusieurs versions sont enregistrées, dont l’une sera incluse des années plus tard dans Anthology 3.

Mais c’est surtout le 30 janvier 1969 que la chanson entre dans la légende. Ce jour-là, les Beatles montent sur le toit de leur immeuble londonien pour ce qui deviendra leur ultime concert. Dig A Pony est jouée avec une fougue presque salvatrice. On peut voir dans le film Let It Be Kevin Harrington, assistant de production, agenouillé devant Lennon pour lui tenir les paroles sur un clipboard. La prestation, brute et énergique, s’achève sur une boutade de Lennon : « Thank you, brothers. My hands are getting too cold to play a chord now. »

De Let It Be à Let It Be… Naked : un mix controversé

La version de Dig A Pony retenue pour Let It Be est directement issue du concert sur le toit, mais avec une modification majeure. Le producteur Phil Spector, chargé de finaliser l’album en mars 1970, décide de couper l’introduction et la conclusion du morceau, supprimant la phrase « All I want is… » qui encadrait l’ensemble.

Cette décision, comme beaucoup d’autres prises par Spector, sera critiquée. Lorsque Paul McCartney supervise la réédition Let It Be… Naked en 2003, il choisit de restaurer l’ouverture originale du morceau, rendant justice à l’intention initiale de Lennon.

Une chanson sous-estimée

Bien que Dig A Pony ne soit pas le morceau le plus célèbre des Beatles, il témoigne du génie spontané du groupe et de la verve inimitable de John Lennon. La chanson oscille entre pastiche et inspiration authentique, entre dadaïsme verbal et rock instinctif. Elle incarne à la fois l’expérimentation, l’ironie et l’insouciance qui caractérisaient encore, à la toute fin des années Beatles, l’esprit d’un des plus grands groupes de l’histoire de la musique.