L’œuvre solo de John Lennon révèle un artiste à la fois viscéral, engagé et mélodique. De « Give Peace A Chance » à « Imagine », en passant par « Jealous Guy » ou « (Just Like) Starting Over », cette sélection de 20 titres explore ses influences, sa quête de vérité et son génie pop. Chaque chanson témoigne d’une recherche de sincérité, d’une production exigeante et d’une voix qui traverse les décennies.
L’œuvre solo de John Lennon n’est pas une simple annexe à la légende des Beatles. Elle en est la contre-partie crue, intime et souvent visionnaire. Des premiers manifestes pacifistes à la renaissance interrompue de 1980, Lennon a posé une empreinte singulière : une écriture frontale, des prises de position sans fard, une science mélodique qui n’a jamais déserté ses chansons, même les plus dépouillées. Sélectionner vingt titres relève forcément du pari impossible, mais cette balade chronologique permet de mesurer l’amplitude d’un catalogue où se répondent rage, douceur, humour et expérimentation.
Au fil des années, Lennon a constamment confronté ses influences — rock’n’roll des origines, rhythm and blues, standards doo-wop — à une quête personnelle : dire le vrai, aller à l’os, faire de la chanson un espace de vérité. Les titres qui suivent, parfois évidents, parfois plus discrets, éclairent cette trajectoire.
Sommaire
- Les sources du feu : « Rip It Up/Ready Teddy »
- Héritage de la Nouvelle-Orléans : « Ain’t That A Shame »
- Le manifeste pacifiste : « Give Peace A Chance »
- La fulgurance pop : « Instant Karma! »
- La confession à nu : « Working Class Hero »
- La rupture symbolique : « God »
- L’universalité désarmée : « Imagine »
- La jalousie métamorphosée : « Jealous Guy »
- Chronique urbaine et bataille politique : « New York City »
- Fable de Noël, prière laïque : « Happy Xmas (War Is Over) »
- Le jeu mental et sa promesse : « Mind Games »
- La douce évidence : « Out The Blue »
- Premier numéro un américain : « Whatever Gets You Thru The Night »
- Le rêve éveillé : « #9 Dream »
- Compagnonnage et poussière de route : « Old Dirt Road »
- Le retour au premier plan : « (Just Like) Starting Over »
- L’hommage et la gratitude : « Woman »
- Le berceau et la philosophie : « Beautiful Boy (Darling Boy) »
- Carnet de bord posthume : « Nobody Told Me »
- L’ultime promesse : « Grow Old With Me »
- Pourquoi ces vingt-là ?
- Le studio comme laboratoire
- Les thèmes qui persistent
- L’ombre et la lumière
- Un legs toujours vivant
- Écouter autrement
- Conclusion : l’exigence de la chanson
Les sources du feu : « Rip It Up/Ready Teddy »
Avant d’être un auteur conceptuel, Lennon est un fan. Sur l’album Rock ’n’ Roll (1975), il revient aux déflagrations qui l’ont façonné. La reprise en medley de « Rip It Up/Ready Teddy », popularisée par Little Richard, condense tout ce qu’il aimait à quinze ans : tempo affolant, voix en sursaut, guitare mordante. Loin du simple pastiche, sa lecture capture l’énergie d’un gamin de Liverpool projeté sur scène au Star-Club de Hambourg, où les Beatles croisèrent effectivement la route de Little Richard. On entend Lennon s’approprier la matière première du rock, avec une ferveur presque documentaire : c’est une lettre d’amour à ses maîtres, mais écrite avec son propre sang.
Héritage de la Nouvelle-Orléans : « Ain’t That A Shame »
Autre hommage majeur sur Rock ’n’ Roll : « Ain’t That A Shame » de Fats Domino. Là encore, la reprise n’est pas une carte postale jaunie. Lennon en renforce le balancement, pose sa voix légèrement en avant, et laisse les guitares crépiter autour du motif de piano. On devine combien la Nouvelle-Orléans et son swing ont nourri sa façon d’écrire des refrains simples, entêtants, qui tiennent autant du mantra que de la ritournelle. Cette pulsation, on la retrouvera — filtrée, réinventée — jusque dans ses ballades les plus sobres.
