God Save Oz : La chanson de John Lennon pour un combat judiciaire

Publié le 11 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1971, John Lennon, tout juste séparé des Beatles et immergé dans ses projets personnels et politiques avec Yoko Ono, s’associait à une cause aussi improbable que significative pour l’époque. Cette collaboration fut matérialisée par un titre intitulé God Save Oz, écrit et enregistré pour soutenir la revue britannique Oz dans le cadre de son procès pour obscénité. Ce morceau devint un hymne à la liberté d’expression et à la solidarité, tout en illustrant parfaitement l’implication de Lennon dans les luttes sociales et politiques de son temps. Retour sur cette chanson et l’histoire qui l’entoure.

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Oz et le procès pour obscénité : un scandale dans la presse britannique

Avant de parler de God Save Oz, il convient de revenir sur le contexte dans lequel cette chanson vit le jour. Oz était une revue appartenant à la presse underground britannique. Par son ton subversif, son humour décapant et son engagement politique, elle ne laissait personne indifférent. Son 28e numéro, intitulé Schoolkids Oz, fait encore aujourd’hui l’objet de débats et de discussions. Ce numéro, publié en mai 1970, était un mélange de satire sociale et de dessins provocateurs réalisés par des adolescents, mettant en lumière des sujets sensibles, parfois choquants. L’une des pages les plus controversées fut le dessin intitulé « Rupert finds gypsy granny », illustrant des scènes à caractère sexuel et violent. Un contenu qui ne tarda pas à attirer l’attention des autorités britanniques.

En août 1970, la police des publications obscènes débarqua dans les bureaux de Oz et saisit des exemplaires du magazine. En mars 1971, les trois coéditors du magazine, Richard Neville, Jim Anderson et Felix Dennis, furent jugés pour obscénité et condamnés à des peines de prison. Ce fut un choc dans la société anglaise, et bien au-delà des cercles concernés par la presse alternative. Mais ce procès et l’acharnement judiciaire qui en découla ne firent qu’alimenter l’image contestataire de Oz.

John Lennon, un soutien de poids

Alors que l’affaire devenait de plus en plus médiatique, l’équipe de Oz chercha à mobiliser des soutiens, notamment financiers, pour couvrir les frais de justice. Stan Demidjuk, un ami de John Lennon, contacta le musicien pour lui demander son aide. Très rapidement, Lennon, qui avait déjà montré son soutien aux causes progressistes, accepta de participer à cet élan de solidarité. Il se lança donc dans la composition d’une chanson dont les royalties seraient entièrement reversées à la défense des trois éditorialistes.

Le morceau, écrit dans la nuit, aurait pu s’intituler God Save Oz, avant que Lennon, conscient de la portée du terme « Oz » dans le contexte international, n’opte pour le titre God Save Us. Ce choix s’inscrivait parfaitement dans l’esprit de l’époque, où les mouvements contre-culturels cherchaient à s’affirmer face à l’autorité et la répression, tout en faisant écho à l’engagement social et politique de l’artiste.

La genèse du morceau : en studio avec le Elastic Oz Band

Lennon enregistra la première démo de God Save Us en avril 1971 à son studio personnel, le Ascot Sound Studios, situé sur son domaine de Tittenhurst Park, dans le Berkshire. Ce premier essai fut en fait une prise unique, où Lennon, accompagné des percussions de Steve Brendell, jouait de la guitare acoustique et chantait. Une ambiance intimiste se dégageait de cette première version, qui allait évoluer au fil des semaines. L’enregistrement fut fait dans une atmosphère conviviale, marquée par la solidarité entre Lennon et le personnel de Oz. Ces derniers, en proie à de lourdes menaces judiciaires, trouvèrent dans l’engagement du musicien une aide précieuse. Les relations entre les membres de la revue et John et Yoko furent particulièrement chaleureuses pendant cette période, avec de nombreuses visites à la demeure des Lennon à Tittenhurst Park.

En studio, l’ambiance n’était pas moins détendue. Selon les témoignages de Steve Brendell, l’enregistrement s’est déroulé de manière presque expérimentale. Au fur et à mesure que les prises s’enchaînaient, Lennon peinait à trouver le bon ton vocal et la bonne énergie pour le morceau. La chanson fut donc laissée inachevée dans un premier temps, car Lennon ne souhaitait pas en faire une sortie officielle, se sentant prisonnier de ses engagements contractuels avec Apple. De plus, l’artiste ne souhaitait pas que God Save Us soit perçu comme le successeur de son single à succès Power to the People, un hymne à la révolution populaire.

