Le scénario est inspiré du livre Panzi, co-écrit par Denis Mukwege et Guy-Bernard Cadière (publié en 2014 aux Editions du Moment). Sans être un biopic il restitue le sauvetage, par ce médecin congolais, de milliers de femmes victimes de violence sexuelle à
partir des années 90, ce qu’il a fait au péril de sa vie. Il est d’ailleurs sous protection depuis l’attentat qui l’a visé en 2011.La réalisatrice, Marie-Hélène Roux, connait très bien l’Afrique. Elle est née au Gabon où elle a tourné le film en 2023. Elle ne nous épargne pas les atrocités perpétrées sur des femmes, des fillettes et même des bébés. Comme le dit la femme de Mukwege avec ironie : Les Hutus sont atrocement inventifs en mutilation. Ce pays est en train de mourirLe film respire le vrai mais s’il nous permet de saisir le pire il met aussi en avant le meilleur de l’humanité. Quelques chiffres sont significatifs : plus de 1100 femmes continuent d’être victimes chaque jour dans des opérations orchestrées avec sauvagerie, et une sur deux est porteuse du VIH. Ce médecin, et son équipe, ont soigné et opéré dans l’hôpital de Panzi plus de 80 000 femmes victimes de violence sexuelle en obtenant 100% de réussite dans leur guérison. Denis Mukwege (Isaach De Bankolé) est une des personnalités les plus distinguées au monde, à juste titre, mais ce n’est pas pour autant que les violences cessent, sans doute parce qu’elles sont planifiées pour permettre une surexploitation des richesses du pays en faisant régner la terreur dans les zones d’extraction du coltan, un minerai indispensable à nos téléphones portables. Le sol congolais est un des plus riches du monde alors que sa population est une des plus pauvres.Alors, comme le dit le médecin avec une immense humilité : comment se réjouir des honneurs qui vous sont adressés, même si on a reçu le Prix Nobel de la Paix ? Au-delà de la dénonciation de ces massacres, et des bourreaux, le film retrace aussi la collaboration avec cet autre médecin, belge, le docteur Guy-Bernard Cadière (excellent Vincent Macaigne), précurseur dans les techniques de chirurgie minimale invasive, comme la laparoscopie (proche de la cœlioscopie qui permet d’opérer sans ouvrir et donc sans créer de grandes cicatrices supplémentaires). Ensemble, ils vont opérer à quatre mains, portés par la force des femmes.On ne peut pas occulter ce qui précède et pourtant on est traversé par de très belles émotions parce que tout est « soigné », aussi bien le récit historique que la partie fictionnelle avec des personnages très Att enchantas comme Boussara qui ne veut pas accepter l’enfant qu’elle porte ou Blanche que l’on retrouve régulièrement. Chaque épisode de sa fuite s’inscrit dans une fonction de fil rouge, nous ramenant régulièrement à la dureté de ce que ces femmes subissent. On la voit ébouriffée, fantomatique, traversant des paysages infinis, qui sont souvent floutés, traînant son corps meurtri sur des routes de terre rouge qui n’en finissent pas. Sans doute cette même terre qui recèle les métaux rares.Je ne donnerai qu’un exemple de la pudeur et de la beauté de certains plans : le corps de Blanche allongé en sécurité entre deux immenses racines d’un arbre de Ceiba, avec son bébé sur sa poitrine. Chaque plan respire l’intelligence ; le montage est précis ; les lumières sont savantes. L’interprétation est formidable par « des comédiens qui ne jouent pas mais qui sont ». Il y a aussi un vrai scénario qui tire le long-métrage plus loin qu’un biopic et où les survivantes ne sont pas victimisées malgré leur passé.