Le manifeste pacifiste : « Give Peace A Chance »
En juin 1969, enfermé dans une chambre d’hôtel à Montréal lors du second bed-in pour la paix, Lennon enregistre « Give Peace A Chance ». Techniquement, c’est une captation brute ; symboliquement, c’est un coup de tonnerre. La chanson, créditée à l’origine Lennon-McCartney mais pensée et portée par John et Yoko, devient un hymne repris dans les rues, sur les campus, dans les marches contre la guerre. Son génie tient à sa forme collective : un chant facile à entonner, comme taillé pour les foules. Lennon comprend que le message peut primer sur la sophistication, et que la chanson populaire peut être un outil d’action directe.
La fulgurance pop : « Instant Karma! »
Au cœur de l’hiver 1970, Lennon compose, enregistre et publie « Instant Karma! » avec une célérité stupéfiante. Produit par Phil Spector, le titre claque comme une prophétie auto-réalisatrice. Rythme martial, piano martelé, chœurs massifs : tout concourt à la contagion. La mélodie, d’une évidence éclatante, donne à la chanson des airs de bulletin d’information cosmique. Lennon n’y théorise pas la morale ; il y met en musique l’idée que nos gestes nous reviennent au visage, et il le fait avec un humour presque taquin. C’est l’un des sommets de sa période pop la plus lumineuse.
La confession à nu : « Working Class Hero »
Avec l’album John Lennon/Plastic Ono Band (1970), Lennon rompt avec l’opulence sonore et l’armature symbolique des Beatles. « Working Class Hero » n’a guère besoin que d’une guitare sèche et d’une voix. La chanson, au ton cru, inventorie, sans pathos, les violences sociales et psychologiques qui broient l’individu. L’usage d’un vocabulaire direct, parfois choquant, déplace le cadre de la pop vers une frontalité quasi documentaire. Ce dépouillement, loin de réduire la portée mélodique, la concentre : chaque inflexion devient signification. La pièce a depuis été reprise par des artistes de tous horizons, signe qu’elle parle un langage universel.
La rupture symbolique : « God »
Toujours sur Plastic Ono Band, « God » est l’acte de séparation le plus célèbre de Lennon. En énumérant ce en quoi il ne croit pas, il balaie les idoles et les mythologies, y compris celles des Beatles. La formule finale, où il se recentre sur le je, coupe court aux malentendus : plus de totem, plus de messie, seulement un homme qui choisit la lucidité contre l’illusion. Musicalement, la progression au piano installe une gravité mesurée, presque liturgique, dont le crescendo final boucle une époque. C’est une catharsis public, un « après » prononcé à haute voix.
L’universalité désarmée : « Imagine »
Difficile d’écrire autrement qu’avec retenue sur « Imagine » (1971), tant la chanson est devenue un langage commun. Sa force tient à la conjugaison de deux gestes : la simplicité radicale du texte et l’épure mélodique. Le piano de Lennon avance comme une respiration ; l’arrangement de cordes, discret, ouvre l’espace. On sait aujourd’hui combien Yoko Ono a influé sur la genèse de la chanson, issue d’un imaginaire conceptuel qui prône la projection et l’utopie comme actes artistiques. Loin des caricatures, « Imagine » n’est ni naïve ni moralisatrice : elle propose un exercice mental qui demeure, cinquante ans plus tard, d’une modernité intacte.
La jalousie métamorphosée : « Jealous Guy »
Née sous le titre « Child of Nature » lors du séjour des Beatles chez le Maharishi à Rishikesh, la mélodie deviendra « Jealous Guy » sur l’album Imagine. Lennon transforme un émerveillement contemplatif en confession amoureuse. Le phrasé est souple, les cordes glissent sans emphase, et la ligne mélodique tient de la berceuse d’adulte. La chanson dit la fragilité masculine sans posture, assume les failles, demande pardon sans drame. Sa longévité tient à cette honnêteté nue. La reprise devenue tube par Roxy Music au début des années 1980 en a confirmé la puissance.
Chronique urbaine et bataille politique : « New York City »
À l’automne 1971, Lennon s’installe à New York. Au milieu des mobilisations, des concerts-manifestes et d’une surveillance politique qui vire à l’acharnement, il écrit « New York City », publiée sur Some Time in New York City (1972). Le titre est une carte routière électrique : noms de rues, rencontres, humour bravache, et, en arrière-plan, les démêlés migratoires avec l’administration américaine. Musicalement, c’est du rock à l’ancienne, riff tendu, section rythmique compacte, comme pour rappeler que sa manière d’argumenter reste d’abord musicale. La chanson fixe en studio une période de vie où Lennon veut que art et action se confondent.