Le processus de création de God Save Us fut long et laborieux. En effet, malgré l’énergie mise dans l’écriture et les premières sessions d’enregistrement, il fallut revenir plusieurs fois en studio pour finaliser la chanson. Ce fut le cas lors d’une nouvelle session, le 17 avril 1971, où vingt prises furent enregistrées. Le morceau, toutefois, ne prenait véritablement forme qu’au fur et à mesure que des musiciens comme Klaus Voormann, Nicky Hopkins et Jim Keltner rejoignaient le projet. Le bassiste Voormann, déjà très impliqué dans les projets post-Beatles de Lennon, participa activement à l’élaboration du son du morceau, tout comme Keltner, qui apporta une touche particulière avec ses percussions.

Les problèmes de voix : l’intervention de Bill Elliott

Lennon, bien qu’ayant pris soin de chanter sur certaines des premières prises, n’avait pas l’intention d’être la voix principale du morceau. Ce rôle revint à Bill Elliott, un chanteur qui remplaça Lennon sur les versions finales. Lennon, malgré son talent incontestable, admettait lui-même qu’il n’était pas toujours le meilleur vocaliste pour certains morceaux. Ainsi, Elliott, avec sa voix plus arrondie et plus proche des standards commerciaux, apporta ce qu’il fallait pour donner à God Save Oz une dimension plus accessible au public. Un choix qui, bien que surprenant, se justifiait par les exigences de la production et la volonté de toucher un public plus large.

Le choix de faire appel à Bill Elliott n’était pas sans raison : Lennon, en quête d’un son plus commercial, pensait que la voix d’Elliott offrirait une dimension plus populaire au morceau. Cette décision s’inscrivait dans une démarche pragmatique : Lennon souhaitait que la chanson soit un véritable succès tout en restant fidèle à son esprit de révolte. En effet, God Save Oz devait être une chanson de soutien avant tout, mais aussi un manifeste sonore à part entière.

La sortie du single : un échec commercial

Le single God Save Oz fut finalement publié en juillet 1971 par Apple Records. Cependant, malgré l’énorme engagement de Lennon, le morceau ne rencontra pas le succès escompté. Il n’apparut ni dans les classements britanniques, ni dans ceux américains. Cela n’empêcha cependant pas God Save Oz de devenir une pièce importante de l’histoire musicale de l’époque. Le soutien public de Lennon à la revue Oz et à ses éditeurs résonna comme un appel à la liberté d’expression dans une période où la censure semblait prendre de plus en plus de place dans la société britannique.

Le single, bien qu’ayant échoué à percer dans les charts, laissa une trace dans l’histoire musicale de Lennon. En effet, il est aujourd’hui inclus dans plusieurs coffrets, comme John Lennon Anthology (1998) et Wonsaponatime, qui documentent l’exceptionnelle carrière de l’artiste post-Beatles. La version de God Save Oz avec la voix de Lennon a également été rééditée dans le coffret Imagine: The Ultimate Collection (2018), permettant à de nouveaux auditeurs de découvrir ce morceau à la fois engagé et expérimental.

L’héritage de God Save Oz : entre politique et musique

L’histoire de God Save Oz témoigne de l’implication de John Lennon dans les causes sociales et politiques de son époque. La chanson ne se contente pas d’être un morceau de musique de plus dans son répertoire : elle porte en elle la révolte contre l’injustice, contre la censure, et contre l’oppression de la liberté d’expression. God Save Oz a non seulement marqué son époque par son contexte et son message, mais elle a aussi permis à des millions de personnes de prendre conscience de la lutte pour la liberté d’expression dans un monde où les pressions sociales et politiques se faisaient de plus en plus lourdes.

Aujourd’hui encore, ce morceau résonne comme un cri de résistance. God Save Oz n’a pas rencontré un succès commercial immédiat, mais il a traversé le temps pour devenir un symbole de la musique de Lennon, à la fois audacieuse, politique et profondément humaine. Une œuvre qui, loin de se limiter à un simple engagement, incarne la volonté d’un artiste de faire entendre sa voix dans un monde qui semblait vouloir la faire taire.