Fable de Noël, prière laïque : « Happy Xmas (War Is Over) »
Enregistrée avec le Harlem Community Choir, « Happy Xmas (War Is Over) » paraît aux États-Unis à la fin de 1971. Au-delà des guirlandes et des cloches, la chanson est un message : le changement collectif passe par la responsabilité individuelle. Lennon et Yoko Ono prolongent ici leurs campagnes d’affichage — « War Is Over! If You Want It » — en une chanson de saison capable d’entrer dans les foyers. Tout y est pensé pour la transmission : tonalité chaleureuse, voix d’enfants, refrain immédiat. Chaque année, le titre revient, non pas comme une relique, mais comme une rappel utile.
Le jeu mental et sa promesse : « Mind Games »
Le morceau-titres de l’album Mind Games (1973) annonce l’une des obsessions de Lennon : transformer l’idée en énergie musicale. D’abord ébauchée sous la formule « Make Love, Not War », la chanson déploie un optimisme lucide, presque post-hippie, qui refuse le cynisme sans ignorer le réel. La production réintroduit des couches sonores, avec des chœurs aériens et une rythmique souple. On y entend Lennon chercher une voie médiane entre le dépouillement de 1970 et la pompe spectorienne. C’est un titre-clef pour comprendre sa manière d’imbriquer slogans, art conceptuel et pop élégante.
La douce évidence : « Out The Blue »
Sur le même album, « Out The Blue » est l’une des plus belles ballades de Lennon. D’apparence simple, elle s’épaissit par degrés : guitare acoustique, touches d’orgue, chœurs discrets. La voix, posée avec une tendresse rare, raconte la renaissance amoureuse comme un accident heureux. Le morceau illustre une constante chez Lennon : la capacité à faire tenir une émotion complexe dans une architecture mélodique limpide. Rien ne dépasse, tout respire. Cette limpidité fait de « Out The Blue » un secret de connaisseur, souvent cité par ceux qui aiment la face intime du catalogue.
Premier numéro un américain : « Whatever Gets You Thru The Night »
En 1974, Lennon retrouve l’envie de jouer collectif et de se frotter au hit-parade. Coiffé par un saxophone bondissant et propulsé par le piano d’Elton John, « Whatever Gets You Thru The Night » grimpe au sommet du Billboard Hot 100. Anecdote célèbre : Lennon, persuadé que le titre ne ferait pas numéro un, promet à Elton de monter sur scène avec lui si la prophétie s’inverse. Pari gagné, concert au Madison Square Garden le 28 novembre 1974, et apparition devenue mythique. Sur disque, la chanson demeure un concentré d’efficacité : tout y est contagieux, du couplet légèrement syncopé au refrain qui s’embrase.
Le rêve éveillé : « #9 Dream »
Extrait de Walls and Bridges (1974), « #9 Dream » flotte dans une brume onirique où s’empilent cordes, chœurs et percussions feutrées. Le chiffre 9, qui jalonne la biographie de Lennon (né un 9 octobre, titres et adresses s’amusant de la coïncidence), sert ici de fil ludique. Le refrain, bâti sur une formule vocale inventée, installe une langue parallèle, familière et mystérieuse. On est loin du réalisme de 1970 ; Lennon s’autorise la féerie sonore, sans renoncer à l’exactitude mélodique. C’est l’une de ses grandes réussites d’arrangement.
Compagnonnage et poussière de route : « Old Dirt Road »
Toujours sur Walls and Bridges, « Old Dirt Road », coécrite avec Harry Nilsson, respire un air de country-soul brumeuse. La chanson raconte les détours d’une vie avec une sérénité un peu mélancolique. Les harmonies se posent comme de la poussière sur un chemin estival. Au-delà de l’anecdote, on entend la fraternité artistique de deux chanteurs-auteurs qui partagent un goût pour l’ivresse des mélodies et l’ironie douce-amère. Lennon y montre qu’il sait aussi écrire des titres qui n’ont pas besoin d’enjeu manifeste pour exister : un climat, une voix, quelques images suffisent.
Le retour au premier plan : « (Just Like) Starting Over »
Après une parenthèse de plusieurs années consacrées à la vie familiale, Lennon revient en 1980 avec Double Fantasy. « (Just Like) Starting Over » ouvre l’album comme un lever de rideau. Le morceau s’amuse des codes des fifties — cloches, échos, balancement doo-wop — pour dire une chose très contemporaine : recommencer, à deux, différemment. Il y a dans ces trois minutes l’excitation de la renaissance et la sagesse de l’âge. Tragédie du calendrier, la chanson deviendra numéro un après l’assassinat de Lennon. Elle reste le symbole d’un élan retrouvé, d’une joie moderne assumant ses racines.
L’hommage et la gratitude : « Woman »
Parue en simple au début de 1981, « Woman » est d’abord une déclaration à Yoko Ono, mais Lennon l’ouvre explicitement à toutes les femmes. L’écriture, d’une élégance très Beatle, rappelle volontairement la finesse de « Girl ». Les cordes caressent, les guitares acoustiques encadrent une mélodie d’une évidence lumineuse. On y entend un Lennon apaisé, bienveillant, reconnaissant. C’est aussi une leçon de composition : des couplets tendus vers un refrain qui s’ouvre comme une fenêtre, une économie de moyens au service d’un sentiment franc.
Le berceau et la philosophie : « Beautiful Boy (Darling Boy) »
Toujours sur Double Fantasy, « Beautiful Boy (Darling Boy) » est dédiée à Sean, né en 1975. Lennon, qui s’est volontairement mis en retrait du show-business pour accompagner les premières années de son fils, pose ici une berceuse où pointent sagesse et humour. Quelques phrases sont devenues proverbiales, tant elles condensent une manière de regarder la vie avec distance. L’instrumentation — clochettes, claviers, discrètes percussions — crée un cocon sonore. Loin de l’icône politique ou du prophète contrarié, Lennon réapparaît comme un père, un homme qui contemple, attendrit et transmet.
Carnet de bord posthume : « Nobody Told Me »
Destinée à l’origine à Ringo Starr, « Nobody Told Me » sort finalement en 1984 sur Milk and Honey, album posthume qui assemble des sessions de 1980. La chanson, vive et légèrement groovy, tient du carnet de bord : sauts d’humeur, observations sur un monde un peu déraisonnable, humour pince-sans-rire. Elle rappelle à quel point Lennon excellait dans l’instantané pop, capable d’être accrocheur sans se renier. Sa réussite dans les classements lui a donné une seconde vie, preuve que l’oreille du public retrouvait immédiatement la signature lennonienne.
L’ultime promesse : « Grow Old With Me »
Parmi les démos de Bermudes de l’été 1980, « Grow Old With Me » est l’une des plus émouvantes. Inspirée par de la poésie victorienne et par un dialogue artistique avec Yoko, la chanson esquisse une promesse de vieillesse à deux. La version connue, simple, presque fragile, montre un Lennon confiant dans la force de l’idée et de la ligne mélodique plus que dans la sophistication de l’arrangement. Sa trajectoire ultérieure — relectures, orchestrations, et même une version récente par Ringo Starr avec la participation de Paul McCartney — dit bien la place de ce titre dans l’imaginaire des fans : une porte sur ce qu’aurait pu être la suite.
Pourquoi ces vingt-là ?
On pourrait aisément ajouter « Mother », « Love », « Cold Turkey », « Watching the Wheels » ou « I’m Losing You ». Mais les vingt titres retenus dessinent un arc cohérent. Ils montrent Lennon dans toutes ses dimensions : l’enfant du rock qui se frotte à ses idoles, l’auteur autobiographique qui refuse les masques, le militant qui fait de la chanson une bannière, l’amoureux qui apprend la gratitude, le mélodiste qui sait quand se taire pour laisser respirer une ligne.
La chronologie ici respectée révèle aussi des allers-retours esthétiques. Après la cure de vérité de Plastic Ono Band, Lennon revient à la couleur orchestrale, puis à une pop plus légère avant de retrouver, en 1980, la joie d’un artisanat pop parfaitement ciselé. À chaque étape, une chose demeure : le timbre. Cette voix, immédiatement reconnaissable, au grain légèrement râpeux, capable de tendre la douceur jusqu’au bord de la casse, porte l’ensemble. Elle est l’instrument premier, celui qui rend crédible le manifeste comme la berceuse.
Le studio comme laboratoire
Lennon a souvent été décrit comme l’instinctif du tandem qu’il formait avec Paul McCartney. Sa carrière solo nuance ce cliché. S’il sait saisir l’instant (on pense au sprint d’« Instant Karma! »), il travaille aussi le son avec une attention d’orfèvre. La collaboration avec Phil Spector inaugure une période d’exploration des textures : chœurs massifs, réverbérations architecturales, pianos empilés. Puis vient la phase de réduction où la production se fait outil de vérité. Enfin, en 1980, avec Double Fantasy, il retrouve une limpidité contemporaine : guitares nettes, rythmiques précises, voix mixée au plus près, arrangements de cordes d’une sobriété exemplaire. Cet aller-retour n’est pas une hésitation, c’est un vocabulaire élargi.
Les thèmes qui persistent
Trois motifs traversent ces vingt chansons. D’abord le pacifisme, mais compris comme éthique personnelle plus que comme slogan. « Give Peace A Chance » et « Happy Xmas (War Is Over) » en sont les bannières ; « Imagine » en est la philosophie. Ensuite, la vérité de soi. De « Working Class Hero » à « God », Lennon assume l’aveu, l’ambivalence, la contradiction, avec une franchise rare à ce niveau de notoriété. Enfin, l’amour, non pas comme bluette, mais comme discipline, parfois rude, qui oblige à grandir. « Jealous Guy », « Out The Blue », « Woman » et « Grow Old With Me » le racontent chacun à leur façon.
À ces motifs s’ajoute un sens aigu du temps. Lennon sait dater ses chansons — un lieu, une saison, un contexte — tout en leur donnant une portée universelle. C’est pourquoi elles traversent les décennies sans rides apparentes.
L’ombre et la lumière
Impossible d’évoquer ces titres sans penser à l’interruption brutale de décembre 1980. Ce drame a figé certains morceaux dans une aura de dernier message. « (Just Like) Starting Over » et « Woman » en sont les exemples les plus frappants. Mais limiter l’écoute à cette dimension serait réduire Lennon à sa fin. Or, sa discographie solo raconte surtout une vie : la conquête de la souveraineté artistique, le combat pour une place assumée dans l’espace public, le recul nécessaire pour être présent à sa famille, le retour au jeu. C’est cette tension, entre ombre et lumière, qui donne à ces chansons leur densité émotionnelle.
Un legs toujours vivant
Pourquoi ces chansons « sonnent-elles » encore neuves ? Parce qu’elles n’essaient pas de faire moderne. Lennon y poursuit une nécessité intérieure. Le vocabulaire change — guitare sèche, murs de son, pop claire — mais l’intention reste la même : atteindre l’auditeur, non par flatterie, mais par contact direct. Les artistes qui les reprennent aujourd’hui, qu’ils viennent du rock, de la soul ou de la pop contemporaine, y trouvent une charpente solide et un espace d’interprétation. L’ADN mélodique supporte la translation ; la sincérité la rend contagieuse.
Écouter autrement
Pour redécouvrir ces vingt titres, on peut s’amuser à changer d’angle. Écouter d’abord uniquement les pianos : on y entend la main de Lennon, à la fois martiale et caressante, de « God » à « Woman ». Puis se concentrer sur les basses, souvent souples et chantantes, qui donnent à « #9 Dream » ou « Out The Blue » leur flottement si particulier. Enfin, prêter attention aux chœurs : qu’ils soient massifs (« Instant Karma! ») ou discrets (« Mind Games »), ils servent toujours la narration. Ce jeu d’écoute révèle une chose simple : derrière l’iconographie, il y a un artisan qui fabrique des chansons.
Conclusion : l’exigence de la chanson
Ces vingt morceaux ne sont pas un mausolée. Ce sont des pièces vivantes, capables d’accompagner une journée, un deuil, une fête, un doute. De la ferveur rock de « Rip It Up/Ready Teddy » à la promesse fragile de « Grow Old With Me », de la proclamation de « Give Peace A Chance » à la confidence de « Jealous Guy », on suit un artiste qui n’aura jamais cessé de chercher une forme juste.
On peut aimer Lennon pour sa rébellion, pour son humour, pour sa tendresse, pour sa radicalité. Mais si ses chansons demeurent, c’est parce qu’elles tiennent toutes seules, loin des affiches et des slogans. Elles parlent à l’oreille comme on parle à un ami : sans détour, avec une mélodie qu’on retient, et une vérité qu’on reconnaît. C’est, au fond, la promesse la plus simple et la plus difficile de la pop : mettre trois minutes en équilibre, et y faire passer toute une vie.